Comme il serait facile, et surtout extrêmement profitable à court terme, pour Penny Shuster de faire fabriquer ses chaussures et ses bottes en Chine! Baisse des coûts de production, augmentation marquée des profits... Un scénario alléchant, non?

Comme il serait facile, et surtout extrêmement profitable à court terme, pour Penny Shuster de faire fabriquer ses chaussures et ses bottes en Chine! Baisse des coûts de production, augmentation marquée des profits... Un scénario alléchant, non?

Or, l'idée même de faire appel à des sous-traitants dans l'Empire du Milieu horripile au plus haut point la présidente de Penshu, l'entreprise à qui l'on doit les produits La Canadienne.

«Il n'y a pas de droits de l'homme là-bas. Pourquoi j'irais en profiter? À quoi ressemblera l'avenir de nos enfants si on ferme nos usines ici pour aller faire fabriquer ailleurs? Les gens ont perdu le sens des valeurs; ce n'est pas possible de continuer comme ça», lance Penny Shuster.

La femme d'affaires détonne. Pour elle, on ne peut faire du commerce sans être «responsable», un mot qu'elle prononcera à maintes reprises au cours de son entretien avec La Presse Affaires.

Elle est vexée lorsque certains détaillants lui lancent: «Ce n'est qu'une question de temps avant que vous ne déménagiez votre production.»

«Je ne serais pas capable de le faire et d'abandonner mes employés, qui, pour la plupart, ont de 15 à 20 ans d'ancienneté. Je me sens responsable d'eux», explique la présidente de la PME.

Il faut croire que peu de gens dans l'industrie partagent la vision de Mme Shuster et de son conjoint, Gianni Lamanuzzi, les deux seuls actionnaires de Penshu, dont les ventes annuelles totalisent 15 millionsde dollars.

Au Canada seulement, on comptait 300 fabricants de chaussures et de bottes dans les années 60. Aujourd'hui, ils sont 10 fois moins nombreux: 32 d'un océan à l'autre. La majorité de ces 300 fabricants d'une autre époque ont fermé boutique; les autres ont déménagé leur production au pays de Mao ou ailleurs.

Si bien qu'aujourd'hui, environ 58% des chaussures vendues dans le monde sont fabriquées en Chine.

«Et 87% des 120 millions de paires de bottes et de chaussures vendues au Canada tous les ans sont elles aussi fabriquées en Chine, où il y a 40 000 usines de chaussures», explique Georges Hanna, président de l'Association des manufacturiers de chaussures du Canada.

Selon M. Hanna, même si l'industrie n'est plus ce qu'elle était jadis, le Canada arrive tout de même à occuper un créneau particulier: celui des bottes. Des bottes imperméables, de travail ou d'hiver.

Outre Penshu et sa marque de commerce La Canadienne, le Québec compte 17 entreprises (dont Genfoot et Rallye) qui fabriquent encore une partie de leurs produits ici.

Penshu est avant tout une entreprise spécialisée dans la botte imperméable pour femmes. Sa collection hivernale (environ 100 modèles de bottes et de chaussures fourrées) est entièrement fabriquée à Montréal par ses quelque 100 artisans.

Artisan est en effet le mot qui sied le mieux ici, car fabriquer une botte ou une chaussure nécessite près d'une centaine d'opérations manuelles. Dans ses ateliers, Penshu en produit quelque 150 000 paires par année.

Les cuirs utilisés par la PME viennent tous d'Italie. C'est aussi en Italie que l'entreprise fait fabriquer sa collection estivale (chaussures, sandales, etc.).

«On fait à Montréal ce qu'on connaît le mieux, c'est-à-dire les bottes d'hiver», explique Penny Shuster.

Les produits de milieu et de haut de gamme de La Canadienne se vendent entre 150$ et 500$. La PME exporte 70% de sa production aux États-Unis, dans les magasins les plus prestigieux. Les 30% restants trouvent surtout preneurs au Québec et en Ontario.

Tous marchés confondus, les bottes et les chaussures La Canadienne sont distribuées dans plus de 2000 points de vente. Malgré la faiblesse du dollar américain, la croissance annuelle de Penshu avoisine les 10% ces dernières années.

C'est par le plus grand des hasards que Penny Shuster s'est découvert une passion pour la chaussure. Son rêve était de faire du cinéma. Mais lorsque son père, Michael, fondateur de La Canadienne, lui a demandé de venir travailler pour lui, elle a accepté un poste de réceptionniste.

Rapidement, son intérêt pour la chaussure a pris le dessus. Si bien que son père l'a envoyée étudier le design de chaussures en Italie au début des années 90. C'est là qu'elle a rencontré son conjoint, Gianni, avec qui elle a deux enfants.

De retour au Québec, les tourtereaux s'investissent graduellement dans l'entreprise et en deviennent propriétaires. En 1999, ils laissent tomber la sous-traitance (qui représentait 50% de leur chiffre d'affaires) et se consacrent dorénavant à la marque La Canadienne, laquelle existe depuis 1961.

Au chapitre des nouveautés, la PME vient d'inaugurer sa toute première boutique rue Laurier. Un investissement que la présidente préfère taire. Il n'est pas exclu qu'elle en ouvre d'autres. Ou qu'elle explore le marché européen à court terme.

Mais chaque chose en son temps, rappelle Penny Shuster, qui préfère gérer sa croissance plutôt que précipiter les choses au risque de «s'enfarger» dans ses lacets.