En collaboration avec HEC Montréal, nous présentons notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion.

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Le développement et la croissance économique ont toujours reposé sur une plus grande consommation d'énergie.

Le fait que cette énergie émane principalement de combustibles fossiles, par contre, est un phénomène nouveau, qui remonte à la seconde moitié du XVIIIe siècle dans le cas du charbon et à la fin du XIXe siècle pour le pétrole.

Auparavant, on s'en remettait plutôt à la force motrice de l'homme, de l'animal ou du vent, ainsi qu'à la combustion de végétaux ou d'excréments.

Le remplacement croissant des combustibles fossiles par des carburants d'origine sylvestre ou agricole au cours des prochaines années constitue donc pour plusieurs un juste retour des choses. Le monde a toutefois bien changé depuis l'époque héroïque de la navigation à voile et du chauffage au bois.

L'accélération du réchauffement climatique (selon le dernier rapport du GIEC) imposerait notamment de forcer l'allure. Or les combustibles fossiles apparaissent aujourd'hui encore comme une alternative bien facile en regard des nombreux obstacles auxquels le recours à la biomasse se trouve confronté.

Premièrement, le rendement énergétique des matières organiques par dollar dépensé pour leur culture et leur transformation reste généralement inférieur à ceux du charbon, du gaz naturel ou du pétrole.

Un retournement rapide, sans attendre par exemple que l'épuisement des combustibles fossiles ait nécessairement fait exploser leur prix (ce qui devrait se produire dans quelques décennies pour le pétrole, mais seulement dans quelques siècles pour le charbon), exigerait une augmentation significative des efforts de recherche et développement.

L'État et le marché devront jouer ici des rôles complémentaires, celui-là cherchant d'abord à éliminer l'incertitude réglementaire actuelle en matière de protection de la propriété intellectuelle, de gestion des risques, et d'émission de gaz à effet de serre, celui-ci se chargeant ensuite de mobiliser les acteurs-clés et les capitaux requis.

Les nouveaux carburants

Deuxièmement, pour que les nouveaux biocarburants l'emportent décisivement (c'est-à-dire sans subventions) sur les combustibles fossiles, il faudra que leur contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre soit nettement plus convaincante qu'elle ne l'est actuellement.

Ceci exigerait encore une fois des efforts redoublés de recherche et développement, en même temps qu'une révolution des pratiques de l'agriculture industrielle. En brûlant une plante, on ne fait que rendre à l'atmosphère une partie du CO2 qu'elle y avait prélevé pendant sa croissance.

On espère ainsi s'insérer dans un cycle durable, à condition que l'énergie nécessaire à cultiver cette plante et à la transformer en combustible provienne elle-même de la biomasse. Mais nous n'en sommes pas encore là, car l'agriculture industrielle reste très dépendante des produits dérivés du pétrole et du gaz naturel.

En troisième lieu, le fait que de nombreuses exploitations agricoles destinent désormais leur récolte à la production de biocarburants plutôt qu'à l'alimentation provoque déjà l'augmentation du prix de certaines denrées de base, comme le maïs ou le blé.

Cette situation aura sans doute des conséquences néfastes à court et moyen terme pour les populations des pays émergents qui importent ces denrées.

Elle risque aussi d'encourager la surexploitation des terres, accélérant ainsi l'érosion des sols, la déforestation et la perte de biodiversité.

Un remède permettant d'atténuer le premier problème serait de libéraliser enfin le commerce international au chapitre de l'agriculture, ce qui ferait baisser les prix et interdiraient certains programmes de subventions (qui détournent davantage la production agricole qu'ils ne réduisent les émissions de gaz à effet de serre).

Le second problème requiert quant à lui des normes de zonage strictes et bien appliquées, ce qui n'est pas une mince affaire dans certaines contrées disposant de peu de moyens de coercition ou rongées par la corruption.

Ces obstacles seront sans doute levés un jour, quand les générations futures devront de toute manière recourir à la biomasse pour compenser la disparition des combustibles fossiles. Mais le temps pourrait finalement mal arranger les choses.

Comme toutes les ressources renouvelables, la biomasse dépend elle-même du climat, dont l'évolution demeure imprévisible.

Les risques pour nos descendants seront par conséquent moins grands s'ils disposent toujours de quelques réserves d'hydrocarbures.

Puisqu'il semble impossible, en raison surtout de la volonté légitime de pays comme la Chine et l'Inde de s'enrichir, de réduire la demande actuelle d'énergie, cela ne se fera qu'en augmentant significativement, et au plus tôt, la part de la biomasse dans la filière énergétique.

Bernard Sinclair-Desgagné est professeur titulaire à HEC Montréal.