L'industrie québécoise du porc vit une crise qui n'en finit plus. Et depuis un an, les choses empirent. Le prix des céréales grimpe, celui du porc chute. Le dollar canadien reste élevé. Les producteurs sont «pris à la gorge».

L'industrie québécoise du porc vit une crise qui n'en finit plus. Et depuis un an, les choses empirent. Le prix des céréales grimpe, celui du porc chute. Le dollar canadien reste élevé. Les producteurs sont «pris à la gorge».

Alors qu'Ottawa lance un programme pour réduire de 10% le nombre de porcs reproducteurs au pays, Québec met de la pression pour que les acteurs de l'industrie se trouvent un nouveau modus operandi. Portrait d'une industrie qui a le moral dans les sabots...

Depuis une dizaine de jours, le gouvernement fédéral a mis en marche un programme qui vise à éliminer rien de moins que 10% du cheptel porcin canadien. Ottawa débloque 50 millions de dollars pour convaincre des producteurs de quitter le marché ou d'éliminer leurs porcs reproducteurs.

De cette façon, Ottawa prévoit éliminer du marché 150 000 truies, ce qui représente, à terme, une diminution de 3 millions de porcs.

Si le remède paraît fort, c'est que les maux sont sévères. Les producteurs vivent une crise qui n'en finit plus de finir, et Ottawa espère que la réduction du cheptel pourra soutenir les prix.

Les producteurs, quant à eux, ne condamnent pas le programme, mais n'y voient pas une panacée. «Un plaster sur le bobo», croit le producteur René Leblanc, de Baie-du-Febvre.

Le bobo est en fait, pour les producteurs, une plaie béante qui tend bien plus à s'infecter qu'à se refermer.

Il y a un an, La Presse Affaires faisait état de la crise, déjà très grave au bout de deux ans de maladies dans les troupeaux. Depuis, la situation a évolué dans le mauvais sens.

«Les prix ont chuté de façon radicale depuis septembre dernier», indique le président de la Fédération des producteurs de porc du Québec (FPPQ), Jean-Guy Vincent.

Les problèmes de surproduction mondiale se sont accentués. Il y a aujourd'hui 25 % plus de viande de porc réfrigérée aux États-Unis qu'il y a un an, selon le directeur de la production de l'entreprise porcine F. Ménard, Luc Ménard.

Le dollar canadien, déjà élevé il y a un an, a continué à grimper, au grand dam des exportateurs. En 2004, un producteur québécois recevait 117 $ pour un porc. À prix égal, aujourd'hui, le producteur ne reçoit que 98 $, à cause du taux de change.

Hausse du prix des grains

Comme si ce n'était pas assez, les prix des grains, essentiels pour nourrir les animaux, atteignent des niveaux records. Depuis six mois, le prix du maïs a augmenté de 50 %.

«Quand c'est rendu que Bernard Derome parle des prix du grain au Téléjournal, c'est que c'est rendu élevé», lance Luc Ménard.

La crise est mondiale. Mais tout joue contre le Québec. «Depuis quelques années, on a un quasi-moratoire sur les porcheries à cause de la pression sociale et des règles environnementales, rappelle Daniel-Mercier Gouin, professeur au département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval. Cette situation qui perdure conduit à réduire les investissements.»

«Les producteurs ne sont pas en mesure de suivre le rythme de développement», ajoute-t-il.

Le Québec exporte plus de 50 % de sa production de porc. Aux États-Unis, les grandes entreprises verticalement intégrées sont bien plus efficaces et font la vie dure aux exportateurs québécois sur les marchés asiatiques à fort potentiel.

De surcroît, le porc américain prend de plus en plus de place sur le marché québécois.

Les producteurs ont des coûts de production trop élevés, et l'industrie québécoise n'est plus assez compétitive.

Dans ces circonstances, les producteurs sont financièrement «pris à la gorge», pour reprendre les mots de M. Coulombe.

