En cassant la décision de la Cour d'appel du Québec en faveur des détenteurs d'obligations de BCE, la Cour suprême a évité de chambouler les pratiques établies en matière de transactions d'entreprises, estiment des experts.

En cassant la décision de la Cour d'appel du Québec en faveur des détenteurs d'obligations de BCE, la Cour suprême a évité de chambouler les pratiques établies en matière de transactions d'entreprises, estiment des experts.

«Il y a un certain soupir de soulagement dans le milieu des fusions et acquisitions d'entreprises. En reconnaissant de nouveaux droits aux détenteurs d'obligations, comme l'avait fait la Cour d'appel, ça ouvrait la porte à toutes sortes de considérations pour les créanciers d'entreprises qui sont l'objet d'une transaction. Et quand ça commence, où ça s'arrête?» a commenté Nicolas Marcoux, directeur des services-conseils en transactions d'entreprises chez PriceWaterhouseCoopers, à Montréal.

«En ce sens, la Cour suprême a donc opté pour le statu quo. Par ailleurs, avec ce qui s'est passé chez BCE, ça va sûrement inciter les avocats et les financiers à ajouter des clauses dans leurs prochains contrats d'obligations afin de parer aux effets d'un changement majeur, comme une acquisition par endettement.»

C'est aussi l'opinion de l'avocat d'affaires torontois Richard Powers, qui dirige le programme de MBA à l'École de gestion Rotman de l'Université de Toronto.

«Après toute cette affaire de BCE, les investisseurs en obligations d'entreprises chercheront sans doute à inclure des clauses de protection envers les conséquences d'un changement de contrôle de l'entreprise émettrice.»

Par ailleurs, d'autres analystes estiment que la décision de la Cour suprême a le mérite de maintenir la primauté des intérêts des actionnaires lors d'une transaction d'entreprise.

«Les détenteurs d'obligations font partie des créanciers d'une entreprise, avec des recours liés au paiement des intérêts tel que convenu. C'est différent des actionnaires, qui sont les vrais propriétaires d'une entreprise et assument le risque associé à cette propriété», a souligné Louis Hébert, professeur et analyste en stratégie d'affaires aux HEC.

«Si la Cour suprême avait entériné le jugement de la Cour d'appel, elle aurait aussi cautionné une bonification des droits des créanciers d'une entreprise par rapport à ceux de ses actionnaires. Outre BCE, une telle décision aurait pu bouleverser le marché des obligations d'entreprises au Canada.»

Mais pour les tenants d'une meilleure gouvernance d'entreprise, c'est-à-dire les responsabilités des conseils d'administration et des hauts dirigeants des entreprises, la décision de la Cour suprême s'avère décevante.

«Le maintien de la décision de la Cour d'appel du Québec aurait été un progrès en matière de gouvernance, selon le principe du respect des intérêts des divers intervenants: actionnaires, créanciers, employés, etc. Mais la Cour suprême en a décidé autrement, préférant la prudence du statu quo dans le droit des affaires», a indiqué Michel Nadeau, directeur de l'Institut sur la gouvernance d'organisations, à Montréal, et ex-vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Déception semblable du côté de Stephen Jarislowsky, président-fondateur de l'importante firme de gestion de placements Jarislowsky Fraser de Montréal et cofondateur de la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance d'entreprises, à Toronto.

«En négociant une transaction aussi endettée avec Teachers, qui dégrade la cote de crédit de BCE, le conseil de BCE savait qu'il provoquerait une dévaluation de ses obligations qui ont été achetées par des investisseurs sur la foi de la cote de crédit», selon M. Jarislowsky.

«Désormais, cette dévaluation atteint 20% ou un milliard sur les cinq milliards d'obligations sur le marché. Et tout ça, au seul bénéfice de l'acheteur de BCE, Teachers. C'est légal, certes, mais ce n'est pas éthique. Mais ça, le conseil de BCE paraît s'en être fiché complètement.»

BCE en un coup d'oeil

- Activités : plus grande entreprise de télécommunications au Canada, comme société mère de Bell Canada.

- Siège social : Montréal

- Effectifs : 54 000 employés

- Chiffre d'affaires (4 trimestres au 31 mars) : 18,3 milliards

- Bénéfice net (4 trimestres au 31 mars) : 3,8 milliards

- Valeur boursière (20 juin) : 28 milliards (34,80$ par action)

- Actionnariat : Teachers (6%), Banque Scotia (4,4%), Banque TD (3,6%), Harris Financial (3,1%), Barclays Investors (2,7%), Banque Royale (2,6%), Fonds Mackenzie (2,1%), Crédit Suisse (2%), etc.

- Offre d'achat convenue avec Teachers et associés : 34,5 milliards (42,75$ par action)

- Valeur totale de la transaction, dette incluse : 52 milliards

- Date de l'offre de Teachers et associés : 29 juin 2007

Source : BCE, Bloomberg, Bourse de Toronto