Qu'ils soient syndiqués ou non, les travailleurs québécois disposent de recours en cas de harcèlement psychologique au travail. C'est déjà mieux que dans le reste du pays, mais le processus demeure perfectible.

Qu'ils soient syndiqués ou non, les travailleurs québécois disposent de recours en cas de harcèlement psychologique au travail. C'est déjà mieux que dans le reste du pays, mais le processus demeure perfectible.

Marie (nom fictif) occupe un poste de soutien en milieu scolaire. Ni chercheuse ni intervenante, c'est à titre personnel qu'elle a assisté à la sixième Conférence internationale sur le harcèlement psychologique au travail, tenue du 4 au 6 juin à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

Dans la cinquantaine, Marie «mange» tout ce qu'elle peut sur le sujet depuis quelques années. Pour mieux comprendre les mécanismes du harcèlement qu'elle vit. «C'est récent que j'arrive à en parler sans pleurer», dit-elle.

Ses problèmes ont commencé à l'arrivée d'un nouveau directeur à son école. Le début d'une ère de favoritisme, de dissension et de dénigrement. Après un an et demi, le directeur ne se gênait même plus pour lui lancer des remarques en plein corridor.

Au retour d'un arrêt maladie, Marie le rencontre en présence des ressources humaines. En apparence, le directeur s'amende. C'est plutôt le début d'un deuxième round, sur le mode insidieux.

«Pour toute demande, je devais dorénavant passer par son adjointe, qui les refusait systématiquement», dit-elle. En même temps, elle était aux prises avec une collègue opportuniste qui lui nuisait autant que possible pour obtenir son poste à temps plein.

L'employeur offre alors un médiateur pour régler la situation avec la collègue. Au lieu d'organiser des rencontres séparées, ce dernier en mène une seule, en présence des deux parties. Dans son rapport du mois suivant, il regrette de ne pas avoir de solution à proposer. Médiation trop courte, dit-il.

En fait, quelques semaines plus tard, un départ à la retraite ouvre un poste dans une autre école. À une journée de préavis, on y mute Marie. Tout le monde est content. Le directeur ne l'a plus dans les jambes, la collègue a la voie libre pour le poste à temps plein, les ressources humaines se débarrassent de la «patate chaude».

Le syndicat aussi est heureux. Depuis 2004, tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Si les personnes non syndiquées peuvent déposer une plainte à la Commission des normes du travail (CNT), les autres (40% des travailleurs québécois) doivent s'en remettre à leur syndicat.

Or, ce nouveau rôle place parfois les responsables syndicaux dans une situation inconfortable, surtout quand le problème concerne des membres de la même unité. En cas de lésion psychologique, tout travailleur peut aussi s'adresser à la CSST. Si la plainte va en appel à la Commission des lésions professionnelles (CLP), le syndicat doit payer les frais en cas de rejet final.

Dans le cas des personnes non syndiquées, les statistiques de la Commission des normes du travail montrent que la quasi-totalité (93,8% en 2006-07) des plaintes sont réglées avant intervention juridique.

Les ententes à l'amiable

Selon Me Isabelle Aubé de l'UQAM, la popularité des ententes à l'amiable s'explique par certains avantages: elles permettent notamment à la victime d'éviter le stress d'une audience et à l'employeur, de réduire ses coûts.

Cependant, les inconvénients sont au moins tout aussi nombreux, du moins pour la victime. Si celle-ci reçoit généralement une compensation financière, elle n'obtient aucune validation psychologique de sa démarche.

Le règlement demeurant confidentiel, aucun jugement public ne confirme l'éventuelle responsabilité de l'employeur.

Ce dernier achète carrément une fin d'emploi, remarque Me Aubé. Est-ce suffisant pour qu'il change ses habitudes? se questionne-t-elle.

De plus, le salarié perd typiquement avec son emploi le droit à des traitements psychologiques.

À l'échelle de la société, cette masse d'issues confidentielles empêche également d'avoir une bonne idée du sort réel des réclamations, ajoute Me Aubé. D'un autre côté, les plaignants qui décident d'aller au bout du processus juridique doivent s'armer de courage, note Me Julie Lefebvre, du Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement au travail. Fondé en 1980, le GAIHST est le seul organisme communautaire d'accompagnement dans de tels cas.

«Les délais sont très longs. On parle de quatre ou cinq ans, seulement pour le tribunal de première instance», précise Me Lefebvre.

Pendant ce temps, la victime peut perdre des revenus importants pour cause d'invalidité psychologique, voire physique. C'est sans parler du risque de suicide, un phénomène «qui n'est pas marginal», assure-t-elle.

Une première piste de solution? Agir rapidement, sur tous les plans. «Ça paraît anodin, mais les délais peuvent avoir un immense impact.» Marie est maintenant en appel à la CLP. «Je suis chanceuse, car j'ai l'appui de mon mari et de nos amis.»

Elle ne compte pas abandonner de sitôt.