Rarement les observateurs auront-ils été aussi divisés sur la voie que doit emprunter la Banque du Canada demain.

L'adoption et surtout la mise en place de mesures non traditionnelles d'allègement monétaire suscite beaucoup de palabres, mais il existe aussi une polémique sur l'utilité d'abaisser de nouveau son taux directeur, déjà très faible à 0,50%.

 

Des 19 économistes du secteur financier sondés par la firme Bloomberg, 12 optent pour le statu quo en ce qui concerne le taux cible de financement à un jour.

Des 11 économistes sondés par l'agence Reuters (dont plusieurs se retrouvent aussi dans l'échantillon de Bloomberg), trois seulement préconisent une ultime coupe de 25 centièmes.

Toutefois, six des 10 économistes (dont plusieurs des milieux universitaires) qui forment la commission ad hoc de politique monétaire de l'institut de recherches économiques C.D. Howe suggèrent un nouvel allègement.

(Pure coïncidence sans doute, au sein du secteur financier, les grandes institutions québécoises comme Casgrain, Desjardins, la Financière Banque Nationale (FBN) et Valeurs mobilières Banque Laurentienne souhaitent toutes le statu quo.)

Ce faisant, nos autorités monétaires se rapprocheraient davantage de la conduite adoptée par la Banque d'Angleterre (BdA) que de celle de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Le 9 avril, les autorités londoniennes ont choisi de maintenir à 0,5% le taux directeur au Royaume-Uni tout en activant la planche à billets dans l'espoir de réduire les coûts d'emprunts des entreprises et des particuliers.

Avec un taux d'inflation qui dépasse 3,0% et une cible de 2,0%, la BdA pouvait difficilement justifier une nouvelle coupe de son taux directeur, d'autant plus que l'effet d'une ultime diminution de 25 centièmes reste à démontrer.

«Nous partageons l'évaluation de la BdA selon laquelle une telle décision ne serait pas très efficace pour promouvoir la croissance», affirme Paul-André Pinsonnault, économiste principal à la FBN.

Au Canada, le taux d'inflation se situait à 1,2% le mois dernier, mais l'indice de référence de la Banque du Canada, qui exclut les composantes les plus volatiles du panier de biens et services comme les fruits et légumes frais ou l'essence et le gaz naturel, s'établissait à 2,0%, en plein sur sa cible.

Tous les observateurs chantent d'une seule voix que ce taux va diminuer au cours des prochains mois en raison de la récession qui allège les pressions sur le prix. L'affaiblissement du dollar canadien face au billet vert depuis octobre servira cependant encore plusieurs mois de bouclier contre la déflation.

Aux États-Unis, l'inflation est maintenant portée disparue, comme la Fed s'y attendait déjà. Voilà pourquoi elle a décidé le 16 décembre de laisser flotter son taux cible dans une fourchette inédite de 0 à 0,25%.

En ramenant le mois dernier de 1,0% à 0,5% son taux directeur, la Banque du Canada avait indiqué qu'elle travaillait à «raffiner l'approche qu'elle suivrait afin d'accentuer la détente monétaire si cela s'avérait nécessaire, par l'octroi de crédits et l'assouplissement quantitatif».

Depuis, comme la BdA, la Fed et la Banque Nationale de Suisse ont mis en place de tels programmes d'assouplissement, avec même un succès indéniable dans le cas de la BdA, plusieurs suggèrent à notre Banque d'en faire autant.

Au point où le premier avril, le gouverneur Mark Carney a dû faire cette mise en garde. «Entendons-nous bien: ce n'est pas parce que nous allons présenter ce cadre que nous adopterons nécessairement les options de politique monétaire qui en font partie.»

C'est jeudi que ledit cadre sera dévoilé.

Parmi les options envisagées, il y a l'achat de dette corporative de qualité, d'obligations du Canada et même des provinces.

Cette dernière possibilité viendrait à point nommé, au moment où les provinces devront se présenter sur les marchés pour financer leurs déficits après Ottawa, dont les besoins financiers dépasseront les 100 milliards cette année.

«Les taux des obligations provinciales demeurent bas sur une base absolue, mais les tensions financières ont poussé les écarts par rapport aux taux des obligations fédérales à des sommets historiques sur une base relative», rappelle Martin Lefebvre, économiste principal chez Desjardins.