«Un producteur perd environ 50 à 60 $ par porc», souligne François Bédard, spécialiste des affaires techniques au Conseil canadien du porc.

Le pari d'Ottawa

Ottawa fait donc le pari de réduire le cheptel pour soutenir les prix et aider les producteurs qui restent dans le marché en mettant sur pied son Programme de réforme des porcs reproducteurs.

«Il y a trop de porcs dans le marché, il faut l'ajuster», explique Susie Miller, directrice générale du Bureau de la chaîne de valeur des aliments chez Agriculture et Agroalimentaire Canada.

«L'objectif est de relever les prix, mais on ne sais pas si ça va arriver, et dans combien de temps», note François Bédard.

Depuis le 14 avril, un producteur peut réclamer 225 $ par porc reproducteur éliminé. Le programme est rétroactif au 1er novembre et le producteur peut récupérer des sommes pour les animaux vendus depuis ce temps.

En contrepartie, le producteur ne doit vendre aucune truie après le 14 avril, et doit s'engager à dépeupler une porcherie de tous ses porcs reproducteurs pour une période d'au moins trois ans.

Les producteurs ne se font pas d'illusions sur la portée du programme.

«Un producteur moyen qui possède 300 truies recevra 67 500 $, en échange de quoi il devra renoncer à utiliser ses bâtisses, illustre le secrétaire du Syndicat des producteurs de porc de la Beauce, Mario Rodrigue. Si tu as des dettes sur ces bâtisses, ce n'est pas un bon deal.»

«C'est un programme intéressant pour le producteur qui quitte ou qui veut quitter, dit Jean-Guy Vincent. Mais ce n'est pas un incitatif, parce que l'endettement des fermes est beaucoup plus élevé.»

«Je ne veux pas condamner le programme, mais ça prend des solutions plus énergiques, ajoute Mario Rodrigue. Ce n'est pas ça qui va sauver le secteur porcin.»

Les porcs éliminés seront récupérés pour faire des nourritures animales, entre autres. Au Québec, la FPPQ a conclu une entente avec des banques alimentaires pour leur fournir la majorité de la viande.

Le Conseil canadien du porc garantit que les viandes seront récupérées, sauf dans le cas de très petites fermes qui n'auraient que deux ou trois truies, par exemple.

Se battre pour rester en vie

Il n'y a pas 10 000 façons de décrire la situation des producteurs de porc québécois. «Ça nous coûte plus cher de faire un produit que le prix qu'on en reçoit à la vente. On roule à perte», a résumé Yvan Fréchette.

M. Fréchette est un «naisseur» qui tire 100% de ses revenus de sa production porcine. Il possède 600 truies sur sa terre de 115 acres, à Saint-Zéphirin-de-Courval, entre Drummondville et Nicolet. Quand les porcelets atteignent l'âge de 21 jours, il les vend.

Depuis le début de la crise, Yvan Fréchette tente de diminuer ses coûts de production, revoir ses méthodes ou privilégier les achats de groupe.

«On travaille fort pour aller chercher toutes les cennes et les dollars disponibles», a-t-il dit. Malgré tout, il vend toujours à perte.

Il tente aussi d'étirer le financement auprès des banques, ou de faire du refinancement.

«Ce sont nos moyens de s'améliorer... ben, de rester en vie», a dit Yvan Fréchette.

René Leblanc exploite une terre à Baie-du-Febvre, un peu plus près du fleuve. Il possède 4000 cochons d'engraissement, mais il a l'avantage de compter sur 1150 acres de culture céréalière.

«Nous sommes moins affectés que les fermes moins diversifiées, mais c'est quand même désagréable de voir qu'on a un revenu intéressant d'un côté, mais qu'on perd de l'argent avec le porc. On a un cheval qui tire par en avant, et un autre qui tire par en arrière.»

Les producteurs tiennent le fort, mais pour combien de temps? «On peut endurer un peu, mais on n'avance pas. On doit négliger un peu l'entretien des bâtiments.»

