Un travailleur autonome aux yeux du fisc peut désormais être un salarié en droit du travail. Deux jugements récents de la Cour supérieure viennent de le confirmer.

Un travailleur autonome aux yeux du fisc peut désormais être un salarié en droit du travail. Deux jugements récents de la Cour supérieure viennent de le confirmer.

La société Dicom Express vient d'être condamnée à verser 36 000$ en dommages pour congédiement, rupture de contrat d'emploi et dommages moraux à un ancien messager à son service pendant 10 ans en Abitibi.

Dicom alléguait ne pas avoir de lien juridique avec cet homme puisqu'il offrait ses services via une compagnie à numéro liée par un contrat d'entreprise.

Or, le 27 juillet, l'Honorable Jacques A. Léger, de la Cour Supérieure du Québec, a réfuté cet argument en rappelant que le qualificatif donné à un contrat a peu de poids en droit du travail. C'est la relation réelle entre les deux parties qui compte.

La preuve a démontré que Dicom déterminait notamment les routes, le coût des services et la rémunération des messagers. Ces derniers devaient de plus participer à une formation obligatoire et étaient l'objet d'un suivi et d'un contrôle serré.

Un paravent

Selon le juge Léger, la compagnie à numéro du messager n'était qu'un paravent et une boîte aux lettres servant au partage des commissions.

«Eu égard à l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la seule existence d'une compagnie ne saurait, en l'espèce, masquer le lien de subordination qui existe par ailleurs entre Dicom et le demandeur», précise-t-il.

Selon Me Benoit Roberge, du cabinet Dunton Rainville et avocat du messager, le mérite de ce jugement a été de confirmer, une fois de plus, que c'est la nature du travail et son encadrement qui importent pour les tribunaux.

«Le juge a fait la distinction entre l'entrepreneuriat et ce qui n'en est pas», souligne Me Roberge.

Dicom entend porter en appel ce jugement qui va exactement dans la même direction qu'une décision rendue deux jours plus tôt.

L'Honorable Marc de Wever, de la Cour Supérieure, a en effet condamné l'École Vanguard Québec à verser à un ancienne cadre des dédommagements de près de 100 000$ à la suite du non-renouvellement de son contrat.

Avant d'être remerciée, la dame était, comme le messager, rémunérée via une compagnie et elle avait signée un contrat d'entreprise. Elle avait demandé et obtenu de son employeur un statut de travailleuse autonome au plan fiscal.

Le juge Wever a jugé que ce mode de rémunération ne changeait rien à ses conditions de travail caractérisées par la subordination au conseil d'administration de l'École.

Les avocats de la Commission des normes du travail (CNT) sont régulièrement confrontés à débusquer le statut réel de plaignants derrière les titres et les adjectifs accolés à leur contrat.

«On peut être incorporé, facturer ses services et avoir le statut fiscal de travailleur autonome tout en étant salarié au sens de la Loi sur les normes», confirme Me Caroline Gagnon, avocate à la CNT. Le lien de subordination est le premier critère utilisé dans de tels cas.

«Pour un travailleur autonome au plan fiscal, même un haut niveau d'autonomie n'est pas incompatible avec une reconnaissance comme salarié en droit du travail», précise-t-elle.

En cas de litige ou de doute, Me Gagnon conseille de faire appel à la CNT.

«Si nous évaluons que malgré son titre, le plaignant est un salarié, nous pouvons le défendre sans frais devant la Commission des relations de travail», dit-elle. Les recours devant les tribunaux civils sont beaucoup plus longs et plus coûteux.

Me Sibel Ataoguuel, du cabinet Melançon Marceau Grenier Sciortino, rappelle pour sa part que les personnes embauchées comme «entrepreneurs indépendants» peuvent aspirer à la syndicalisation s'ils remplissent les critères de salariés.

«Le droit de se syndiquer ne disparaît pas en raison du qualificatif choisi dans leur contrat. Les tribunaux vont examiner, comme dans les cas de congédiement, les liens réels entre les travailleurs et l'employeur», dit-elle.