Celle-là, personne ne l'avait vue venir. En annonçant qu'il quitte son poste de patron de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau s'attire bien des éloges et quelques critiques.

Celle-là, personne ne l'avait vue venir. En annonçant qu'il quitte son poste de patron de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau s'attire bien des éloges et quelques critiques.

Notamment pour avoir recentré le mandat du «bas de laine des Québécois» sur la performance financière plutôt que sur l'essor économique du Québec. M. Rousseau passe chez Power Corporation, «une bonne prise», selon les milieux d'affaires.

Nouvelle-choc dans les milieux financiers: le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Henri-Paul Rousseau, a démissionné de son poste hier matin.

Son départ a pris tout le monde par surprise. La nouvelle survient alors que la restructuration du marché du papier commercial, dont il est l'architecte, est dans l'attente d'une décision cruciale d'un tribunal ontarien, mardi.

Henri-Paul Rousseau joindra les rangs de Power Corporation, propriété de la famille Desmarais. Sa décision a été annoncée au conseil d'administration de la Caisse hier matin. Le conseil a désigné le chef de la direction des placements, Richard Guay, pour assurer l'intérim jusqu'à la nomination d'un nouveau président et chef de la direction.

«Il quitte la Caisse après avoir fait un boulot exceptionnel. Autant le conseil d'administration, les cadres, les employés que le gouvernement auraient préféré qu'il demeure à la Caisse, mais il a atteint 60 ans et veut faire un cheminement de carrière, il faut respecter cette décision», a déclaré à La Presse le président du conseil de la Caisse, Pierre Brunet.

Power Corporation

Concrètement, à partir de lundi matin, Henri-Paul Rousseau continuera de travailler à la Caisse comme conseiller pendant trois mois, soit jusqu'au 31 août 2008. S'ensuivront des vacances jusqu'en janvier 2009, moment où il entrera au service de Power Corporation.

Chez Power, Henri-Paul Rousseau travaillera à plein temps pour développer le groupe financier à l'international, en particulier à l'extérieur de l'Amérique du Nord, a-t-on appris.

Le communiqué de Power indique que M. Rousseau sera proposé comme vice-président du conseil de Power Corporation et de sa filiale, la Corporation financière Power, aux assemblées des actionnaires de mai 2009.

En après-midi hier, les co-chefs de la direction de Power, Paul jr. et André Desmarais, recevaient un doctorat honorifique à l'Université de Montréal, mais ils ont refusé de commenter la nouvelle.

Henri-Paul Rousseau était président et chef de la direction de la Caisse depuis mai 2002. Il avait été nommé en remplacement de Jean-Claude Scraire par la ministre des Finances de l'époque, Pauline Marois.

Au moment de son arrivée, la Caisse venait de connaître une période difficile. Dans la foulée du krach boursier des technos et de l'acquisition onéreuse de Vidéotron, la Caisse avait enligné des rendements de -5% en 2001 et de -9,6% en 2002.

Sous le règne d'Henri-Paul Rousseau, la Caisse a recentré son mandat sur la performance financière et mis en second plan l'essor économique du Québec. En cinq ans, l'actif net de l'institution a doublé, atteignant 155,4 milliards au 31 décembre 2007.

De 2003 à 2006, la Caisse a produit des rendements de 12,2 à 15,2%, ce qui est considéré comme excellent. L'année 2007 a été plus difficile (5,6%), notamment en raison de la crise qui a frappé le papier commercial, un type de placement à court terme.

Le talon d'Achille

Ce dossier est d'ailleurs l'un des talons d'Achille du gestionnaire, auquel s'ajoute la participation de la Caisse dans le contesté aéroport londonien Heathrow.

«Beaucoup de gens pourraient dire que le dossier du papier commercial a à voir avec son départ», a déclaré le financier Stephen Jarislowski, qui dit toutefois avoir une bonne estime de M. Rousseau et de son travail.

La Caisse est l'organisation qui a le plus investi dans le papier commercial, soit 13,4 milliards de dollars. L'investissement de la Caisse a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses critiques de la part des partis de l'opposition au Québec.

