L'économie américaine prendra sans doute du mieux en seconde moitié d'année, mais elle sera dans un piètre état au moment où commencera sa convalescence.

Voilà pourquoi le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) a choisi hier sans surprise de reconduire «pour un certain temps» la fourchette de négociation de son taux cible qui peut osciller entre 0 et 0,25%. Il entend aussi multiplier les actions, même inusitées, pour rétablir des conditions de crédit normales pour les ménages et les entreprises.

 

«L'économie faiblit encore, lit-on dans le communiqué faisant part de sa décision. La production industrielle, les mises en chantier et l'emploi reculent fortement, car les consommateurs et les entreprises réduisent leurs dépenses. En outre, la demande mondiale semble ralentir significativement.»

Cela vient renforcer la prévision des experts selon qui le quatrième trimestre de 2008 a été le pire depuis 1982, en termes de croissance. Ils parient sur un recul de 5,4% du produit intérieur brut (PIB) en chiffres annualisés. On verra demain dans quelle mesure ils ont misé juste.

Le constat de la Fed survient quelques heures après la publication de la Mise à jour des perspectives économiques mondiales du Fonds monétaire international (FMI). Le FMI prévoit une contraction de 1,6% de l'économie américaine cette année, soit 50 centièmes de moins qu'il y a un mois à peine. Mince consolation, c'est moins mauvais que la décroissance anticipée de 2% pour l'ensemble des économies avancées et la zone euro et cela suppose une amélioration de la situation en cours d'année. (Le Canada s'en tirera mieux avec un recul de 1,2%.)

Le FMI souligne que son sombre scénario est entaché d'un risque à la baisse advenant que les États ne s'attaquent pas énergiquement aux tensions financières. «Les interactions pernicieuses entre l'activité réelle et les marchés financiers vont (alors) s'intensifier, et ainsi avoir des effets encore plus néfastes sur la croissance mondiale», prévient-il.

La Fed le sait fort bien et se dit prête à remuer ciel et terre, si nécessaire. Elle a réitéré sa volonté de prolonger la période et la quantité de ses rachats de titres adossés à des créances hypothécaires pour soutenir l'immobilier résidentiel.

En outre, «le Comité est aussi prêt à acheter des obligations à long terme du Trésor si les circonstances indiquent que ce type de transactions se révèle très utile à l'amélioration des conditions du crédit dans les marchés privés».

Bref, le recours à des mesures non conventionnelles pour la mise en place de la politique monétaire fait l'objet de vifs échanges au sein du Comité. Fait des plus significatifs, Jeffrey M. Lacker, président de la Réserve fédérale de Richmond, a voté contre la décision annoncée hier. Il aurait préféré que la Fed élargisse la masse monétaire en rachetant immédiatement des titres du Trésor américain.

«Sa dissension est l'élément marquant du communiqué, selon Derek Holt et Karen Cordes, économistes chez Scotia Capitaux. Cela reflète un doute au sein de la Fed assez grand pour qu'on juge à-propos de conserver cette option.»

«Il est clair désormais que la Fed est disposée à recourir davantage à des outils non conventionnels», renchérit Millan Mulraine, stratège chez TD valeurs mobilières.

Le rachat de Bons du Trésor à longue échéance a pour but d'exercer des pressions sur les taux d'intérêt à long terme en créant beaucoup de demande. Plus les taux obligataires de l'État sont faibles et plus ceux des obligations d'entreprises à long terme sont susceptibles de baisser.

L'écart entre les deux taux s'est considérablement accru depuis la faillite de Lehman Brothers, en septembre.

La panique qui s'est emparée des marchés au lendemain de cette nouvelle avait poussé le taux des Treasuries de 10 ans près de la barre des 2% car tous les investisseurs se les arrachaient.

Depuis, ils ont recommencé à monter. Le taux s'élevait à 2,65% hier. Cette remontée est sans doute au coeur des inquiétudes de M. Lacker qui reflète les attentes des marchés et du FMI.

«L'accent doit être mis sur le déblocage des principaux marchés de crédit (c'est-à-dire ceux où les écarts de rémunération sont élevés et la liquidité est faible», précise l'organisme.

Les mesures quantitatives posent des problèmes de communication pour la Fed. Comme les investisseurs ne peuvent mesurer jusqu'où elle peut aller, ses actions ont moins d'effet immédiat. «La Fed doit démontrer clairement qu'elle déploie tous ses parachutes pour aider l'économie, soutient Sherry Cooper, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux. Sa tâche consiste à convaincre les marchés et le public en général qu'elle peut encore soutenir l'économie même avec un taux cible à zéro.»