Chez les Canadiens âgés de 55 ans et plus, l'emploi a fait un bond spectaculaire depuis 2001.

Chez les Canadiens âgés de 55 ans et plus, l'emploi a fait un bond spectaculaire depuis 2001.

La force de l'économie y est pour quelque chose, mais il y a plus. Il y a tous ces néo-retraités plus d'un retraité sur cinq, au pays qui découvrent que, tout compte fait, l'aquarelle, le jardinage, le golf et les cours de baladi, ce n'est pas pour eux.

Après une brillante carrière en ressources humaines au sein d'une compagnie aérienne, Françoise Champagne est devenue, à 55 ans, vendeuse chez Zellers. Et elle a vraiment aimé ça, assure-t-elle.

«Après 30 ans passés les dents serrées, à composer avec la pression, à n'émettre que des opinions politically correct, ça a fait vraiment du bien de n'avoir aucune responsabilité!»

«La cliente cherche le rayon des bas? Tu l'amènes au rayon des bas. C'est sûr que c'est dur pour le dos d'être tout le temps debout, mais quand tu ne fais pas trop d'heures, ça va.»

En 2006, selon les données de recensement, quelque 2 millions de Canadiens de 55 à 64 ans travaillaient. C'est 43% de plus qu'en 2001.

Au Québec, l'Institut de la statistique du Québec constate la même tendance: le taux d'emploi des 60 à 64 ans, par exemple, a crû de 7% en six ans seulement.

«Toutes les variables indiquent une tendance lourde: les gens sont de plus en plus nombreux à demeurer au travail ou à y retourner une fois la retraite prise», dit Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins.

Françoise Champagne a finalement démissionné de chez Zellers au bout d'un an et demi. Pour rentrer dans ses terres? Non. Plutôt pour secourir son ancien employeur qui l'implorait de remettre sur les rails l'entreprise à laquelle il avait confié à forfait l'embauche du personnel.

Au bout d'un an, le problème était réglé. Mme Champagne est partie un vendredi. Le lundi, une autre compagnie aérienne sollicitait ses services.

«Chaque fois, ce qu'il y a de bien, c'est que c'est à mes conditions. Je ne travaillerai que trois jours par semaine.»

«Je ne me ferai pas dicter l'heure à laquelle je commence, ni l'heure à laquelle je finis. La job est faite à votre goût ? Ne m'écoeurez pas avec les détails. C'est pareil pour ma soeur. La grande entreprise pour laquelle elle travaillait est revenue la chercher. Elle a accepté après avoir posé sa condition: la semaine de quatre jours.»

Trop de temps libre

Gilles, qui a aujourd'hui 64 ans, a tout fait: il a travaillé à la Baie-James, a fondé des PME. La retraite, pour lui, a duré un an.

«Aller marcher, jouer à l'ordinateur, tu ne peux pas faire ça toute la journée, dit-il. Tant de temps libre, ça finit par être pesant.»

Il a trouvé un emploi dans une grande chaîne qui donne dans la rénovation. Et vite, il a été happé.

«Je travaillais d'abord à temps partiel, mais on m'a demandé de passer au temps plein et ça, c'est peut-être trop. Financièrement, je n'ai pas besoin de travailler. C'est juste pour m'acheter des bébelles.»

C'est bien payé?

«Très mal, mais tu vois du monde. Et comme on est de nombreux employés, on a de bonnes assurances. Pour le temps qu'il me reste à travailler, je n'avais pas le goût de me casser la tête à chercher mieux.»

Louise Groulx, elle, a «subi» sa retraite pendant quelques mois seulement. "Au bout de six mois, ma maison brillait comme un sou neuf et je ne savais plus quoi faire de ma peau.»

Un restaurant St-Hubert a ouvert ses portes et sans y croire vraiment, elle a posé sa candidature comme livreuse. Surprise ! Elle a décroché l'emploi. non sans avoir d'abord mis cartes sur table. Sa priorité allait à ses petits-enfants et il n'était pas question pour elle de travailler le soir ou les fins de semaine.

Pour le reste, Louise Groulx, âgée de 59 ans, a réglé ça avec son collègue livreur un homme de 64 ans.

