En théorie, Joseph Facal est d'accord avec l'idée de retourner en déficit en ces temps économiques difficiles. Mais le professeur à HEC Montréal n'a pas oublié une vieille leçon apprise durant ses années en politique: distinguer la théorie de la pratique.

En théorie, Joseph Facal est d'accord avec l'idée de retourner en déficit en ces temps économiques difficiles. Mais le professeur à HEC Montréal n'a pas oublié une vieille leçon apprise durant ses années en politique: distinguer la théorie de la pratique.

«En théorie, il est juste de dire qu'il ne faut pas faire de l'absence de déficit un dogme absolu. En pratique, ma crainte est que, comme un alcoolique qui demande un dernier verre, nous retournions dans cette spirale de déficits que nous avons connue pendant 40 ans», dit l'ancien président du Conseil du Trésor avec un sens de la formule dont lui seul a le secret.

Au Québec comme au Canada, le déficit zéro est devenue une réalité politico-économique obligée. Durant la dernière campagne électorale, la simple suggestion de la part de Stéphane Dion de retourner en déficit a déclenché une controverse suivie d'une rétractation du chef libéral. «Sur la scène politique, le déficit zéro est devenu une religion, dit Christopher Ragan, professeur d'économie à l'Université McGill. Même Jack Layton ne veut pas faire de déficit! Il y a 20 ans, le NPD était contre le déficit zéro.»

L'économiste Jack Carr a un coupable tout désigné afin d'expliquer la peur des Canadiens à l'égard des déficits: l'ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau. Sous Trudeau -ainsi que sous son successeur conservateur Brian Mulroney-, les déficits se sont accumulés, devenant sans cesse plus imposants. «Trudeau a commencé à dépenser, mais il n'a pas augmenté les impôts en conséquence», dit Jack Carr, professeur d'économie à l'Université de Toronto.

«Le problème à l'heure actuelle, c'est que les Canadiens ont peur des déficits car ils se rappellent où les ont menés les déficits des années 70 et 80, continue Jack Carr. L'autre danger d'un déficit causé par un ralentissement économique, c'est que le gouvernement se mette à dépenser plus que prévu. Bob Rae a essayé de sortir l'Ontario d'une récession en dépensant. Ce fut une mauvaise décision: la récession a finalement été plus dure pour l'Ontario que le reste du pays.»

L'économiste Christopher Ragan croit que le premier ministre Stephen Harper -le premier économiste à diriger le pays- est l'homme capable de raisonner les Canadiens sur la question du déficit.

«Les Canadiens n'auraient pas peur d'un déficit conjoncturel s'il leur était bien expliqué, dit-il. C'est simple: l'économie va moins bien, les revenus sont à la baisse et les dépenses à la hausse, mais tout ça va se rééquilibrer quand l'économie va repartir. On peut expliquer en cinq minutes, et Stephen Harper serait capable de le faire s'il le voulait vraiment.»

Le Mouvement Desjardins voit toutefois un facteur qui pourrait empêcher Stephen Harper de retourner en déficit: son gouvernement minoritaire. «La marge de manoeuvre d'un gouvernement minoritaire est plus faible, dit l'économiste en chef adjoint du Mouvement Desjardins, Yves St-Maurice. De toute façon, les gouvernements ont toujours tendance à penser à court terme. C'est l'un des problèmes de notre système.»

La dure réalité de la politique. C'est ce qui fait tant hésiter Joseph Facal, président du Conseil du trésor du Québec en 2002 et 2003, à favoriser un retour au déficit au Québec. Selon lui, le danger d'une rechute dans la gestion des finances publiques est bel et bien présent. «En théorie, je suis prêt à considérer un déficit, mais il faut être extrêmement prudent en inscrivant ce déficit annuel à l'intérieur d'un plan global pour retrouver l'équilibre budgétaire, dit-il. Le retour au déficit est un scénario dangereux qu'il faut considérer avec une extrême prudence.»

Joseph Facal préfère toutefois un retour au déficit à des coupes importantes dans les services publics. «Si c'est le prix à payer pour éviter un déficit sont des coupes draconiennes dans les services publics, qu'on en fasse un déficit, dit-il. Si c'est fait prudemment, avec doigté, de façon transparente et que le déficit est bien expliqué aux gens, il n'est pas un obstacle infranchissable. Il faut toutefois du courage politique, ce qui semble être une denrée rare.»

CONTRE

Un déficit causé par un ralentissement économique (conjoncturel) peut mener à un déficit permanent (structurel) au fil des ans s'il est mal géré par les gouvernements.

Un déficit causé par un ralentissement économique doit être accompagné d'un plan adéquat afin de retrouver l'équilibre budgétaire à moyen terme (3-5 ans).

Tout déficit a des effets négatifs sur la devise du pays s'il est financé sur les marchés étrangers comme ce fut le cas pour les déficits canadiens dans les années 70 et 80.