«C'est drôle, mais je vais te parler de cabane à sucre», annonce Marc Dutil à notre immense surprise. On venait de lui demander comment il est passé de crack de l'informatique à patron d'une compagnie d'acier. Rencontre avec un Beauceron qui n'a rien de banal.

«C'est drôle, mais je vais te parler de cabane à sucre», annonce Marc Dutil à notre immense surprise. On venait de lui demander comment il est passé de crack de l'informatique à patron d'une compagnie d'acier. Rencontre avec un Beauceron qui n'a rien de banal.

Il dit avoir inventé un logiciel qui lit dans les pensées. Il voit la récession américaine comme une partie de chasse au chevreuil. Et il voudrait faire passer les politiciens au détecteur de mensonge et ne conserver que ceux qui ne veulent pas être réélus.

Marc Dutil, 43 ans, est président et chef de l'exploitation du Groupe Canam - un fabricant de produits de construction de la Beauce qui brasse des affaires de 870 millions chaque année.

C'est aussi un être qui, derrière une apparence plutôt calme, semble avoir le cerveau qui tourne à 100 000 tours à la minute.

Un cerveau qu'il n'a pas toujours fait fonctionner au profit des poutrelles d'acier. C'est plutôt en informatique, à Manhattan s'il vous plaît, qu'il a fait ses premières armes sur le marché du travail.

«Il y a des choses que tu ne sais pas, mais il fut un temps où il ne sortait pas un Mac sans que j'aie des logiciels dessus, explique-t-il sans prétention. Je gagnais vraiment bien ma vie à faire ça. Je ne te dis pas que j'étais Bill Gates, mais c'était super le fun.»

À ce propos, il faut entendre Marc Dutil raconter comment il a décroché son premier emploi - pour le plaisir de l'anecdote, mais aussi pour comprendre à qui l'on a affaire.

Le jeune Dutil débarque à New York pour son entrevue d'embauche en prétendant avoir inventé un programme informatique qui lit les pensées.

«J'ai demandé au patron de penser à un mot. Il m'a regardé et il a dit: Butterfly." M. Dutil insère alors une disquette dans l'ordinateur; une série de questions défilent à l'écran. "Est-ce que c'est visible d'ici? Est-ce que c'est coloré?»

Marc Dutil répond en cliquant dans des boîtes qui affichent «oui, non, peut-être». Au bout d'un moment, un mot apparaît à l'écran: butterfly.

«Une arnaque», rigole aujourd'hui Marc Dutil. À l'écran, invisible derrière les cases «oui, non, peut-être», se trouve une grille avec les lettres de l'alphabet. Lorsqu'il fait mine de répondre aux questions, Marc Dutil dirige en fait le curseur de façon à épeler le mot dévoilé par le patron.

«Il m'a dit: viens, on va parler. Et là il a dit: j'aimerais t'offrir un job. J'ai passé un an à New York.»

Pourquoi seulement un an? C'est là qu'arrive la cabane à sucre. Et une autre histoire dont Marc Dutil semble avoir le secret.

Celle-ci implique un employé de cabane à sucre à qui le jeune Marc Dutil, alors adolescent et mordu de camping, avait confié un rêve: celui d'aller vivre dans une cabane en Alaska.

La réplique avait été cinglante. «Il m'avait dit: penses-tu que le Bon Dieu t'as mis sur la Terre pour aller te cacher dans une cabane en Alaska?»

«À New York, j'ai repensé à ça, continue Marc Dutil. Manhattan n'est peut-être pas le fond de l'Alaska, mais j'avais l'impression d'être dans mon coin. D'avoir ma petite pelle dans les mains, de faire mon petit trou et mes petites affaires. Ici, j'avais l'impression de je pouvais contribuer à bâtir quelque chose de fun à long terme.»

Marc Dutil troque donc Manhattan contre Saint-Georges de Beauce, accepte de réduire son chèque de paie de moitié et se retrouve sous les ordres de son père, Marcel Dutil, qui dirige ce qui s'appelle alors Canam Manac.

Sa première mission: développer un logiciel qui automatise le processus de dessin technique.

L'affaire dépasse rapidement la dimension technologique et donne naissance au Réseau acier plus - un regroupement qui compte aujourd'hui 90 usines de fabrication d'acier en Amérique du Nord.

Non seulement le groupe partage-t-il des logiciels de dessin, mais il utilise de plus son pouvoir d'achat pour négocier des rabais auprès des fournisseurs et créé des occasions de réseautage et de formation.

