En 2007, le Québec a connu une excellente année en matière de création d'emplois. Plus de 86 000 nouveaux emplois se sont ajoutés, la meilleure performance en cinq ans. Mais la même année, en pleine période de croissance économique, le secteur manufacturier a perdu 38 000 emplois.

En 2007, le Québec a connu une excellente année en matière de création d'emplois. Plus de 86 000 nouveaux emplois se sont ajoutés, la meilleure performance en cinq ans. Mais la même année, en pleine période de croissance économique, le secteur manufacturier a perdu 38 000 emplois.

«Le secteur manufacturier québécois rétrécit d'année en année», constate Jean Laneville, économiste principal de la Fédération des chambres de commerce du Québec. Dans son récent bilan de l'économie du Québec, il n'hésite pas à parler de «désindustrialisation» et ça n'a rien à voir avec la crise financière actuelle.

Tandis que le nombre de PME manufacturières diminue, celles qui restent n'investissent pas ou très peu. Les chiffres sur l'investissement sont décourageants. «C'est une statistique qui m'angoisse», avoue l'économiste.

L'investissement en machinerie et en matériel est le nerf de la guerre pour les entreprises manufacturières. C'est à condition d'investir et d'augmenter leur productivité que les PME québécoises survivront dans un monde où la concurrence est impitoyable.

La hausse rapide du dollar en 2007 a fait mal aux manufacturiers québécois parce qu'elle a rendu leurs produits plus chers sur les marchés d'exportation. Mais la force du dollar devait avoir un bon côté, celui de permettre aux manufacturiers de se moderniser en achetant à meilleur compte de l'équipement dernier cri, le plus souvent fabriqué à l'étranger et vendu en dollars américains.

Ce n'est pas ce qui s'est passé. Même les mesures fiscales proposées par le gouvernement québécois pour stimuler les investissements n'ont pas eu les effets escomptés. C'est inquiétant, estime Jean Laneville.

Les 38 000 pertes d'emplois font en sorte que sur le plan de la productivité, le secteur manufacturier s'est amélioré en 2007. Il réussit à faire plus avec moins d'employés. Mais cette embellie est une illusion, selon l'économiste, qui craint que le ralentissement de l'économie américaine aggrave l'affaiblissement du secteur manufacturier.

«Les PME vont être les premières à écoper, parce qu'elles sont au bout de la chaîne alimentaire», prévoit-il.

Une part qui rétrécit

Les PME manufacturières sont généralement considérées comme essentielles au développement économique parce qu'elles utilisent les nouvelles technologies, elles paient des salaires plus élevés et elles sont plus actives sur les marchés d'exportation.

Au Québec, la part du secteur manufacturier dans l'économie décroît d'année en année. Elle est passée de 23,6% à 19% entre 2000 et 2005 et son déclin se poursuit. C'est le secteur des services qui prend de plus en plus d'importance, avec une part qui a crû de 60% à 65,1%pendant la même période.

L'annonce de la mort du secteur manufacturier est un peu prématurée, estime par contre Simon Prévost, économiste et président de la section québécoise de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

«Ça fait 50 ans que la part du secteur manufacturier diminue dans l'économie», souligne-t-il. Dans tous les pays industrialisés, l'activité manufacturière se déplace vers les pays où les coûts de main-d'oeuvre sont moins élevés.

Le Québec est devenu une économie de services, selon Simon Prévost, et ce n'est pas dramatique. «Les emplois du secteur des services ne sont pas tous des McJobs», explique-t-il, en précisant que les salaires dans les services financiers ou l'informatique sont aussi bons, sinon meilleurs, que dans une PME manufacturière.

Cela dit, le porte-parole de la FCEI reconnaît que le secteur manufacturier exporte généralement plus que le secteur des services, ce qui crée davantage de richesse dans l'économie.

L'effet américain

Le ralentissement aux États-Unis risque de faire d'autres victimes dans le secteur manufacturier, admet-il. Les entreprises qui dépendent trop du marché américain verront baisser leurs carnets de commandes et devront faire des mises à pied.

L'horizon n'est toutefois pas complètement bouché, estime-t-il. Les PME s'en tirent parfois mieux que les grandes entreprises dans les périodes économiques troubles.

«Il y a certains avantages à être petit», explique Simon Prévost. La grande majorité des PME ne sont pas inscrites à la Bourse, et ne sont donc pas affectées actuellement par l'extrême volatilité des marchés financiers.

Leurs dirigeants peuvent avoir une vision à plus long terme que le prochain trimestre.

L'accès au financement peut devenir plus difficile, mais ça ne veut pas dire que les sources de financement se sont taries, selon lui. À moins d'une improbable débâcle des banques canadiennes, les entreprises dont la situation est saine réussiront à se financer. En outre, la plupart des PME financent une partie de leurs investissements à même leurs bénéfices non répartis, un peu comme un ménage épargne avant de rénover sa maison.

Les fluctuations du dollar canadien restent un casse-tête permanent pour les entreprises exportatrices. La crise financière et le ralentissement généralisé de l'économie qui a suivi a, par contre, fait baisser la valeur du dollar, ce qui est nettement à l'avantage des entreprises exportatrices. «La chute du dollar équivaut à une baisse de prix de 30% des produits fabriqués au Québec. Ça vient compenser une partie de la baisse éventuelle des ventes», explique Simon Prévost.

Les PME exportatrices ont aussi appris à se protéger des fluctuations du dollar en utilisant différents produits d'assurance (hedging). «Il y a un coût à ça, mais généralement, l'entreprise est gagnante.»

D'autres facteurs atténuent l'impact du ralentissement sur les PME, selon lui. Les coûts de l'énergie sont en baisse, l'inflation est sous contrôle et les taux d'intérêts sont bas. «On est chanceux dans notre malchance», commente-t-il.

Inquiétude en hausse

Les coups de sonde réguliers effectués par la FCEI auprès de ses membres indiquent tout de même que l'inquiétude grimpe en flèche chez les dirigeants de PME. Même constat au Fonds de solidarité FTQ, qui a commandé un sondage auprès de 200 dirigeants de PME. Les entrepreneurs ont été sondés une première fois en septembre et une deuxième en octobre, pour tenir compte des bouleversements survenus sur les marchés financiers. L'inquiétude a plus que doublé en un mois, passant de 15% d'inquiets à 35%. La part de ceux qui prévoient des jours difficiles a quintuplé entre les deux sondages, de 6% des répondants à 32%.

Mais la fièvre a beau augmenter, la crise financière n'a pas encore contaminé le secteur manufacturier québécois, constate le président du Fonds de solidarité, Yvon Bolduc.

Le Fonds a mis une réserve spéciale de 40 millions à la disposition des PME dans lesquelles il est actionnaire pour renflouer les fonds de roulement mis à mal par la crise financière. Seulement 10% de cette réserve a été utilisée, a fait savoir M. Bolduc, ce qui prouve que le resserrement des conditions de crédit n'a pas encore fait trop de ravage dans les entreprises québécoises.

Autre signe qui ne trompe pas: ce ne sont ni les conditions de financement ni la récession qui préoccupent le plus les dirigeants qui viennent tout juste d'être sondés par le Fonds, mais la difficulté de recruter et de garder les employés qualifiés!