Les frères Maxime et Julien Rémillard zapperont beaucoup devant la télé au cours des prochaines semaines.

Les frères Maxime et Julien Rémillard zapperont beaucoup devant la télé au cours des prochaines semaines.

Les futurs propriétaires de TQS ne voudront évidemment rien manquer des réveils de Caféine, des opinions tranchées de Jean-Luc Mongrain et des débats de 110%, toutes des émissions qui deviendront bientôt leur propriété.

Mais ils auront besoin de leur télécommande parce que leur feuilleton préféré ces jours-ci n'est pas à l'antenne de leur Mouton noir.

Diffusée chaque jour sur la chaîne politique CPAC, l'émission met en vedette six commissaires du CRTC dont les aventures consistent à prendre des notes, poser des questions et interroger des témoins.

Si cette intrigue lente et ennuyante continue d'intéresser les frères Rémillard, c'est que son dénouement pourrait sauver les chaînes généralistes comme TQS.

Pour la deuxième année consécutive, le CRTC jongle avec l'idée de faire payer aux abonnés du câble l'accès aux chaînes généralistes, en difficultés financières depuis quelques années.

Entre 2003 et 2007, les télés généralistes ont vu leur marge de profit diminuer de 14,6% à 5,2%. Tout le contraire des chaînes spécialisées, dont les revenus grandissants du câble ont fait exploser les marges de profit de 15,1% à 25,2% entre 2003 et 2005.

«Nous constatons que les chaînes généralistes éprouvent des difficultés financières importantes, dit Pierre-Louis Smith, vice-président aux politiques et agent en chef de la réglementation de l'Association canadienne des radiodiffuseurs. L'impact est d'ailleurs ressenti de façon encore plus importante au Québec.»

En avril 2007, le CRTC avait refusé de céder aux pressions de TQS, TVA et Radio-Canada, qui veulent avoir accès aux revenus du câble. Cette fois-ci, l'organisme fédéral pourrait bien changer d'avis.

«Il y a de fortes chances que le CRTC accepte les demandes des chaînes généralistes», dit Jean-Pierre Le Goffe, professeur à HEC Montréal.

«C'est difficile de penser que TVA et Radio-Canada sont dans la rue au plan financier, mais l'internet et les chaînes spécialisées font en sorte que la concurrence est de plus en plus féroce.»

Consensus

Malgré l'ampleur de la crise secouant la télévision généraliste, l'Association canadienne des radiodiffuseurs n'a pas pris position sur la question du partage des revenus du câble devant le CRTC la semaine dernière.

«Comme il n'y a pas de consensus parmi nos membres, nous préférons rester silencieux», dit M. Smith.

Le consensus recherché par l'Association canadienne des radiodiffuseurs ne viendra pas. D'un côté, les chaînes spécialisées ne veulent rien savoir de l'idée de partager leur vache à lait.

De l'autre, les chaînes généralistes sont excédées de fournir leur signal gratuitement.

«Nos engagements sont beaucoup plus coûteux que ceux des chaînes spécialisées, dit Jean-François LeBrun, porte-parole de Remstar, futur propriétaire de TQS. Pendant ce temps, les chaînes spécialisées se multiplient à l'infini et les portions de la tarte publicitaire sont de plus en plus minces.»

En théorie, le CRTC pourrait forcer les chaînes spécialisées à redistribuer une partie des revenus existants du câble aux chaînes généralistes. Le professeur Jean-Pierre Le Goffe doute toutefois que l'organisme choisisse cette voie hasardeuse - et injuste pour les chaînes spécialisées, ajoute-il.

«C'est tout un changement au contrat qui a été conclu entre les chaînes spécialisées et le CRTC», dit-il.

S'il épouse la cause des télés généralistes, l'organisme fédéral pourrait simplement introduire de nouvelles redevances sur l'abonnement au câble.

Ces redevances seraient versées dans les coffres de TQS, TVA, Radio-Canada et des autres chaînes généralistes. Une solution qui ne fait pas l'affaire des sociétés de télécommunications comme Bell, Vidéotron, Cogeco Câble et Shaw Communications, qui promettent de refiler la hausse de la facture aux consommateurs.

Rogers Communications a même menacé le CRTC de se battre jusque devant la Cour suprême du Canada s'il le faut!

Finalement, le feuilleton préféré des frères Rémillard ne manquera pas d'action d'ici son dernier épisode, la dernière journée d'audience prévue le 28 avril prochain.

Les oreilles de lapin pour la télé américaine

En 1953, une nouvelle mode fait fureur dans les salons de la bourgeoisie anglophone de Montréal: payer pour regarder la télévision.

Au Québec, les anglos seront ainsi les premiers à utiliser le câble, qui permet de capter parfaitement le signal des réseaux américains, souvent embrouillé avec les antennes surnommées encore aujourd'hui les «oreilles de lapin».

«Les gens voulaient regarder les stations américaines et le câble améliorait la qualité de l'image», dit Isabelle Dessureault, porte-parole de Vidéotron.

Le câble prend son envol chez les francophones au milieu des années 70, alors que le signal télévisuel devient nettement plus clair qu'avec les oreilles de lapin.

«Au début des années 70, les réseaux de câble ont été rénovés, ce qui a permis d'augmenter le nombre de chaînes aux abonnés», dit Mme Dessureault.

«On pouvait offrir une douzaine de chaînes, sans compter que certaines entreprises comme Vidéotron avaient leurs propres chaînes spécialisées sur le sport et la culture.»

En 1984, les premières chaînes spécialisées canadiennes - elles étaient six à l'époque, dont la chaîne météo - font leur apparition sur le câble. Deux décennies plus tard, les chaînes spécialisées sont plus profitables que leurs rivales généralistes, notamment en raison des revenus tirés des abonnements au câble.

Aujourd'hui, le Québec compte quelque 250 entreprises de câblodistribution, dont Vidéotron (1,6 million de foyers abonnés), Cogeco Câble (258 000 abonnés) et Shaw Communications (250 000 abonnés).

La facture refilée aux consommateurs

Combien les abonnés du câble pourraient-ils payer afin de sauver les chaînes généralistes comme TQS? Entre 4$ et 10$ par mois, selon les estimations des experts du milieu des télécommunications.

À Toronto, les médias parlent d'une hausse de 4$ afin de financer les neuf chaînes généralistes de la Ville reine. Des estimations corroborées par l'Association canadienne des radiodiffuseurs.

En croisade contre d'éventuelles redevances aux télés généralistes, Rogers Communications a promis de saisir la Cour suprême de la question.

Si elle perd, l'entreprise de télécommunications pourrait facturer jusqu'à 10$ de plus par mois à ses abonnés. «Rien n'empêche le distributeur de se prendre une marge de profit (sur les redevances)», dit Pierre-Louis Smith, vice-président aux politiques et agent en chef de la réglementation de l'Association canadienne des radiodiffuseurs.

Et à Montréal? Les mêmes sommes sont en jeu puisque les abonnés au câble disposent de huit stations généralistes (Radio-Canada, TVA, TQS, Télé-Québec, CFCF, CBC, CTV et Global). Donc, entre 4$ et 10$, selon l'humeur de son câblodistributeur.