Le sucre, dont le prix a gagné plus de 30% depuis le début de l'année, fait saliver les investisseurs, qui parient que l'offre sera largement inférieure à la demande cette année, un spectaculaire retournement de situation après des années de surproduction.

En ces temps amers de récession économique, la douceur du sucre allèche non seulement les acteurs de la filière agroalimentaire mais aussi les investisseurs qui spéculent sur les matières premières - courtiers, banques et fonds d'investissement.

 

«Le sucre est le produit sur lequel nous sommes le plus optimistes», avec une hausse de 23% prévue pour 2009, affirme ainsi Philippe Chalmin, professeur d'histoire économique à Paris-Dauphine, qui supervise le rapport Cyclope, la «bible» annuelle des matières premières parue la semaine dernière.

La raison de cet appétit est simplement liée à l'offre et la demande - d'ordre «fondamental», en jargon financier. Les investisseurs anticipent la raréfaction de cette denrée qui avait été produite en abondance ces dernières années. Et comme chacun sait, ce qui devient rare... se paie plus cher.

Dès l'automne dernier, les institutions et les analystes diagnostiquant le marché du sucre ont pressenti que celui-ci allait passer en déficit après des années d'excédent. Depuis, ils n'ont cessé de revoir à la hausse leur estimation de la pénurie.

Ainsi, l'Organisation internationale du sucre (ISO), qui s'attendait il y a trois mois encore à un déficit de 4,9 millions de tonnes pour l'année 2008-2009, l'estime à présent à 7,8 millions de tonnes.

En un an, le paysage s'est donc métamorphosé: l'année précédente (2007-2008), le marché du sucre présentait un excédent de production de 5,95 millions de tonnes.

La maison de courtage Czarnikow, qui utilise une autre méthodologie, tablait en février sur un déficit de 10,4 millions de tonnes. «Ce déficit sera révisé en hausse», a indiqué à l'AFP un de ses analystes, Toby Cohen.

Dans ce retournement, l'Inde a joué un rôle clé, mis en lumière par Czarnikow dans son dernier rapport: la production indienne, qui était de 26,3 millions de tonnes l'an dernier, va presque chuter de moitié, à 14,7 millions de tonnes cette année.

Causée par un effondrement des surfaces plantées et des rendements dans les principaux États producteurs, Maharashtra et Uttar Pradesh, cette chute spectaculaire de 44% oblige l'Inde à importer du sucre, alors qu'elle était auparavant exportatrice nette.

«La chute énorme de la production indienne en 2008-2009 pose les jalons d'un déficit mondial de sucre d'ampleur historique, une situation plaidant de façon presque irréfutable en faveur d'une forte hausse des prix», résume donc Nicholas Snowdon, analyste chez Barclays Capital.

En plus de l'Inde, la Chine et l'Union européenne devraient elles aussi fournir des récoltes plus maigres. Au total, les réductions de production dans ces trois zones devraient représenter 17,18 millions de tonnes en moins sur le marché cette année, estime l'ISO.

Alléchés par la perspective d'une hausse des prix, les fonds ont récemment renforcé leurs achats, ce qui a dopé les cours. À New York, le prix du sucre a dépassé vendredi dernier 16 cents US la livre, une performance inédite depuis trois ans.

«La question qui se pose maintenant aux investisseurs est de savoir si les gains potentiels liés au déficit (sur le marché du sucre) se sont déjà exprimés ou si l'on peut extraire une valeur plus grande (de cet investissement)», s'interroge Nicholas Snowdon. Selon lui, la réponse est oui.

«Le risque que les prix grimpent encore est élevé», confirme Toby Cohen. D'autant qu'un autre paramètre pourrait encore jouer sur les cours: toute nouvelle hausse du pétrole augmenterait la demande d'éthanol, carburant optionnel, et partant celle du sucre.