Depuis août 2007, ce papier non bancaire est toujours sous le coup d'un gel de transactions, et il a obligé la Caisse à retrancher 1,9 milliard de dollars à son rendement de 2007.

Henri-Paul Rousseau est l'architecte de la restructuration de ce marché. De gros détenteurs de papier commercial, dont Jean Coutu, Transat et Pomerleau, contestent le plan de restructuration parce qu'il leur ferait perdre leur droit de poursuite.

C'est mardi prochain que le juge ontarien Colin Campbell indiquera si leurs récriminations sont justifiées. Une décision du juge en faveur des contestataires pourrait faire dérailler la restructuration et coûter des centaines de millions de dollars à la Caisse.

Jean Campeau, qui a été PDG de la Caisse de 1980 à 1990, ne croit pas que le départ d'Henri-Paul Rousseau soit lié à l'imbroglio du papier commercial. «La Caisse n'est pas coupable de cette affaire. Il démissionne parce qu'on lui a offert un bon poste, tout simplement. Power, ce n'est pas rien», a-t-il dit.

Pierre Brunet affirme que le conseil d'administration de la Caisse est très satisfait du travail d'Henri-Paul Rousseau et que son départ n'est aucunement lié au papier commercial. «Au contraire, il faut lui rendre hommage pour son travail dans le papier commercial. Si ce n'avait pas été de son courage et de sa détermination, on ne serait pas rendus où on est. Au conseil, nous sommes très confiants d'arriver à bon port très prochainement», a dit le président du conseil de la Caisse.

L'un des principaux avocats des contestataires, James Woods, n'a pas rappelé La Presse hier.

Estomaqués

À la Caisse, les employés ont été estomaqués par l'annonce. Même les cadres supérieurs n'en savaient rien. «C'est une grande surprise, très bien gardée», nous dit un employé sous le couvert de l'anonymat.

En cette période tumultueuse, certains se demandent si Henri-Paul Rousseau quitte le bateau avant qu'il ne prenne l'eau, bien que les rendements du premier trimestre de l'institution soutiendraient bien la comparaison.

Henri-Paul Rousseau est généralement vu comme un dirigeant compétent par ses employés et ex-employés. Il a milité pour une augmentation de leur rémunération. «C'est un PDG exigeant, qui gardait les employés sur la pointe des pieds, pour le bénéfice des déposants», nous dit l'un d'eux.

Hier, dès 14h, une vidéo préenregistrée d'une quinzaine de minutes a été téléchargée sur l'intranet de la Caisse. Henri-Paul Rousseau y parle des gens extraordinaires qu'il a côtoyés à la Caisse, de sa décision difficile de quitter, de l'avis de ses propres enfants sur le sujet - selon qui il pourrait le regretter -, etc.

Dans un communiqué, Henri-Paul Rousseau soutient que la fin d'un premier mandat complet de cinq ans à la Caisse exigeait une réflexion de sa part.

Conformément à la nouvelle loi de la Caisse de 2004, le mandat du PDG est fixé à cinq ans, bien qu'il soit renouvelable. «À 60 ans, cette fenêtre était indiquée pour relever un nouveau défi professionnel dans le secteur privé», a-t-il déclaré.

DATES À RETENIR

30 mai 2008

Henri-Paul Rousseau quitte son poste de président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il demeure à la disposition de la Caisse à titre de conseiller afin de faciliter une transition ordonnée.

Le chef de la direction du placement de la Caisse, Richard Guay, est nommé président et chef de la direction par intérim.

Le nouveau président et chef de la direction de la Caisse sera nommé ultérieurement par le conseil d'administration de la Caisse, avec l'approbation du gouvernement du Québec.

31 août 2008

Henri-Paul Rousseau quittera ses fonctions de conseiller à la Caisse.

1er janvier 2009

Henri-Paul Rousseau se joindra à Power Corporation du Canada et à la Corporation financière Power. Sa candidature sera soumise à la vice-présidence du conseil d'administration des deux sociétés.

Mai 2009

Élection des conseils d'administration de Power Corporation du Canada et de la Corporation financière Power.