Les données sur le marché du travail qui seront publiées ce matin (vendredi) seront scrutées à la loupe par les observateurs, toujours plus nombreux à s'inquiéter du présent ralentissement de l'économie américaine. Se prolongera-t-il tout au long de l'année, voire plus?

Les données sur le marché du travail qui seront publiées ce matin (vendredi) seront scrutées à la loupe par les observateurs, toujours plus nombreux à s'inquiéter du présent ralentissement de l'économie américaine. Se prolongera-t-il tout au long de l'année, voire plus?

Les experts parient sur la création de près de 100 000 emplois. Il s'agit du chiffre le plus faible en deux ans, mais il serait suffisant pour garder le taux de chômage à 4,6%. Il ne pourra occulter cependant la saignée qui ne fait que commencer sur les chantiers ou dans les usines.

Comme pour renforcer cette faible prévision, les nouvelles déclarations de chômage sont en hausse. La semaine dernière, la moyenne mobile des quatre dernières semaines s'élevait à 339 000, la plus élevée depuis les lendemains de l'ouragan Katrina.

«Les données de l'emploi sont cruciales, car c'est la tenue exceptionnelle du marché du travail qui soutient la croissance», explique Stéfane Marion, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale.

Le faible taux de chômage de même que des augmentations salariales un peu au-dessus de l'inflation nourrissent jusqu'ici la confiance des ménages dont les dépenses assurent grosso modo 70% de l'expansion américaine.

Depuis plus d'un an cependant, l'épargne des ménages est négative.

En janvier, les banques et autres sociétés prêteuses d'hypothèques ont resserré leurs normes parce que le taux de défaut des marges de crédit sur hypothèques est nettement à la hausse. Les défauts accrus sur les prêts à risque assombrissent aussi le bilan des banques dont les provisions pour mauvaises créances sont à des niveaux très faibles. Bref, emprunter deviendra plus difficile au cours des prochains mois.

L'appréciation rapide de la valeur des propriété résidentielles a incité bien des ménages à réaliser immédiatement la plus-value de leur résidence. Cela a surtout servi à acheter, qui une deuxième télé à écran plat, qui un quatrième VUS, qui une vingtième paire de Nike.

Ces derniers mois, la manne s'est épuisée. Le prix médian des maisons neuves était en baisse de 2,1% sur celui de janvier 2006. Sur le marché de la revente, la baisse atteint 3,1%.

Plus dramatique encore, les stocks de logements neufs invendus équivalent à 6,8 mois de production, malgré un plongeon de 14,3% des mises en chantier en janvier.

Des emplois à risque

Les emplois reliés au secteur de la construction sont désormais à risque, tout comme ceux de ses fournisseurs de biens (fabricants de matériaux, transporteurs) ou de services (arpentage, courtage, prêts hypothécaires, système de sécurité).

Il n'y a pas qu'eux. Ceux du secteur automobile sont fragilisés par la crise structurelle que traversent Chrysler, Ford et GM.

Il y a plusieurs mois déjà que ce scénario est envisagé par les observateurs. Ils continuaient jusqu'à peu de se montrer optimistes. Ils pariaient sur le fait que les investissements des entreprises allaient prendre le relais de la consommation des ménages.

Ce n'est pas le cas jusqu'ici. Les entreprises ont plutôt choisi de réduire leurs stocks l'automne dernier. Elles ne sont pas parvenues pour autant à réaliser des gains substantiels de productivité. Leurs coûts unitaires de main-d'oeuvre ont bondi de 6,6% en rythme annualisé durant l'automne, un taux nettement inflationniste.

Tout cela complique la tâche de la Réserve fédérale américaine, si elle désirait abaisser son taux directeur pour stimuler l'économie. Il est fixé à 5,25% depuis l'été.

«Comme les coûts unitaires de main-d'oeuvre montent beaucoup plus vite que l'inflation, la Fed conservera sans doute son parti pris pour un resserrement monétaire plus longtemps malgré les risques posés un marché de l'habitation chancelant», notait Sal Guatieri, économiste principal chez BMO Marchés des capitaux plus tôt cette semaine.

Faute d'investir, de pouvoir réduire leurs coûts ou de hausser leurs prix, les entreprises devront gruger dans leurs marges de profits.

Cette perspective nourrit les inquiétudes de l'ancien numéro un de la Fed Alan Greenspan qui évalue à une chance sur trois les risques de récession aux États-Unis d'ici la fin de l'année, malgré l'optimisme prudent dont fait preuve son successeur Ben S. Bernanke. Il prédit aussi que le présent cycle économique amorcé en 2002 sera moins long que les 10 ans du précédent.

«Comme d'habitude, les propos de Greenspan sont difficiles à déchiffrer, note François Dupuis, vice-président et économiste en chef, chez Desjardins Études économiques. Pour l'instant, je colle à un scénario d'atterrissage en douceur. Il n'est pas le seul, comme en fait foi un sondage mené auprès d'économistes américains et publié jeudi.

Comme bien des institutions financières, celle de Lévis voyait la Fed passer en mode de desserrement monétaire en seconde moitié d'année. Aujourd'hui, cette perspective lui paraît moins plausible. Une détente, pour être efficace, suppose une baisse d'au moins un point de pourcentage de son taux directeur.

Faute de pouvoir l'orchestrer en raison des risques d'inflation toujours présent, l'économie américaine voguera en deçà de son potentiel de 3,0% tandis que les gains du marché boursier seront plus modestes.

Le portrait de l'économie, brossé dans le Livre beige de la Fed publié mercredi, se résumait à «une modeste expansion avec plusieurs districts qui notent un certain ralentissement».

«C'est l'appréciation la plus faible que fait la Fed depuis qu'elle a interrompu ses hausses de taux en août», note M. Marion.

Ce rapport nourrira en partie les débats du Comité de politique monétaire de la Fed lors de leur prochaine rencontre, les 20 et 21 du mois. Les marchés financiers réagiront entre-temps nerveusement à toute donnée qui les fera sourire ou sourciller. À commencer par celles du marché du travail, ce matin (vendredi).