Il s'attelle ensuite à une vaste réorganisation de l'entreprise de son père et la remet sur le chemin de la rentabilité.

Aujourd'hui, il croit que ses propres forces complètent celles de son père Marcel, qui est toujours président du conseil d'administration et chef de la direction du Groupe Canam.

«Marcel, c'est un volcan plein d'énergie. J'ai essayé d'organiser autour. J'ai dit: on va gratter ici pour que quand la lave coule, elle arrive à tel endroit.»

Marc Dutil pilote aussi le lancement des bureaux de Canam à l'étranger - d'abord en Roumanie, puis en Inde et en Chine. Aujourd'hui, entre une récession américaine qui se dessine et un combat à mener contre les régions ressources, il se dit toujours intéressé à faire grandir l'entreprise.

«C'est la qualité du partenaire potentiel qui rend un endroit attrayant ou non, dit-il. Il n'y a pas de liste secrète qui dit: le prochain c'est la Thaïlande, et après c'est le Japon, puis c'est le Brésil.»

«Si on trouve quelqu'un qui nous ressemble en termes de valeurs, de produits, de marchés, on est prêt à explorer.»

En guerre contre les régions ressources

Nous voulions savoir ce que Marc Dutil pense de l'absence de grands projets de construction au Québec. Mais lui brûlait de nous parler d'autre chose.

«Je ne sais pas, a-t-il fini par répondre à nos questions. Je cherche une opportunité de chialer sur les régions ressources.» C'était le prochain sujet sur la liste, M. Dutil. Mais allons-y.

Ce programme qui fait en sorte que des entrepreneurs de la Mauricie peuvent profiter de mesures incitatives alors que ceux de la Beauce n'y ont pas droit, il ne le digère tout simplement pas.

«J'étais chez quelqu'un l'autre jour et je lui ai dit: regarde par la fenêtre. L'autoroute 40 est là. Tu es à une heure et quart du centre-ville de Montréal. Moi je suis parti du fond du rang à Saint-Georges, ça me prend trois heures monter à Montréal. Et toi tu es dans une région ressource avec subvention à l'éloignement et moi je n'en ai pas?»

N'allez surtout pas croire qu'il veut inclure la Beauce dans le programme. C'est moins de mesures, et surtout pas davantage, qu'ils souhaiter voir dans le paysage.

Pour un État minceur

«Il faut que le Québec diminue le poids de la machine gouvernementale dans les décisions d'investissement», tranche-t-il, expliquant du même souffle qu'il n'est pas dupe: il sait très bien qu'il est difficile d'enlever une fois qu'on a donné.

D'où l'idée de faire passer les politiciens au détecteur de mensonge pour éliminer tous ceux qui souhaitent être réélus. Question logique l'emporte sur l'électoralisme dans les décisions, explique-t-il.

Quelques mots, tout de même, sur le prétendu "immobilisme" qui touche le Québec?

«Je trouve dommage que ce soit: ou bien on fait un casino avec le Cirque du Soleil, ou bien on aide des gens qui en ont besoin, répond-il. Je trouve dommage qu'il n'y ait personne d'assez intelligent pour conjuguer tout ça ensemble. Pourquoi on ne fait pas un et l'autre?

«À Québec, c'était Rabaska ou l'environnement. Pourquoi il faut choisir? Pourquoi on ne peut pas se servir de ce projet pour amener d'autres investissements?»

La saison de la chasse

Oui, le risque de récession américaine inquiète le Groupe Canam. Mais beaucoup moins qu'au début des années 2000.

«Excuse les paraboles, mais à la dernière récession, Canam était un chevreuil qui voyait l'automne arriver, dit Marc Dutil. On marchait la tête basse et on se cachait. Vraiment.»

«Aujourd'hui, Canam est un chasseur. Et quand tu es un chasseur, tu vois l'automne arriver, mais pas de la même façon. Tu s'installes, tu te prépares, tu comptes tes munitions et tu es prêt à en profiter.»

En profiter, ça veut évidemment dire avaler des concurrents qui pourraient se retrouver dans une situation difficile.

«Il n'y a rien comme quelqu'un qui a du bon monde, mais qui a des problèmes temporaires - un client qui ne paie pas, un banquier impatient, un partenaire qui veut sortir, et qui cherche quelqu'un pour lui donner un coup de main.»

«La seule usine de Canam qu'on a bâtie nous-mêmes, c'est celle de Saint-Gédéon, rappelle Marc Dutil. Toutes les autres (il y en a 12 en tout), c'est par acquisition. Notre mode de croissance normal, c'est par acquisition.»