«Tout part de la haute direction». Voilà une autre idée répandue qui tient du mythe, selon Henry Mintzberg, le réputé penseur de la gestion de l'Université McGill.

«Tout part de la haute direction». Voilà une autre idée répandue qui tient du mythe, selon Henry Mintzberg, le réputé penseur de la gestion de l'Université McGill.

«Pour trouver les vrais acteurs de changement et du développement des stratégies, il faut surtout aller voir du côté des cadres intermédiaires», affirme-t-il.

Plusieurs écrits grand public sur la gestion mettent en relief l'importance de la haute direction et des superviseurs de premier niveau pour les employés. On parle moins des cadres intermédiaires. Qu'en pensez-vous?

C'est curieux, le monde est pourtant plein de cadres intermédiaires!

Il existe deux points de vue pour définir leur rôle.

Le premier point de vue, celui qu'on entend le plus souvent, les définit comme des courroies de transmission entre la haute direction et la base. Ces middle managers, comme on les désigne en anglais, feraient descendre les décisions - top to bottom - puis ils rendraient compte de leur exécution - bottom to top.

Cette idée repose sur la conception de la vie des organisations comme une réplique parfaite de leurs organigrammes, avec leurs hiérarchie à la verticale et leurs boîtes empilées pour former des pyramides.

Imaginez qu'un hélicoptère vous dépose au sommet d'une pyramide en Égypte. Vous n'avez aucune idée que c'est une pyramide; vous voyez un rectangle. Vous n'avez aucune idée de ce qui se passe à l'intérieur. Et les gens autour, en bas, sont si loin qu'on ne les voit pas.

C'est une distorsion de la réalité. Aucune organisation ne fonctionne comme ça.

L'autre point de vue, celui que je défends, souligne plutôt que les cadres intermédiaires jouent, dans les organisations, un rôle qui va bien au-delà de la gestion du trafic de haut en bas et de bas en haut.

C'est parmi ce groupe que l'on peut trouver le plus de gens qui dirigent vraiment les changements. Non seulement ils «mettent en oeuvre» des stratégies, mais ils en créent.

La haute direction est souvent trop détachée pour le faire et les superviseurs de premier niveau ne possèdent pas une vue assez large des enjeux.

Parmi les cadres intermédiaires, on trouve souvent des personnes qui connaissent bien les opérations et qui ont l'oreille de la haute direction. Elles peuvent «chuchoter à l'oreille des dieux» ce qu'elles voient, entendent et touchent sur le terrain.

Q Pourquoi les cadres intermédiaires peuvent-ils jouer ce rôle?

Pour le comprendre, clarifions d'abord dans quel univers ils évoluent.

Les organisations sont des réseaux. Elles ne sont pas des pyramides.

Leurs membres tiennent des réunions, échangent des téléphones et des courriels, entre eux et avec l'extérieur. Ils se rencontrent dans les corridors, autour de la machine à café, à la cafétéria. Ils mangent ensemble au restaurant, prennent un verre après le travail.

Plusieurs décisions se prennent d'ailleurs dans ces endroits qui ne sont pas, formellement, des lieux de travail.

Dès que nous envisageons les organisations comme des réseaux, notre compréhension du management et du leadership change. L'apport réel des gestionnaires ne se mesure alors plus en fonction de leur place dans l'organigramme, «en haut», empilés les uns par-dessus les autres.

Nous devons examiner où ils se situent dans le réseau.

Et où est donc le management dans un réseau?

Dans un réseau, le management doit être partout, c'est-à-dire sur le terrain, dans toutes sortes de réunion, avec toutes sortes de personnes, dans les couloirs, les aires de repos, etc.

Si la haute direction se voit comme étant au sommet de son organisation, c'est un problème.

On peut être au sommet de l'échelle salariale. Installer ses bureaux au dernier étage. Mais être au sommet d'un réseau, c'est être à l'extérieur. Si la haute direction se voit comme étant au centre ou au milieu de son organisation, c'est aussi un problème.

Dans un réseau, si un groupe se voit comme au centre des choses, il ramène tout à lui et affaiblit l'ensemble du réseau. L'organisation devient «centralisée».

Les gestionnaires qui, dans leur travail quotidien, sont parmi les plus susceptibles de connaître, de comprendre et d'agir adéquatement partout dans le réseau sont les cadres intermédiaires.

Prenons l'exemple de la fonction publique, pourtant perçue comme un parfait exemple de fonctionnement pyramidal. Selon mes propres expériences, beaucoup fonctionnent autant en réseaux que selon les lignes hiérarchiques, y compris la Gendarmerie royale du Canada.

Qu'est-ce que vous avez vu à la GRC?

En 1993, j'ai suivi pendant une journée trois de ses gestionnaires: son plus haut dirigeant, le commissaire général Normand D. Inkster; un cadre intermédiaire, le commandant de la division de la Nouvelle-Écosse, Allan Burchill; et un superviseur de premier niveau, commandant d'un détachement local dans cette province, Ralph Humble.

J'ai aussi lu plusieurs documents officiels.

En observant ces trois cadres, j'ai été frappé par deux choses.

La GRC était beaucoup plus une culture qu'une hiérarchie. L'engagement de ses membres envers les valeurs de cette culture était aussi important que leur système d'autorité. Pendant ma journée en compagnie du commissaire Inskter, j'ai noté qu'une grande partie de son travail consistait à préserver et à promouvoir cette culture.

La deuxième chose qui m'a frappé, c'est que, par exemple, une discussion dans un bureau de Nouvelle-Écosse portait sur des événements survenus au Yukon. Peu importe leur place dans l'organisation, les gens étaient très bien informés de ce qui se passait partout au pays.

Qui est le stratège dans un réseau?

Tout comme le management est partout dans un réseau et dans le même esprit, n'importe quelle personne peut devenir stratège quand elle a des idées et a les moyens de les concrétiser. Et les middle managers, sans faire partie du top management, peuvent être au Top of the Things, une expression que les anglophones utilisent quand ils veulent dire qu'ils savent ce qui se passe.