«J'ai la petite voiture jaune Pout-Pout St-Hubert. Les enfants adorent cela, alors quand j'arrive chez les gens, c'est la fête ! En début de semaine, ce sont souvent les mêmes familles qui commandent, alors on finit par se connaître. C'est simple, je suis payée pour faire du social et avec ce que je gagne, je peux gâter mes petitsenfants et me gâter, moi!»

Sa collègue, Alice Larose, se trouve dans la même situation. Après avoir vendu son commerce de fraises, elle était à la retraite et se cherchait 20 heures de travail «pour s'amuser», dit-elle.

«Je travaille trois jours par semaine comme hôtesse chez St-Hubert. Ça me fait marcher, c'est bon pour la santé, sans être épuisant.»

Quand on demande à Françoise Champagne à quel moment elle prendra finalement sa retraite à 62 ans, 70 ans? Jamais? , elle répond qu'elle n'en a aucune idée.

«Moi, la veille de ma retraite, on m'a demandé de faire des heures supplémentaires tant on avait besoin de moi. Le lendemain, je partais. Sans party d'adieu ni rien. Dans un secteur où les départs massifs sont la norme, on ne verse plus de larmes quand on voit partir du monde.»

«Tu travailles comme un chien toute ta vie, c'est à peine si t'as le temps de garder tes amis. Les loisirs, on n'en parle même pas. Et là, à la retraite, du jour au lendemain, t'es censé dire «youpi»et avoir une vie super occupée ? Voyons donc!»

Les rôtisseries St-Hubert courtisent les grands-mères

Preuve supplémentaire de la pénurie d'employés, voilà que les rôtisseries St-Hubert cherchent à tirer des grands-mères de leur retraite.

Parmi les vedettes de la campagne de recrutement en cours chez St-Hubert : Mireille (personnage fictif), cheveux blancs, «grandmaman», «artiste peintre à ses heures» et «serveuse chez nous trois jours/semaine».

Emplois ou carrières disponibles, «devant le public ou en coulisse», «de passage ou à vie».

«Quand on fait des études, les répondants disent que St- Hubert, c'est le genre d'entreprise qui embauche des «madames»! C'est sûr que les gens plus âgés se retrouvent dans notre culture d'entreprise», dit Anne Mezei, vice-présidente aux ressources humaines pour le Groupe St-Hubert.

Mais qui a vraiment envie, par choix, à 60 ans passés, de courir sans arrêt les mains pleines d'assiettes de salades de chou et de finir sa journée les pieds en compote?

Justement, l'idée n'est pas de recruter exclusivement des serveuses, poursuit Mme Mezei. Les personnes dans la cinquantaine avancée ou dans la soixantaine font d'excellentes hôtesses, ditelle.

«Quand il y a une file, elles pensent spontanément à offrir aux personnes âgées de s'asseoir, et elles sont très à l'aise, aussi, avec les enfants.»

Jean-Yves Dupont, gérant aux matériaux chez Réno-Dépôt, à LaSalle, évalue qu'il compte environ 20% d'employés de 55 ans et plus.

«J'ai un ancien vendeur d'assurances, d'anciens livreurs Les gens de cet âge-là qui nous soumettent leur candidature sont manuels et ils sont souvent patenteux de nature.»

Les personnes de cet âge sont-elles condamnées à travailler dans le commerce de détail, à des emplois souvent peu rémunérés, en se consolant à la pensée qu'ainsi, au moins, elles ne paient pas trop d'impôts?

Jean Grenier ne voulait pas de ça. Il avait occupé toute sa vie un emploi en publicité et après avoir été poussé à la retraite, il voulait un poste qui soit à la hauteur.

«Mais après trois refus basés très clairement sur ton âge, tu hésites à faire une quatrième tentative auprès d'un autre employeur.»

Il est donc devenu travailleur autonome et a créé 50plusjob. com, un site internet pour les plus de 50 ans à la recherche d'un emploi. Le site a encore un succès modeste, mais M. Grenier est convaincu d'avoir un bon filon.

«L'équation est simple: on entend dire partout que les entreprises cherchent du monde et les baby-boomers n'ont pas envie de s'enfermer dans une retraite.»