«On va finir par s'épuiser et laisser la production porcine», s'inquiète René Leblanc.

À défaut d'avoir des fermes rentables, les producteurs doivent vivre d'espoir. Mais l'espoir ne permet pas de payer les dépenses.

«Les marges de crédit sont remplies à pleine capacité. La santé financière et la santé émotionnelle des producteurs sont à la limite», a dit Mario Rodrigue, secrétaire du Syndicat des producteurs de porc de la Beauce (troisième région productrice).

«On nous parle de 2009 comme fin de la crise, a dit Yvan Fréchette. Tout le monde travaille pour rester en vie jusque-là. Si on se rend là, on pense que la période de hausse des prix sera longue.»

Entre-temps, les producteurs doivent se tourner de plus en plus vers l'Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). Via cette assurance, à laquelle ils cotisent le tiers des fonds, les producteurs ont reçu 360 millions en 2007, un record.

Mais leur prime d'assurance, actuellement fixée à 7,20$ par porc, devrait encore augmenter l'année prochaine, peut-être jusqu'à 12$.

L'avenir de l'industrie

Tout le monde est d'accord, mais personne ne s'entend. Les partenaires de l'industrie porcine québécoise savent qu'il faut revoir les règles du jeu pour sauver l'industrie, mais les discussions n'ont toujours pas mené à une entente formelle sur les moyens à privilégier.

L'automne dernier, le ministre québécois de l'Agriculture, Laurent Lessard, avait demandé à Guy Coulombe d'assurer le rôle de médiateur dans les discussions. À la mi-mars, M. Coulombe dressait un constat d'échec, mais émettait tout de même des pistes de solution.

Les acteurs de l'industrie s'accordent à dire que les problèmes de l'industrie sont structurels. Il faut donc des changements.

Mais plusieurs divergences persistent, notamment sur les méthodes de mise en marché. Actuellement, les relations commerciales entre les producteurs et les transformateurs passent par un «canal unique», soit la Fédération des producteurs de porc du Québec (FPPQ).

Les transformateurs voudraient revoir cette mise en marché collective, et pouvoir établir des liens directs avec les producteurs.

«Il est certain qu'il faut revoir le mode de mise en marché pour l'adapter au nouveau contexte, a dit Daniel-Mercier Gouin, professeur au département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval. Quand la crise perdure, les mécanismes de mise en marché sont mis sous pression.»

Dans son avis adressé au ministre et au sous-ministre, Guy Coulombe indiquait qu'un plan de relance complet - et acceptable pour tous - de l'industrie du porc ne pourrait être formulé à court terme.

Mais le ministre Lessard a mis de la pression sur les partenaires pour faire débloquer le dossier.

«Les discussions vont bon train, a toutefois dit Jean-Guy Vincent, président de la FPPQ. On travaille sur les huit pistes de solution mises de l'avant par M. Coulombe.»

Selon M. Vincent, le secteur porcin québécois représente une activité économique de 3 milliards et 29 000 emplois. Les quelque 2500 fermes porcines du Québec ont mis en marché plus de 7 millions de porcs en 2006. La Montérégie, Québec et la Beauce sont les trois principales régions productrices.

Huit pistes de solution

> Reconnaissance du rôle prépondérant du consommateur

> Modernisation des mécanismes de mise en marché

> Acceptation de la diversité dans les gammes de produits

> La «direction» des produits doit être assumée par un partenariat producteur-transformateur et non pas par la prépondérance de l'un sur l'autre

> Acceptation d'une forme de relation contractuelle entre les producteurs et les transformateurs

> Partage équitable des retombées de la valeur ajoutée comme celui du risque encouru

> Transparence et saine communication entre les acteurs

> Relations établies sur la base d'une véritable relation d'affaires plutôt que sur des discussions réglementaires et des points de droit.

Source: Avis présenté par Guy Coulombe au ministre et au sous-ministre de l'Agriculture le 3 mars 2008.