On se sent bien seul, parfois, devant la voracité, le cynisme ou la malhonnêteté de certaines entreprises. L'adversaire est trop gros, ou notre préjudice trop petit, pour que la lutte en vaille la peine. Mais plusieurs David qui serrent les rangs peuvent plus facilement faire plier les genoux d'un Goliath pour obtenir réparation, ou justice, ou les deux. C'est tout le principe du recours collectif.

On se sent bien seul, parfois, devant la voracité, le cynisme ou la malhonnêteté de certaines entreprises. L'adversaire est trop gros, ou notre préjudice trop petit, pour que la lutte en vaille la peine. Mais plusieurs David qui serrent les rangs peuvent plus facilement faire plier les genoux d'un Goliath pour obtenir réparation, ou justice, ou les deux. C'est tout le principe du recours collectif.

Ça n'a pas traîné. Lorsqu'on a su que des distributeurs d'essence s'étaient concertés pour fixer les prix dans quatre villes du Québec, une requête en autorisation de recours collectif a été déposée dès le lendemain.

Il n'y avait pas de temps à perdre: si elle est accueillie, la première requête déposée inclura automatiquement toutes les personnes lésées. Ça change peu de chose pour les consommateurs, mais beaucoup pour le cabinet d'avocats qui mènera la charge. D'où un certain empressement.

Cet effet secondaire n'empêche pas André-Bernard Guévin d'être fermement convaincu des avantages des recours collectifs. Au début des années 2000, cet enseignant en éducation économique dans une école secondaire de Montréal a appris sur l'Internet que cinq multinationales s'étaient liguées pour fixer le prix de l'acide citrique, un supplément vitaminique dont ils détiennent l'exclusivité mondiale.

Pour chaque achat, le client était lésé d'une fraction de sou, mais cela entraînait pour les entreprises des profits mirobolants, contre le risque d'amendes dérisoires.

«Tu enseignes à tes élèves que les cartels sont interdits, qu'on doit mettre en place une régie lorsqu'il y a un monopole et que, quand on se fait avoir, il faut porter plainte pour éviter de se faire encore plus avoir le lendemain, lance André Bernard Guévin. Alors quand tu tombes sur quelque chose comme ça, qu'est-ce que tu fais?»

Dans son cas, il a pris contact avec Option consommateurs et ils ont fait une demande de recours collectif avec le cabinet Unterberg, Labelle, Lebeau.

M. Guévin en était le requérant - sa figure de proue, en quelque sorte, celui qui représenterait l'ensemble des consommateurs dans cette cause. Par intérêt, par conviction et par nature, il a parcouru des piles de documents pour se préparer à ferrailler contre le contingent d'avocats de la partie adverse.

Le principe du recours collectif veut que chaque membre du groupe reçoive un dédommagement pour son préjudice. C'est ce qui est arrivé lors d'un recours intenté au début des années 90 contre une agence qui avait vendu un voyage «de repos» dans une petite localité du Honduras, une première à l'époque.

«L'hôtel n'avait jamais vu de Nord-Américains, narre l'avocat François Lebeau. Pour aller manger, les gens étaient escortés par des soldats armés qui, petit détail, avaient entre 13 et 16 ans.» Malgré cette précaution des touristes avaient été volés et molestés sur le chemin.

Le juge a fixé une indemnité pour chacun des vacanciers - remboursement du voyage plus dommages et intérêts - et a exceptionnellement accordé des indemnités particulières à certains, notamment à une touriste qui avait été poignardée et à une petite fille qui a eu besoin d'un suivi psychologique à son retour. «Ils devaient faire la preuve devant le juge des dommages particuliers qu'ils avaient subis», explique Me Lebeau.

Mais lorsque les préjudices de chacun sont trop minimes pour qu'un dédommagement individuel soit réalisable, l'indemnisation sera alors indirecte, comme ce fut le cas dans le recours sur l'acide citrique.

Dans le règlement survenu en 2002, les cinq entreprises ont versé un total de 725 000$. Aucun des Québécois lésés n'a reçu un sou, et André-Bernard Guévin moins qu'un autre. De son aventure, il a, comme Cyrano, conservé son panache d'enseignant à principes (ce n'est pas lui qui le dit), trois caisses de documentation auxquelles il tient nettement plus qu'à ses anciennes déclarations de revenus (ça, c'est lui qui le dit) et la satisfaction d'avoir contribué, si peu que ce soit, au bien commun.

Car une partie (467 000$) des dommages a servi à la création de la Fondation Claude-Masse, vouée au financement de la recherche sur la consommation et la concurrence. Me Claude Masse était un éminent juriste, pionnier du droit de la consommation. «Il a été mon plus grand professeur en sciences juridiques», affirme André-Bernard Guévin. «Si j'ai fait un premier recours collectif, c'est à cause de lui. Il semait ce que je cherche à semer chez mes élèves: la responsabilité civile.»

La création de cette fondation constitue, selon le perronisme hautement inspiré d'un quidam cité par Me François Lebeau, un bel exemple de «retour correctif».