«Bonnes capacités de travailler en équipe», précisent la majorité des offres d'emploi. Certaines entreprises placent même le travail d'équipe parmi leurs vvaleurs. Sur le terrain, le pratiques contredisent les discours.

«Bonnes capacités de travailler en équipe», précisent la majorité des offres d'emploi. Certaines entreprises placent même le travail d'équipe parmi leurs vvaleurs. Sur le terrain, le pratiques contredisent les discours.

Le philosophe René Villemure, président de l'Institut québécois d'éthique appliquée, réalise régulièrement des diagnostics éthique dans des entreprises.

Il sursaute lorsqu'elles ont hissé le travail d'équipe au rang de valeur.

«Une valeur, c'est une raison de faire qui est nécessairement moralement positive. Le travail d'équipe, c'est une façon de faire moralement neutre, à laquelle il faut donner un sens», explique-t-il.

«À quoi et à qui servent les équipes ? Aux gestionnaires, aux clients, aux actionnaires ? Ce n'est jamais dit. Et plusieurs gestionnaires qui vantent les équipes y participent rarement. Ils créent des silos à l'horizontale», poursuit-il.

Par ailleurs, plusieurs pratiques contredisent le discours de valorisation des équipes.

«Les évaluations et la rémunération sont liées aux performances individuelles. Les équipes sont sans pouvoir et sans moyens. Les nombreux mouvements de personnel sont un autre frein: pour faire un travail d'équipe, il faut une équipe», dit-il.

Pour toutes ces raisons, René Villemure n'est pas étonné d'entendre tant de salariés dire qu'ils détestent le travail d'équipe. Parmi ses clients qui font exception, on retrouve les corps policiers.

«Pendant une opération policière, chaque participant sait exactement ce qu'il doit faire et pourquoi. Il sait comment ses collègues vont réagir et il sait que ceux qui sont derrière lui vont le couvrir. La même cohésion existe chez les partenaires de patrouille», dit-il.

Selon René Villemure, dans la majorité des organisations, ce qu'on qualifie de travail d'équipe est plutôt une façon de suivre les normes et directives à plusieurs.

«Le travail d'équipe devient une valeur affichée qui ajoute une marge d'incohérence dans la vie des organisations», dit-il.

Quelle équipe ?

Depuis cinq ans, la sociologue Julie Dussault réalise des entrevues avec des agents des services correctionnels pour l'équipe Recherches sur les impacts psychologiques, organisationnels et sociaux du travail (RIPOST), de Québec.

Plusieurs d'entre eux parlent avec nostalgie du travail d'équipe traditionnel, c'est-à-dire de tâches effectuées par les mêmes personnes, au même moment, avec un même chef. Les membres de ces équipes faisaient preuve de solidarité devant les bons coups et les erreurs.

«La notion d'équipe a changé. Leur composition est ponctuelle, temporaire et souvent éphémère. Les équipes réunissent des permanents, des surnuméraires et des individus extérieurs à l'organisation. Rarement les mêmes selon les quarts de travail», explique Mme Dussault, également candidate au doctorat à l'Université Laval.

Malgré les discours sur l'équipe, la responsabilisation individuelle domine. Les agents disent être plus craintifs lorsqu'ils commettent des erreurs. Ils deviennent alors les seules cibles des réprimandes. De plus, le contrôle ne vient plus d'abord du superviseur mais des autres membres de l'équipe.

«Malgré leur nom, les équipes sont de moins en moins des collectifs. Elles sont des collections d'individus», résume Mme Dussault.

Équipe et précarité

Louise Briand, professeur au département de sciences comptables à l'Université du Québec en Outaouais, a observé une organisation du savoir, pendant un an, dans le cadre de ses travaux de doctorat.

Cette entreprise est passée, dans les années 1990, d'une structure bureaucratique très hiérarchisée au modèle d'organisation par équipe. Simultanément, on y a créé de plus en plus de postes temporaires et contractuels.

Mme Briand a découvert que travail d'équipe et précarité forment un cocktail explosif.

«On disait vouloir favoriser le maillage des connaissances par la mise en place d'équipes multidisciplinaires. Paradoxalement, le travail en équipe a diminué. Tout le monde s'est mis à se protéger en ne partageant pas l'information», dit-elle.

Plusieurs salariés lui ont même mentionné qu'ils se sentaient plus libres et autonomes dans l'ancienne structure hiérarchique des années 1970. Pour voir leurs contrats renouvelés, certains travaillaient pendant les fins de semaines. D'autres avaient renoncé à leurs vacances et même à avoir des enfants.

Selon Mme Briand, la mise en place d'équipes est devenue, très souvent, une façon d'aller chercher à la pièce l'expertise dont l'organisation a besoin, sous le couvert d'encourager l'autonomie et la créativité.

«Ce n'est pas en adoptant le modèle de l'organisation par équipe que les gens travaillent en équipe pour autant. Tout organisation qui affirme valoriser le travail en équipe devrait avoir des indicateurs de performance collectifs», conclut-elle.