Entre 2000 et 2002, près de 88 travailleurs manuels d'agences de placement sur 1000 ont été absents du travail à chaque jour à la suite d'une lésion professionnelle, révèle une étude de l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST).

Entre 2000 et 2002, près de 88 travailleurs manuels d'agences de placement sur 1000 ont été absents du travail à chaque jour à la suite d'une lésion professionnelle, révèle une étude de l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST).

«C'est 10 fois plus que la moyenne des travailleurs québécois. C'est également deux fois plus que le taux d'absence des employés manuels des entrepreneurs en construction», précise Patrice Sauvé, responsable du Groupe de connaissance et surveillance statistique de l'IRSST.

Ces résultats sont loin d'être une surprise pour ce démographe et ses collègues de l'IRSST Paul Massicotte et Pascal Prud'homme.

Dans leur étude similaire réalisée en 2003, ce segment d'employés d'agence arrivait en tête du palmarès des groupes à risque en matière de santé et sécurité du travail pour les lésions survenues entre 1995 et 1997.

Ils devançaient alors, et de loin, les travailleurs effectuant des travaux de charpentier et ceux des services forestiers.

Lésions avec perte de temps

Dans l'étude 2008, ils présentent, avec près de 1700 lésions avec perte de temps, un bilan de santé pire que ceux des entrepreneurs généraux en construction et des entreprises de produits minéraux non métalliques, qui enregistraient environ 1250 lésions chacun entre 2000 et 2002.

«Ces données concernent uniquement les employés manuels des agences, comme les manutentionnaires, les manoeuvres, les ouvriers d'abattoirs ou les bouchers. Elles ne touchent pas le personnel administratif et les employés temporaires en informatique, par exemple», précise Patrice Duguay.

Dans l'étude 2008, l'IRSST recense 3500 travailleurs manuels équivalents temps plein à l'emploi d'agences. C'est plus du double que dans l'étude précédente. Le recours à cette main-d'oeuvre temporaire a donc considérablement augmenté depuis 10 ans.

Précarité et dangers

Me Katerine Lippel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé-sécurité du travail de l'Université d'Ottawa, déplore et dénonce depuis longtemps la présence des employés d'agence au peloton de tête des groupes à risque en santé sécurité.

Ses recherches, comme la majorité des études menées depuis 40 ans à travers le monde, démontrent un lien entre le travail précaire ou atypique et un portrait négatif de la santé au travail.

«Ces travailleurs manquent d'information sur les risques du travail, sur l'exposition aux facteurs de risque, sur les relations entre le travail et la maladie et sur leurs droits. Ils sont souvent privés de soutien social. Plusieurs sont plus exposés aux risques parce qu'ils travaillent de longues heures», note-t-elle.

Selon Me Lippel, les employés d'agences font de plus face à des risques spécifiques.

«Ils sont soumis à deux patrons, soit l'agence et son client, dont les attentes et les responsabilités respectives sont souvent ambiguës voire contradictoires.»

Or, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, la responsabilité de la santé-sécurité, notamment le devoir de prévention, revient à un seul employeur.

Le véritable employeur?

Qui est cet employeur, ce «véritable employeur» dans le contexte d'une autorité bicéphale?

Cette question fait l'objet de nombreux débats et guérillas juridiques entre les agences et les instances chargées d'appliquer la loi comme la CSST et la Commission des lésions professionnelles, son tribunal d'appel.

C'est que la détermination du «véritable employeur» est un enjeu économique majeur. Celui qui hérite de ce titre paie seul les cotisations à la CSST et encaisse également entièrement la hausse de primes liées à son taux de lésions indemnisées.

«Ce contexte légal rend possible, pour des donneurs d'ouvrage, de réserver les emplois les plus risqués aux travailleurs d'agences, pour se soustraire à l'imputation des coûts des lésions parfois causés par des risques inhérents à ses opérations», explique Me Lippel.

Selon cette avocate, une réforme du cadre légal qui régit les agences en matière de santé et de sécurité s'impose.

«Des modifications législatives devraient prévoir une responsabilité conjointe et solidaire des agences et des donneurs d'ordre pour l'ensemble des obligations de l'employeur en matière de santé au travail», dit-elle.

Dossier chaud en Ontario

Le 16 février dernier, la journaliste Moira Welsh, du Toronto Star, rapportait une hausse de 32% des accidents chez les employés de 200 agences de placement de la province entre 2001 et 2005, à partir de données obtenues en utilisant la Loi d'accès à l'information.

Comme au Québec, ces entreprises, lorsqu'elles sont désignées comme le «véritable employeur», assument seules les cotisations et les hausses de primes à la Workplace Safety and Insurance Board (WSIB), le pendant ontarien de la CSST.

De plus, l'identité des établissements où sont survenues les lésions demeure inconnue de la WSIB.

«Les règles de sécurité en vigueur permettent à des entreprises d'afficher des dossiers sans tache même si des employés temporaires mal formés y sont blessés ou tués», peut-on lire dans l'édition du Toronto Star du 16 février dernier.

En 2006, Lou Duggan, président de l'agence Staffing Edge, a invité la WSIB à changer les règles du jeu.

«Nous croyons que les pertes de temps ne devraient pas être reflétées uniquement dans les registres des agences mais devraient également viser les établissements où se produisent les accidents.»

Le chapitre québécois de l'Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel (ACSESS) soutient fermement le point de vue contraire et tient à maintenir le statut de «véritable employeur» de ses membres.