La mère de Patrick vit seule dans une maison libre d'hypothèque, à l'écart d'un petit village de la Mauricie. Entretenue mais jamais rénovée, la maison de 1890 montre encore son revêtement en clins de bois et «toutes les portes originales, avec les serrures à grosses clés», explique Catherine, la conjointe de Patrick.

La mère de Patrick vit seule dans une maison libre d'hypothèque, à l'écart d'un petit village de la Mauricie. Entretenue mais jamais rénovée, la maison de 1890 montre encore son revêtement en clins de bois et «toutes les portes originales, avec les serrures à grosses clés», explique Catherine, la conjointe de Patrick.

Âgée de 66 ans, la dame parvenait jusqu'à tout récemment à boucler son budget avec un maigre revenu de 12 000 $.

Mais l'alimentation en eau sur la nappe phréatique s'est tarie. Il a fallu creuser un puits artésien, ce qui a du même coup puisé 15 000 $ dans ses économies et les a presque mises à sec.

«Elle est vraiment inquiète parce qu'elle chauffe au mazout et que le prix augmente, déplore Catherine. Elle ne peut plus supporter ces imprévus, que pour notre part nous pourrions probablement absorber.»

Patrick et Catherine se proposent de racheter la maison, de prendre en charge le chauffage, l'entretien et les réparations urgentes, et de demander à la dame un modeste loyer de 400 $. Tous les deux au début de la trentaine, ils ont deux enfants en bas-âge, et sont eux-mêmes propriétaires d'une maison en banlieue de Montréal, sur laquelle court une hypothèque de 159000 $.

«De notre côté, indique Catherine, nous espérons qu'il sera fiscalement avantageux de l'aider puisque la maison deviendrait un immeuble locatif.»

Quelques calculs

La bonne volonté est bien présente, mais les moyens vont-ils de pair? C'est ce que la planificatrice financière Chantal Hébert, de RBC Gestion de patrimoine, s'est attachée à déterminer.

Première étape: préciser les dépenses occasionnées par la seconde propriété.

La planificatrice suppose que la transaction serait conclue au juste prix de 45 000 $. Le couple n'a aucune liquidité à consacrer à la mise de fonds. Notre planificatrice la fixe au tiers du prix d'achat, soit 15 000 $. Des travaux d'entretien d'environ 15 000 $ sont en outre à prévoir. Ces 30 000 $ seraient financés avec la marge de crédit des conjoints, pour laquelle ils paieraient des frais d'intérêt de 150 $ par mois.

L'emprunt hypothèque atteindrait pour sa part 30 000 $. Amorti sur 25 ans avec un taux d'intérêt de 6 %, ce prêt détermine des mensualités de 192 $.

Il faut encore compter les taxes foncières de 1200 $, les frais de chauffage de 3300 $ par année, la prime d'assurance de 600 $, et les dépenses annuelles pour le déneigement et l'entretien du terrain de 1500 $. Ces frais totalisent à eux seuls 6600 $, soit 550 $ par mois, ce qui excède déjà le loyer de 400 $ demandé à la mère de Patrick.

Au total, les débours s'élèvent à 10 700 $ par année et les revenus de location à 4800 $, pour un déficit de 5900 $.

L'affaire est mal engagée

Chantal Hébert a ensuite aidé le couple à établir son bilan budgétaire. Pour un revenu familial de 137 000 $, les dépenses du couple s'élèvent à 92 000 $ par année, si on inclut leurs cotisations aux REER. L'exercice montre qu'il y a bien peu de place pour absorber des dépenses supplémentaires de près de 6000 $. «L'ajout de ce nouveau projet dans leur budget actuel demande une analyse soignée de leurs priorités familiales», observe la planificatrice.

Patrick et Catherine escomptaient que des déductions fiscales leur permettraient d'éponger en partie ce déficit. «Cependant, met en garde Chantal Hébert, une publication de l'Agence du revenu du Canada mentionne que si vous louez un bien à un membre de votre famille et que vous lui demandez un loyer inférieur à celui que vous demanderiez à un autre locataire, ce qui vous fait perdre de l'argent, vous ne pouvez pas déduire de perte de location.»

À ce propos, sa collègue fiscaliste Nathalie Fisette-Caza, spécialiste en planification financière chez Gestion de patrimoine RBC, rappelle que les règles fiscales québécoises et fédérales ne sont pas parfaitement symétriques. Ainsi, au Québec, il serait possible de déclarer des pertes de revenus même si le locataire est un parent, dans la mesure où au moins 50 % des locataires ne sont pas apparentés au propriétaire. Malheureusement, cette exception ne s'applique pas à la mère de Patrick, qui habite seule sa maison.

«Je ne suis pas certaine que l'achat de la maison par le fils soit la bonne option, avance Mme Fisette-Caza. Il prend en charge les dépenses et les risques, mais il perd les avantages fiscaux.» En effet, quand il vendra lui-même la maison, Patrick devra acquitter l'impôt sur le gain en capital réalisé depuis l'achat, ce dont sa mère est dispensée parce qu'il s'agit de sa résidence principale.

Elle aurait pu céder la maison avec un billet payable à la succession lors de la vente ou du décès, suggère la fiscaliste. Mais ici encore, le gain en capital serait imposable pour ses enfants.

En raison du déficit annuel de 5900 $, Chantal Hébert déconseille elle aussi l'aventure. «Sur le plan financier, le couple mettrait en péril son équilibre budgétaire en plus de négliger les épargnes pour les études des enfants et les projets de retraite», observe-t-elle.

Reste la possibilité que la mère demeure propriétaire et tente seule de faire face à l'entretien. «Elle pourrait utiliser son REER, avec des retraits occasionnels, pour payer le coût des travaux au fur et à mesure qu'ils seront nécessaires au maintien de la propriété centenaire, fait valoir la planificatrice. Compte tenu de son revenu peu élevé, les conséquences fiscales seraient raisonnables.»

Elle pourrait également transformer son REER en FERR. La rente mensuelle qu'elle en tirerait servirait à payer les intérêts d'une marge de crédit, laquelle serait remboursée lors de la vente de la maison. En touchant cette rente, la mère de Patrick dégagerait des crédits d'impôts pour revenu de pension, dont elle ne profite pas présentement parce que les prestations gouvernementales sont ses seuls revenus.

Chantal Hébert avance une dernière suggestion: Patrick pourrait partager les coûts de son projet avec les autres membres de sa famille. Le poids financier serait réparti sur plusieurs épaules... et les questions de succession seraient peut-être plus simples à régler.

LA SITUATION

Catherine et Patrick veulent aider la mère de ce dernier à demeurer dans sa maison centenaire, en dépit de ses faibles revenus. Ils proposent d'acheter la maison et de prendre en charge les dépenses de chauffage et d'entretien, en échange d'un loyer de 400 $.

LES CHIFFRES

Patrick

34 ans

Revenus : 78 000$

REER: 30 000$

Mère de Patrick

66 ans

Revenus : 12 000$

REER: 25 000$

Catherine

31 ans

Revenus : 59 000$

REER: 44 000$

Dettes

Hypothèque: 159 000$

Prêt auto: 27 000$

L'OPINION

L'achat de la maison de 45 000$ entraînerait pour le couple un déficit annuel de 5900$. Et contrairement à leurs espoirs, la manoeuvre ne leur permettrait aucune déduction fiscale supplémentaire, parce que la perte de location est causée par un loyer de faveur accordé à un parent. Il faudra trouver une autre solution...

Chantal Hébert, planificatrice financière, Gestion de patrimoine RBC.