Personne ne paraît douter que la Banque du Canada poursuive demain l'assouplissement monétaire qui l'a déjà conduite à abaisser son taux directeur à 1,5%, un creux depuis 50 ans

Personne ne paraît douter que la Banque du Canada poursuive demain l'assouplissement monétaire qui l'a déjà conduite à abaisser son taux directeur à 1,5%, un creux depuis 50 ans

Un vif débat anime cependant les milieux financiers et les économistes, débat d'autant plus stimulant que la Banque a surpris à maintes reprises depuis que Mark Carney en a pris les rênes, le 1er février dernier.

La baisse sera-t-elle de 50, 75 ou 100 centièmes? Sera-t-elle la dernière? Sinon, jusqu'où est-elle prête à le rapprocher de zéro, comme l'a fait la Réserve fédérale américaine, en fin d'année?

Les grandes institutions financières joueront-elles pleinement leur rôle d'intermédiation avec les entreprises et les consommateurs en abaissant d'autant leur taux préférentiel?

L'exemple de décembre

En décembre, elles avaient refilé seulement 50 des 75 centièmes consentis par la banque centrale, car leurs coûts de financement n'ont pas cessé d'augmenter depuis la faillite de Lehman Brothers, en septembre, qui a semé l'effroi parmi les investisseurs institutionnels.

À l'exception de Desjardins, les grandes sociétés financières canadiennes parient toutes sur une baisse de 50 centièmes du taux de la Banque centrale.

Plusieurs d'entre elles pensent cependant que le geste de demain ne sera pas le dernier. Au printemps, la Banque pourrait bien porter son taux directeur à 0,5% seulement. «Pourquoi ne pas donner un bon coup tout de suite?», suggère Benoit P. Durocher, économiste principal de Desjardins.

Après, les mesures stimulatrices budgétaires d'Ottawa et de Washington seront connues.

«En portant le taux à 0,75%, on se garde encore un peu de munitions, mais il n'en restera pas beaucoup.»

C'est précisément l'élément invoqué par les tenants majoritaires d'une baisse de 50 centièmes à 1%.

«Nous sommes d'avis que la Banque va vouloir éviter d'influencer le marché monétaire et de se rapprocher d'un taux cible de financement à jour de zéro», expliquait la semaine dernière Charmaine Bulkas, stratège principal à TD Valeurs mobilières. Si la Banque retranchait 75 points cette fois-ci et 50 la fois suivante (le 3 mars), alors il lui resterait bien peu de marge. Cela plaide pour deux baisses successives de 50 centièmes.

Michael Gregory, de BMO Marchés des capitaux, partage en gros ce point de vue. Lors de sa dernière annonce, le 9 décembre, la Banque avait adopté un ton plus nuancé sur la suite des événements, rappelle-t-il. Son communiqué précisait qu'elle entendait examiner les données avec soin pour évaluer «dans quelle mesure une nouvelle détente monétaire sera nécessaire».

Bref, la porte restait tout juste entrouverte. Depuis, la détérioration de l'économie canadienne s'est accélérée et la confiance des ménages et des entreprises a plongé en piqué, comme en font foi l'indice du Conference Board et l'Enquête sur les perspectives des entreprises, menée par la Banque elle-même.

C'est ce qui pousse les spéculateurs à parier sur une baisse de 75 centièmes, voire de 100. «Nous jugeons cela un peu radical, explique M. Gregory. Nous misons sur une baisse de 50 centièmes, mais il existe des risques évidents que ce soit davantage.»

Si l'économie canadienne est entrée en récession à l'automne, cela fait tout de même moins longtemps que celle des États-Unis qui décroît en outre plus vite encore.

La faiblesse du dollar

La Banque évoquait aussi le fait que la faiblesse relative du dollar canadien allait agir comme tampon pour les producteurs de biens de base, aux prises avec l'effondrement des prix fixés en dollars américains, et pour les manufacturiers exportateurs qui gagnent un avantage concurrentiel relatif sur les marchés étrangers.

Toutefois, la faiblesse du dollar canadien face au billet vert a pour effet aussi de ralentir la décélération du taux d'inflation. Selon les prévisions de la Banque faites cet automne, le rythme annuel de l'inflation aurait dû se situer à 1,8% au dernier trimestre. Il était plutôt de 2% en novembre. Aux États-Unis, il n'était plus que de 0,1%, le mois dernier.

Vendredi, Statistique Canada confirmera que le rythme annuel d'inflation a ralenti en décembre. L'indice de référence, surveillé attentivement par la Banque parce qu'il fait abstraction des éléments très volatils comme l'essence, devrait toutefois pointer encore au-dessus de la cible de 2%.

Bref, le risque de déflation qui commande des baisses énergiques du taux directeur est moins flagrant de ce côté-ci de la frontière, bien que le ralentissement présent continue d'exercer des pressions à la baisse sur les prix des services et des biens produits au pays.

Jeudi, la Banque publiera aussi la mise à jour de son Rapport sur la politique monétaire. En octobre, elle prévoyait que le Canada éviterait la récession de justesse. En décembre, elle se rectifiait et admettait sans ambages qu'il y était entré.

Restera à voir jusqu'où et jusqu'à quand la Banque estime désormais que nous sommes enlisés.