Louis est diplômé en anthropologie, mais il est commis de bureau. Marie a une maîtrise en littérature, mais elle travaille à petit salaire dans une librairie pour payer son loyer.

Louis est diplômé en anthropologie, mais il est commis de bureau. Marie a une maîtrise en littérature, mais elle travaille à petit salaire dans une librairie pour payer son loyer.

Les personnes surqualifiées représentaient 27% des travailleurs en 2007, selon une étude de l'Institut de la statistique du Québec. Parce qu'ils n'ont pas pu dénicher un emploi dans leur domaine, ces gens doivent faire un boulot où leurs compétences sont sous-utilisées. Et leur nombre a augmenté depuis 10 ans. En 1997, ils étaient 22%.

«Le début de la décennie 1990 a été marqué par une récession, l'emploi reculant de façon importante, note Sandra Gagnon, auteure de l'étude. Cette conjoncture économique, combiné au fait que les personnes issues des générations du baby-boom occupent toujours une bonne part de l'emploi, a eu pour effet de réduire le nombre d'emplois disponibles pour les nouveaux venus.»

Les architectes

Un groupe professionnel très représentatif de ce phénomène est celui des architectes.

«Selon l'année de leur promotion, il y a de grandes différences dans leur situation, explique Anne-Geneviève Girard, psychologue industrielle et spécialiste dans la gestion des talents. Ceux qui sont sortis de l'école les bonnes années ont fait de belles carrières, et ceux qui ont eu leur diplôme dans les mauvaises années n'ont jamais réussi à travailler dans ce domaine.»

Ces diplômés mal employés sont une grande perte pour les organisations, dit Mme Girard. D'autant plus qu'après plusieurs années passées à faire autre chose, il est parfois trop tard pour revenir à sa discipline.

«Ces gens ont été gaspillés, alors qu'aujourd'hui on aurait besoin d'eux, au degré d'expérience où ils devraient être rendus, dit la psychologue. »

«C'est un vide de génération qui a l'effet inverse: on est maintenant obligés de prendre des gens sous-qualifiés pour remplacer ceux qui n'ont pas été intégrés.»

Problèmes d'orientation

Pendant que des diplômés sont sous-employés, on se retrouve avec une pénurie de main d'oeuvre dans plusieurs domaines. Beau paradoxe.

«Cela est dû au fait que les gens sont mal orientés, et qu'ils ne s'informent pas assez de la situation économique et des besoins du marché, dit Mario Charette, conseiller d'orientation. Une fois qu'ils ont une hypothèque à payer et des enfants, c'est difficile de changer. L'autre raison, c'est que beaucoup de gens sont intéressés par des domaines en faible demande. Les arts sont un exemple classique.»

Par ailleurs, les études avancées sont de plus en plus valorisées au détriment de professions plus techniques très demandées. Mais ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, croit Anne-Geneniève Girard.

«Ce serait désolant que les étudiants fassent leur choix professionnel uniquement en fonction des débouchés, dit-elle. Ce serait un gaspillage de talent incroyable.»

Le secret est d'arriver à une réconciliation entre ce qu'une personne est et ce que le marché du travail lui offre pour répondre à ses besoins, autant psychologiques qu'économiques, selon Mario Charette.

L'impact sur la vie

«Le travail demeure la principale façon de s'accomplir dans notre société, dit Anne-Geneviève Girard. C'est une source de reconnaissance et de prestige. Mais à cause des obligations financières, les gens sont parfois obligés de troquer leur besoin d'accomplissement contre leur besoin de sécurité.»

Est-ce un bon choix? «À court terme, oui, dit la psychologue. Mais à long terme, c'est un choix qui les gruge à petit feu. Ils se sentent sous-accomplis.»

Cette insatisfaction a des effets sur plusieurs aspects de la vie, notamment familiale et conjugale, explique Mme Girard. «Quand un conjoint est insatisfait de son travail et arrive à la maison tous les soirs avec sa frustration, cela met beaucoup de pression sur la dynamique familiale», dit-elle.

Et au bureau, ce n'est guère plus productif. «C'est toxique pour les organisations d'avoir des employés comme ça, ajoute-t-elle. Il faut trouver des avenues et des projets spéciaux pour leur permettre de se développer et d'obtenir de la reconnaissance.»

Mais l'entreprise n'est pas la seule responsable. C'est aussi à l'employé de se prendre en main.

«Certains entrent dans une organisation et vont poursuivre une deuxième formation. Ils vont chercher d'autres habiletés pour monter là où ils se trouvent», dit Mme Girard.

Toutefois, dans certains emplois, il y a peu d'avancement possible. «Ce sont des choix d'impasse, dit Mme Girard. Intéressants à court terme, mais stagnants, car il n'y a pas de possibilité de se développer dans cet univers.» Une situation malsaine pouvant mener au burnout ou à la dépression. Pour compenser le manque de satisfaction au travail, d'autres chercheront à s'accomplir dans un passe-temps ou une passion. Mais cela risque de demeurer une échappatoire, croit la psychologue.