À l'été 1929, quelques mois avant le krach du Jeudi noir, ce qui allait devenir la Grande Dépression prenait naissance. Près de 80 ans plus tard, les États-Unis et le reste du monde se retrouvent à nouveau dans une situation économique désastreuse.

À l'été 1929, quelques mois avant le krach du Jeudi noir, ce qui allait devenir la Grande Dépression prenait naissance. Près de 80 ans plus tard, les États-Unis et le reste du monde se retrouvent à nouveau dans une situation économique désastreuse.

On a entendu souvent, depuis l'éclatement de la crise financière de 2008, des références aux années 1930, parfois pour dire à quel point la ressemblance est inquiétante, parfois pour souligner les différences. Parallèles entre deux crises du capitalisme.

Une bulle de crédit qui se gonfle. Les prix des actions qui s'envolent. Les prix de l'immobilier qui grimpent démesurément. Nous sommes en 1929, il y a maintenant 80 ans.

Puis, au cours de l'année, les statistiques économiques plafonnent, le crédit se bloque, les liquidités se raréfient: c'est la crise financière.

À l'automne, la Bourse en pâtit sévèrement.

Si les premiers mois de la Grande Dépression (qui a germé bien avant le krach du 24 octobre 1929) ont des similitudes certaines avec l'année économique 2008, la ressemblance pourrait ne jamais aller plus loin.

«Je ne pense pas que la crise actuelle puisse s'approcher de la magnitude de la Grande Dépression», dit Jeffrey Frankel, professeur d'économie à l'Université Harvard. Au plus fort de la Grande Dépression, le chômage avait frappé plus du quart de la population active aux États-Unis. Les prix à la consommation ont chuté de 10% par année. Et ça a duré longtemps.

«La Grande Dépression n'était pas grande parce qu'elle a été très grave initialement, mais parce qu'elle a duré très longtemps et empiré constamment», précise Gene Smiley, professeur émérite à l'Université Marquette et auteur du livre Rethinking the Great Depression, en entrevue avec La Presse Affaires.

Des chemins différents

Si la crise financière et la récession actuelles ne semblent pas en voie de se transformer en dépression, c'est que «la magnitude de la réaction est totalement différente», dit Jeffrey Frankel.

Tous les experts s'accordent à dire que, en 1929, la Fed n'a pas joué son rôle de prêteur de dernier recours.

Les banques ont commencé à faire faillite les unes après les autres. Au total, plus de 10 000 d'entre elles ont déclaré banqueroute.

Les déposants, assaillis par l'inquiétude de perdre leur argent faute d'assurance dépôt, ont fait des retraits massifs. En contrepartie, les banques survivantes ne prêtaient plus, de peur d'être à leur tour victimes des retraits massifs de leurs déposants.

«Il y a eu une contraction énorme de la masse monétaire, de 30% en trois ans, raconte Daniel Racette, professeur titulaire à HEC Montréal, qui a fait son doctorat sur la Grande Dépression. Et la Fed n'a jamais dit que ça n'avait pas de sens. Elle n'a jamais fourni de liquidités pour que les institutions fassent leur travail.»

«C'est exactement ce que veut éviter aujourd'hui le président de la Fed, Ben Bernanke», dit M. Racette.

Car c'est cette contraction de la masse monétaire, puis l'inaction de la Fed au vu des faillites bancaires, qui ont démarré la spirale vers le pire en 1929, nous dit Gene Smiley.

Et si les prix chutaient en même temps que la masse monétaire, ils ne descendaient pas aussi vite, souligne l'économiste.

Il a fallu le congé bancaire de quatre jours imposé par le président Franklin Roosevelt pour que l'ordre revienne dans les activités bancaires. C'était en mars... 1933. La création de l'assurance dépôt a aussi été d'un grand secours.

Apprentissages

Aujourd'hui, la réaction diffère. On a appris au moins quelques leçons.

Les grandes économies ne se sont pas mises au protectionnisme - une erreur catastrophique dans les années 1930. Les gouvernements ne songent plus non plus à hausser les impôts pour équilibrer les budgets à tout prix - ce qui avait achevé le consommateur il y a huit décennies.

Et Ben Bernanke, de son côté, se tient à des années-lumière de ses inactifs prédécesseurs à la Réserve fédérale.

«Cette fois-ci, les banquiers centraux se sont ligués pour colmater le problème des liquidités, dit Daniel Racette. Je vois la volonté de Bernanke de continuer d'agir, d'un traitement-choc à l'autre (plan Paulson, baisse des taux, etc.). Il ne veut pas que la roue cesse de tourner.»

En d'autres mots, Bernanke veut que les banques se remettent à transformer les dépôts en prêts, à jouer leur rôle d'intermédiation.

Pour ce faire, il faut que Bernanke, après avoir abaissé le taux directeur de la Fed à tout près de 0%, «mette des liquidités sur les marchés jusqu'à ce que l'intermédiation reprenne», soutient M. Racette.

Dans une toute nouvelle édition de son ouvrage The Return of the Depression Economics, le Prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman, se montre sceptique en évoquant les 700 milliards du plan Paulson pour sauver Wall Street.

Il y a un risque que les banques s'assoient sur ces nouvelles liquidités, note-t-il, comme ce fut le cas dans les années 1930.

«Mais il faut arroser le marché jusqu'à ce que ça débloque», insiste Daniel Racette.

Puis retirer l'argent après coup pour éviter une trop forte inflation.

Imprimer de l'argent

«Ils impriment de l'argent comme des fous actuellement», lance d'ailleurs Gene Smiley, lui aussi convaincu que Ben Bernanke, qui a étudié la Grande Dépression, comprend bien ce qui est arrivé.

Il est vrai que l'idée d'arroser abondamment le système peut provoquer certaines résistances. Mais s'il existe une ressemblance évidente entre les années 1930 et aujourd'hui, c'est que ce sont des situations tout à fait inhabituelles.

«Nous avons des résistances à l'innovation, concède M. Racette. Mais ces situations demandent aux banquiers centraux de faire des choses qu'il ne font pas, qui ne sont pas dans les normes ou dans la routine. Ça prend de l'imagination.»