La nuit, Olivier Gagnon fait souvent le même rêve. L'histoire se déroule en plein boom économique et le carnet de commandes de son employeur, le fabriquant de meubles Canadel à Louiseville, est rempli à craquer. À titre de directeur des ressources humaines, M. Gagnon passe ses journées à recruter de nouveaux employés.

La nuit, Olivier Gagnon fait souvent le même rêve. L'histoire se déroule en plein boom économique et le carnet de commandes de son employeur, le fabriquant de meubles Canadel à Louiseville, est rempli à craquer. À titre de directeur des ressources humaines, M. Gagnon passe ses journées à recruter de nouveaux employés.

Le matin, son réveil est brutal. Car ces temps-ci, Olivier Gagnon se spécialise plutôt dans les mises à pied. Encore la semaine dernière, 27 employés sont passés par son bureau pour se faire dire qu'ils n'avaient plus de boulot. «Ce sont tous d'excellents ouvriers; si je pouvais, je les réembaucherais demain matin», soupire le directeur.

Logée au coeur du quartier industriel de Louiseville, l'usine fabrique des chaises, des tables et des buffets. Des meubles solides, en bois franc, vendus surtout aux États-Unis.

Mais ces jours-ci, les consommateurs américains ne sont pas d'humeur à changer de mobilier. «La situation n'est pas évidente pour une industrie comme la nôtre», constate Michel Devault, propriétaire de cette entreprise fondée il y a 26 ans.

Au cours des dernières années, son bateau a traversé sa part de turbulences. La montée du prix du pétrole qui augmentait les coûts de transport. La hausse du dollar canadien qui freinait les exportations. «Dès qu'on voit une lumière au bout du tunnel, une nouvelle tuile nous tombe dessus», dit-il. Résultat: l'entreprise qui employait 1200 employés au début des années 2000 n'en compte plus qu'un demi-millier. Et le pire est peut-être à venir.

En tout cas, Johanne Lambert, 47 ans, ne se fait pas d'illusions. La semaine dernière, elle a vu partir neuf de ses collègues du service des chaises. «L'ambiance est pas mal morte ici; si les choses ne s'améliorent pas, il y aura d'autres congédiements après Noël», craint-elle.

Déboires en série

Les noms des usines qui ont longtemps fait vivre la Mauricie se déclinent comme un chapelet de mauvaises nouvelles: Belgo, Aleris, Wayagamack, Norsk Hydro. Depuis 18 mois, ce sont 1500 emplois industriels qui se sont envolés en fumée.

Tout n'est pas noir, au contraire. Car à Trois-Rivières, à Shawinigan ou à Bécancour, de l'autre côté du fleuve, de nouvelles entreprises, souvent moins polluantes, ont pris le relais de ces monstres industriels. Avec son usine ultramoderne, Canadel a longtemps été l'un de ces fleurons économiques, un exemple de ce qui peut faire vivre la Mauricie après l'aluminium et le papier.

Mais dans cette région en pleine transition économique, tous les yeux sont maintenant tournés vers la vague qui enfle à l'horizon. Doit-on s'attendre à un tsunami?

Les entreprises réunissent leurs employés pour les avertir que les temps seront difficiles dans les mois qui viennent. Et tous préparent des scénarios pour parer au pire.

«Nous avons déjà commencé à ressentir les effets de la crise et je m'attends à ce que les deux premiers trimestres de 2009 soient désastreux», explique Clément Boisvert, propriétaire d'un magasin de meubles à Trois-Rivières. Mentalement, il se prépare à une récession comme celle du début des années 80, alors que son chiffre d'affaires avait rétréci de 40%.

Un grain de poivre dans l'engrenage

Avec ses repas gastronomiques et son mur vitré donnant sur le fleuve, le restaurant Poivre noir est un peu le symbole du Trois-Rivières de l'ère «post-papetière», une ville qui reprend possession de ses berges et qui ne baigne plus dans l'odeur douceâtre de la pulpe.

Mais la pomme de ris de veau ou l'osso bucco de cerf braisé, ça passe mal en temps de crise économique. Les affaires de ce «cinq étoiles» ont ralenti au point que le propriétaire, Daniel Yves Durand, envisage de fermer le restaurant pendant les temps morts. Le mardi soir, par exemple.

Ce qui fait surtout rouler Poivre noir en cette période d'incertitude, ce ne sont pas tant les soupers de couple à la chandelle que les rencontres de groupe. En octobre, le restaurant a pu maintenir son chiffre d'affaires grâce à des séances d'information sur l'état des investissements organisées par une banque du coin...

Le propriétaire a pu jaser avec plusieurs des clients venus entendre les gestionnaires de leurs portefeuilles. «Certains ne sortaient plus de leur sous-sol, ils ne regardaient plus la télévision et ne lisaient plus les journaux pour éviter de tomber sur une succession de nouvelles catastrophiques», raconte-t-il.

Cette semaine, le restaurateur compte réunir ses employés pour leur parler de la situation économique et les appeler à «se serrer les coudes».

Selon lui, la période de Noël constituera «le moment de vérité» pour les commerçants du coin. Il reste optimiste, table sur les nombreux projets qui ont déjà permis à Trois-Rivières de redresser la tête. Reste que «le mal appréhendé sème la terreur, on ne peut pas ne pas être angoissé».

Tout se tient

Habituellement, le camion qui vient livrer le contenu des bacs de recyclage au centre de tri de la Mauricie, à Saint-Étienne-des-Grès, déverse son lot de journaux et de bouteilles dans un grand entrepôt au milieu de l'usine.

Mais ces temps-ci, l'entrepôt déborde et le camion doit laisser sa cargaison à l'extérieur. Encore en septembre, le carton se vendait 110$ la tonne. Aujourd'hui, il vaut 40$. Mais c'est un prix théorique. En vérité, ce carton, personne n'en veut. Pas même gratuitement. Alors, les ballots de papier s'empilent.

Les prix des matières recyclables connaissent des fluctuations cycliques. «Mais je ne les avais jamais vus s'effondrer à ce point», dit Michel Camirand, directeur général de Récupération Mauricie qui doit disposer de ces montagnes de détritus.

Les coups viennent de partout. Le centre de tri vendait 20% de son papier à la Belgo de Shawinigan... qui a fermé l'an dernier. Le principal client pour son carton est la compagnie Smurfit de Matane, qui vient de suspendre ses achats jusqu'à Noël.

C'est que la demande pour son produit, le carton d'emballage, a chuté abruptement. Forcément: quand les consommateurs n'achètent plus, il y a moins de produits à emballer... D'ailleurs, un des principaux clients de Smurfit, Circuit City, vient de se placer sous la protection de la Loi sur la faillite.

La crise frappe toute l'industrie du recyclage. «Pendant combien de temps peut-on entreposer tout ça?» demande Michel Camirand en jetant un coup d'oeil sur les ballots de carton autour de lui. L'autre question est encore plus angoissante: «En ce moment, je n'ai aucun revenu, mais j'ai des dépenses. Pendant combien de temps pourrai-je tenir le coup?»

Récupération Mauricie est un centre de travail adapté qui emploie des personnes handicapées. La semaine dernière, le directeur a réuni son personnel. «Pour l'instant, nous cherchons des solutions pour éviter les mises à pied», leur a-t-il annoncé. Pour l'instant.