Des ventes exceptionnelles, des estimations doublées, des nouveaux clients: à Hong Kong, New York ou Londres, les grands crus continuent à s'arracher dans les salles de ventes des plus grandes maisons d'enchères.

«Cinq mille, 5200, 5500, 5800, 6000..., 6800, 7000...»: dans la bouche du commissaire priseur, les milliers de livres roulent à une vitesse que l'affichage sur écran géant ne peut pas suivre.

Un coup de tête discret, une oeillade imperceptible ou la main levée d'un intermédiaire relié par téléphone à un mystérieux interlocuteur, puis le commissaire lève son marteau et d'un coup sec, la bouteille de château Cheval Blanc 1947 est adjugée 9430 livres (plus de 17 000$). C'est près du double de sa fourchette d'estimation (4000 à 5000 livres).

Il n'aura fallu que quelques heures à la maison Sotheby's, à Londres, pour écouler un millier de bouteilles du Grand Cru Classé A de St-Émilion, dont des millésimes allant jusqu'à 1900. La somme totale de la vente, organisée mercredi, a atteint plus de 640 000 livres, soit le double de l'estimation; 100% des lots ont été vendus.

Un dynamisme surprenant en ces temps de crise. La consommation mondiale de vin a diminué en 2008, une atonie qui touche jusqu'aux plus grands noms. Les Lafite-Rothschild, Margaux ou autres Mouton-Rothschild ont annoncé des prix en forte baisse pour leurs primeurs 2008, de l'ordre de 50% par rapport à 2007.

Mais les salles de ventes, elles, ne semblent pas concernées.

«La crise ne nous a pas vraiment touchés», résume Serena Sutcliffe, directrice internationale du département vin chez Sotheby's. Le vent de panique qui a soufflé sur les marchés boursiers à l'automne dernier a poussé les maisons à revoir à la baisse les estimations, «autour de 20%», reconnaît Mme Sutcliffe. Mais cette «stabilisation» des prix, après les envolées précédentes, a fait venir «beaucoup de nouveaux clients, comme s'ils avaient eu peur d'entrer dans le marché auparavant», a-t-elle expliqué à l'AFP.

Entre 94% et 100% des lots ont ainsi été vendus lors des récentes enchères de vin chez Sotheby's à New York, Londres, ou Hong Kong.

Les chiffres sont semblables chez les concurrents. Une vente Christie's organisée à Londres en avril a permis d'écouler 100% des lots pour 1,3 million de livres (2,4 millions de dollars). Des caisses de 12 bouteilles de Lafite Rothschild 1982 ont alors trouvé preneur pour 23 000 livres (42 000$), soit 50% au-dessus de l'estimation haute. «Les prix ont retrouvé leurs niveaux de la mi-2008», se félicitait à l'époque Chris Munro, directeur des vins chez Christie's à Londres.

«Nous avons eu un certain essoufflement de la demande après l'effondrement de la banque Lehman (en septembre 2008) mais, depuis le début de 2009, la demande a repris dans l'ensemble du monde», précise Tim Triptree, expert chez Christie's. «Nous n'avons abaissé les estimations que pour quelques vins et durant peu de temps. Le marché est maintenant très solide», se félicite-t-il.

«Ça va très bien maintenant», confirme Richard Harvey, directeur des vins pour l'Europe chez Bonhams, ravi de voir s'effacer le souvenir de l'automne dernier. «En novembre, on n'arrivait plus à vendre 14 000 livres une caisse de château Lafite 1982, qui trouvait preneur pour 16 000 livres l'été d'avant. Mais on la vendait 15 000 en février et maintenant, le prix est revenu à la normale», explique-t-il.

En somme, la crise, si crise il y a eu, aura plutôt eu du bon, estime M. Harvey. «Elle a redonné au marché le sens des réalités: cela ne pouvait pas continuer indéfiniment à monter».