Joseph Anstett s'est lui-même trouvé un poste de cadre à 58 ans. Il en a aujourd'hui 64 et est vice-président consultation pour le groupe KWA, qui se spécialise dans les transitions de carrière.

Ses clients: les entreprises qui, ayant mis des gens à la retraite, leur offrent un service de consultation pour se recaser ailleurs.

Des emplois bien payés ?

Et c'est possible de se retrouver un bon emploi, bien payé, à 55 ans passés?

«C'est vrai que les grandes entreprises préfèrent embaucher des jeunes et les faire progresser dans l'entreprise. Les petites et moyennes entreprises sont donc de meilleures cibles», dit M. Anstett.

«Elles n'ont souvent pas les moyens de former quelqu'un depuis le début et elles comprennent que des employés plus âgés, qui arrivent avec tout un réseau d'affaires, ont des candidats intéressants.»

Si l'emploi permanent à temps plein dans une grosse firme n'est peut-être plus à la portée du post retraité, «ce n'est pas nécessairement ce qui est recherché par la personne de toute façon. J'ai par exemple un client qui faisait partie du haut gratin de la fiscalité chez Bell Canada.»

«On lui a offert un départ volontaire alléchant, il a accepté, et aujourd'hui, à 58 ans, il est consultant à forfait et travaille trois jours par semaine. Entre deux contrats, il prend de bonnes vacances.»

«Souvent, il y a une forte pression à prendre sa retraite, fait remarquer Tania Saba, professeure en relations industrielles à l'Université de Montréal. Les collègues de notre âge la prennent, l'atmosphère au bureau n'est plus la même et on nous fait une bonne offre, comme si, à un certain âge, il fallait absolument partir. Seulement, ce n'est pas tout le monde qui rêve ou qui a les moyens de passer son temps à voyager, une fois à la retraite.»

Les employés plus âgés ont parfois envie de nouveaux rôles, de nouveaux horaires. Il faut songer à les accommoder, dit Mme Saba, en cessant de penser à eux comme à des personnes qui sont nécessairement sur le point de partir et qu'il ne vaut pas la peine de former.

Le rapport de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés, rendu public mercredi, propose justement de «réinventer la retraite» afin de permettre aux travailleurs qui le désirent de rester en poste aussi longtemps qu'ils le souhaitent.

«On a des pénuries de maind'oeuvre. Ça adonne bien, il y a des gens qui ont l'expertise, qui ont l'expérience, qui sont disponibles et qui pourraient apporter une contribution significative si nos conditions de travail pouvaient être modulées», souligne le Dr Réjean Hébert, gériatre et coprésident de la consultation qui s'est tenue à l'automne.

Une semaine de quatre jours, quelques semaines de plus de congés par année sont des exemples d'accommodements qui pourraient, selon lui, aider les personnes âgées de plus de 60 ans à rester au travail ou à réintégrer un emploi.

Des sous pour se gâter

Pourquoi retourner au travail après avoir pris sa retraite? Pour l'argent ? C'est le principal facteur pour moins de quatre Canadiens sur dix.

Les raisons non financières sont aussi souvent évoquées, peut-on lire dans l'étude de Statistique Canada Le travail après la retraite, publiée en 2005.

Au total, un peu plus d'un cinquième (22 %) des retraités sondés avaient alors effectué un autre travail rémunéré après leur première retraite.

De ce total, «22% des retraités ont repris le travail parce qu'ils n'aiment pas la retraite, 19% ont cité la satisfaction intrinsèque que procure le travail (tâches stimulantes, contacts sociaux, le sentiment d'accomplir quelque chose) et 14% estimaient qu'on avait besoin d'eux ou qu'ils voulaient aider, peut-on lire. Dans l 'ensemble, 55% ont cité au moins une de ces trois raisons non financières.»

Qui plus est, même quand il est question de raisons financières, pas sûr qu'il soit toujours question de vie ou de mort. Ainsi, toutes les personnes interviewées par La Presse ont dit qu'elles sont retournées au travail après une retraite non par réel besoin financier, mais «pour se gâter».

Pour Françoise Champagne, il s'agissait de maintenir son train de vie. Un bon train de vie. «J'aime jouer au golf et quand j'ai envie de nous payer, à ma fille et à moi, un voyage improvisé à New York pour magasiner, eh bien, je le fais !»