À l'opposé de bien des exportateurs québécois, Jeremy Reitman sourit lorsqu'il regarde le huard poursuivre son ascension par rapport à la devise américaine.

À l'opposé de bien des exportateurs québécois, Jeremy Reitman sourit lorsqu'il regarde le huard poursuivre son ascension par rapport à la devise américaine.

Le géant du vêtement qu'il dirige importe environ 60% de sa marchandise d'Asie, et en paie la majorité en dollars américains.

L'achat de tissu est devenu plus abordable qu'il y a cinq ans, quand le huard valait 62 cents US. Beaucoup plus.

«La hausse du dollar canadien a été bénéfique pour notre entreprise: elle nous a aidé à garder de bas prix, tout en augmentant la qualité de la marchandise», raconte M. Reitman à La Presse Affaires.

La remontée du huard a dopé les finances de Reitmans. De 7,5% en 2003, la marge BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements) a atteint 17,9% pendant la dernière année financière, souligne l'analyste Neil Linsdell, de la firme Versant Partners. Un bond «spectaculaire», concède-t-il.

«Environ 20% de l'amélioration des marges est attribuable à la hausse du dollar canadien», explique M. Linsdell.

Reitmans n'est pas la seule entreprise à profiter de la résurrection du dollar canadien. Loin de là. Les sociétés qui achètent leur marchandise en dollars US et la revendent en dollars canadiens se frottent les mains ces jours-ci.

L'épicier Metro, le quincaillier Rona et les transporteurs aériens Transat et WestJet (qui achètent du carburant libellé en dollars US) sont du lot.

Réalisme

Les entreprises qui exportent vers les États-Unis, elles, subissent toutefois une pression de plus en plus grande. L'énorme avantage concurrentiel dont elles bénéficiaient il y a cinq ans avec la faiblesse du huard a maintenant disparu.

L'heure est au réalisme, dit Jean-Luc Trahan, président-directeur général des Manufacturiers et Exportateurs du Québec. «Personne ne pense que le dollar va redescendre dans les prochains mois ou les prochaines années.»

Les exportateurs ont dû s'adapter - et continuent à le faire. Le fabricant de bateaux Doral, par exemple, songe à augmenter bientôt le prix de détail de ses bateaux vendus aux États-Unis... de 8% à 16%!

Rien n'est encore décidé, dit Denis Jutras, vice-président exécutif de l'entreprise de Grand-Mère. «Des augmentations de prix de 8% à 16%, sur des produits qui valent de 100 000$ à 1 million, ça fait beaucoup d'argent..»

L'entreprise n'a pas le choix de faire des gestes radicaux cependant. Les ventes de Doral aux États-Unis ont été amputées du cinquième ces dernières années, souligne le dirigeant. Les marges de profit ont aussi fondu. «Un bateau qui nous donnait une marge de 22% à 25% nous donne peut-être 15% aujourd'hui.»

Doral, qui compte deux usines et 400 employés, a déjà mis en place plusieurs mesures pour tenter de contrecarrer les effets néfastes de la hausse du huard. Les dépenses superflues ont été supprimées, les mises à pied se sont multipliées. Et surtout, l'accent a été mis sur les ventes internationales, réalisées en euros ou en livres sterling.

«Le 20% qu'on a perdu aux États-Unis on l'a ramassé sur l'international», affirme Denis Jutras.

Bombardier Produits récréatifs (BRP) a elle aussi été durement happée par le rebond du dollar canadien, souligne Pierre Pichette Vice-président, communication et affaires publiques.

«Quand on vendait il y a quelques années une motoneige 10 000$US, on recevait 15 000$ en dollars canadiens, rappelle-t-il. Vingt-quatre mois plus tard, quand il y avait eu cette baisse importante (du dollar US), on se retrouvait à vendre la même motoneige pour 10 000$, mais on recevait 11 000$ ou 11 400$. Une différence d'à peu près 3000$ à 4000$ par véhicule! C'est énorme.»

BRP, société à capital fermé depuis 2003, a dû lancer une opération dégraissage pour redresser sa situation financière. Le groupe s'est débarrassé d'usines non stratégiques, tout en recourant davantage à la sous-traitance et en simplifiant sa gamme de produits.

Le portrait s'est beaucoup amélioré, même si le dollar canadien continue de «poser des défis», soutient Pierre Pichette.

«C'est une préoccupation de tous les jours, il faut s'assurer que notre niveau de rentabilité ne diminue pas.»

Le déclin continuera... et tant pis

La hausse du huard se poursuivra jusqu'à ce qu'il arrive à parité avec le dollar américain d'ici la fin de 2007, d'après un rapport de Marchés mondiaux CIBC.

Aussi, même si la hausse de 50% de la valeur du dollar canadien depuis cinq ans a précipité la perte de 275 000 emplois manufacturiers - et que 200 000 autres disparaîtront d'ici la fin de la décennie -, l'effet global sur l'économie canadienne n'aura pas été néfaste, écrit la banque.

"En fin de compte, les pertes d'emplois dans le secteur manufacturier ne pèsent pas lourd dans un marché du travail canadien où un million et demi de nouveaux emplois ont été créés dans les autres secteurs et qui affiche actuellement le taux de chômage le plus bas en plus de trente ans", indique Jeff Rubin, économiste en chef et stratège en chef de Marchés mondiaux CIBC.

L'excédent commercial canadien est aussi important aujourd'hui qu'il ne l'était quand le huard se transigeait à moins de 0,62$US, fait valoir le rapport.

Une bonne partie de la remontée du dollar canadien est attribuable à la faiblesse de la devise américaine, rappelle en outre CIBC.