Naguib Sawiris n'a pas peur de l'inconnu. Le richissime Égyptien, fondateur et président d'Orascom Telecom, revient tout juste de Corée-du-Nord, où son groupe investira 400 millions de dollars dans un réseau sans fil de troisième génération. Son pari? Une réunification possible des deux Corées! Orascom compte aussi injecter plus d'un demi-milliard pour mettre sur pied Globalive, qui ambitionne de se tailler une place dans l'industrie du sans-fil au Canada. En autant que le gouvernement lui accorde des licences... La Presse Affaires a joint l'homme d'affaires à son bureau du Caire.

Naguib Sawiris est un homme occupé. Cette semaine, le PDG du géant égyptien Orascom Telecom a finalement trouvé un moment pour s'entretenir avec La Presse Affaires... presque six mois après notre demande d'entrevue initiale.

 

Il faut dire que le milliardaire de 54 ans est à la tête d'un géant tentaculaire. Et méconnu à l'extérieur du milieu des télécoms. L'entreprise qu'il a fondée en 1998 compte plus de 79 millions de clients sans fil dans une dizaine de pays, pour la plupart au Maghreb, en Asie et au Moyen-Orient. Le groupe a enregistré un copieux chiffre d'affaires de 4 milliards US pendant les neuf premiers mois de 2008, malgré un revenu moyen par abonné minuscule.

Lorsque nous l'avons interviewé cette semaine, Naguib Sawiris revenait tout juste de Pyongyang, capitale de la Corée-du-Nord. Orascom compte y investir 400 millions de dollars US, même si, pour le moment, seule une poignée de résidants de cette dictature ont accès à la téléphonie sans fil.

Avec sa licence exclusive pour quatre ans et un réseau à bâtir de A à Z, le PDG voit une «occasion en or» au pays de Kim Jong-il. «Nous croyons que ce marché va ouvrir ses portes, qu'il va peut-être s'unifier avec la Corée-du Sud et que ce qui s'est passé entre les deux Allemagnes va se produire ici. Nous misons sur beaucoup de choses: notre coût d'entrée est bas, nos coûts et nos risques aussi, et le rendement pourrait être très, très élevé.»

Naguib Sawiris a toujours misé sur des marchés peu développés pour assurer la croissance de son entreprise. L'Égyptien, 60e fortune mondiale l'an dernier selon Forbes avec un actif de 12,7 milliards US, s'est notamment aventuré en Irak en 2003. Avant, il y avait eu le Bangladesh, l'Afrique, le Yémen, pour ne nommer que ceux-là.

Incursion au Canada

L'investissement du groupe au Canada, s'il se concrétise, constituera une première incursion en Amérique du Nord. Orascom veut injecter de 500 à 700 millions d'ici quatre ans pour aider Globalive à bâtir un tout nouveau réseau partout au pays, à l'exception du Québec (où la société n'a pas acheté de fréquences). Industrie Canada n'a pas encore délivré les licences et achève d'étudier le dossier pour voir si la participation du groupe égyptien respecte les limites de contrôle étranger permises par la loi.

Si sa voix ne trahit aucun enthousiasme au bout du fil -loin de là-, Naguib Sawiris fonde de grands espoirs sur le marché canadien, dominé à l'heure actuelle par l'oligopole Bell-Rogers-Telus. «Le taux de pénétration est encore très bas par rapport à l'Europe et aux États-Unis, les prix sont élevés et on ne voit pas une compétition très forte», dit-il.

À 62% (donc 62 appareils par 100 habitants), le taux de pénétration du sans-fil au Canada est en effet à des années-lumière de la moyenne des pays développés (101% au premier trimestre de 2008 selon Merrill Lynch) et de l'Europe (120%). Et le produit mensuel moyen par abonné est nettement plus élevé qu'en Europe (58$US contre 38$).

Une forte concurrence promet de s'organiser au pays d'ici le printemps 2010, du moins au Québec et en Ontario, avec l'arrivée de deux fournisseurs dynamiques: Vidéotron et Public Mobile. Globalive ne compte toutefois pas déclencher une guerre de prix, si l'on se fie à Naguib Sawiris. «Nous espérons gagner une part de marché modeste sans détruire la valeur.»

Reste qu'Orascom Telecom a fait sa marque -et le bonheur de ses actionnaires- depuis 11 ans grâce à sa faible structure de coûts. Pendant les neuf premiers mois de 2008, le géant a enregistré des revenus de 4,02 milliards US, et des profits de 397 millions, en empochant un revenu mensuel moyen d'à peine 6,60$US par client.

«C'est pourquoi nous sommes optimistes quant au marché canadien: nous savons comment fonctionner avec un modèle à bas coût, ce qui n'est pas le cas des fournisseurs canadiens», avance M. Sawiris.

Le PDG souligne que les salaires sont très bas dans la plupart des pays où Orascom est présent, tout comme le coût des services informatiques, des centres d'appels et des autres éléments nécessaires pour exploiter un fournisseur sans fil. Au Canada, Orascom misera plutôt sur son pouvoir de négociation avec les équipementiers pour permettre à Globalive de dégager de bonnes marges de profits.

Se distancier du père

Naguib Sawiris aurait pu ne jamais trop travailler et profiter de la fortune familiale. Son père, Onsi, a fondé en 1976 Orascom Construction Industries, un géant égyptien de la construction très présent au Moyen-Orient et dans les pays émergents, qui emploie aujourd'hui 50 000 personnes.

Il a commencé dans les années 80 à distribuer des équipements pour plusieurs géants informatiques en Égypte, ce qui lui a visiblement donné la piqûre de ce secteur. «Je représentais Lucent, Hewlett Packard, Cisco, Microsoft, et ensuite j'ai lancé ma première société internet, rappelle-t-il. Et j'ai trouvé que le modèle de se faire payer pour offrir des services était beaucoup plus attirant que de se faire payer pour vendre des produits.»

Orascom Telecom s'est incorporé en 1998 après avoir décroché des licences lui permettant d'opérer dans le secteur nouvellement privatisé de la téléphonie sans fil en Égypte.

Naguib Sawiris mise gros sur le Canada, mais il affirme n'avoir aucune visée sur le marché américain. Trop saturé, dit-il. Il invite aussi les investisseurs canadiens à s'intéresser à l'Égypte. «C'est un bon marché, très prometteur, avec une grosse population et de très bons prêts pour les investisseurs. Je les invite à venir ici, et s'ils ont un problème... ils n'ont qu'à venir cogner à ma porte.»