Il a prédit la chute du dollar au début des années 2000. Il a prédit il y a plus de deux ans que le baril de pétrole franchirait le cap des 100$ avant la fin de 2007. Et maintenant, il annonce que le prix du baril sera de 200$ dans les trois à cinq prochaines années.

Il a prédit la chute du dollar au début des années 2000. Il a prédit il y a plus de deux ans que le baril de pétrole franchirait le cap des 100$ avant la fin de 2007. Et maintenant, il annonce que le prix du baril sera de 200$ dans les trois à cinq prochaines années.

Dans le milieu, l'économiste et stratège en chef de CIBC Marchés mondiaux, Jeffrey Rubin, n'est pas vraiment reconnu comme celui qui représente le consensus des économistes.

Quand La Presse Affaires a demandé à Jeff Rubin s'il était un économiste anticonformiste (maverick), comme l'a décrit un journaliste du Toronto Star en janvier, il a réfléchi quelques secondes.

Les prévisions des autres

«Je ne me suis jamais préoccupé des prévisions des autres économistes», répond-il.

Il poursuit, sûr de lui. «Je ne crois pas que les gens ont compris le marché du pétrole. J'ai passé beaucoup de temps à analyser ce marché et je pense que nous comprenons ce que les autres ne comprennent pas.»

Jeff Rubin est entré de manière fracassante dans le monde économique canadien en prédisant dès 1989 l'effondrement des prix qui allait caractériser le marché torontois de l'immobilier quelques années plus tard.

Il est depuis ce temps fort prisé des médias canadiens et américains, et ses prévisions paraissent souvent audacieuses, voire extrêmes.

«Vous pouvez les considérer comme telles, mais je crois que j'ai des résultats aussi bons que n'importe qui d'autre», dit le diplômé de l'Université de Toronto et de l'Université McGill, devenu un grand spécialiste du marché pétrolier.

Jaser pétrole avec Jeff Rubin, c'est comme jaser hockey avec Ron Fournier. Ça devient une affaire de passion.

«J'ai toujours été fasciné par l'énergie, confie-t-il. Je crois que l'énergie est la clé. Et c'est la cause d'un profond changement à l'heure actuelle.»

Le pétrole à 225$

Jeff Rubin prévoit que le baril de pétrole pourrait atteindre 225$ en 2012. À ce prix, les Canadiens paieraient leur essence 2,25$ le litre.

Dans son esprit, un seul doute. «On pourrait voir le pétrole à 200$ plus tôt que prévu, s'il se produit un choc.»

Le calcul de Jeff Rubin «a très peu à voir avec l'Amérique du Nord, explique-t-il. Ce qui mène le prix du pétrole, ce sont les économies où il y avait habituellement plus de bicyclettes que de voitures dans les rues.»

Le symbole de la compagnie Tata (et sa voiture à 2500$) veut dire beaucoup pour Jeff Rubin. «Ça va changer le monde», déclare-t-il. Et cela poussera les prix vers la stratosphère.

«Soudainement, des millions de ménages en Inde, en Chine, en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Amérique latine, vont pouvoir s'acheter une voiture. Et quand tu obtiens une voiture, tu obtiens une paille pour commencer à aspirer le pétrole de la planète.»

Un nouveau monde

Rubin ne passe pas par quatre chemins quand il évoque les solutions face à cette hausse drastique des prix.

«La réponse ne réside pas dans la conversion d'autres ressources en hydrocarbures ou dans des choses tordues comme la production d'éthanol. La réponse est de consommer moins de pétrole. Et c'est exactement ce qui va se produire.»

Une formule résume sa prédiction: «Pour chaque personne qui prend la route là-bas, une personne va quitter la route ici (en Occident).»

Il montre la rue Sherbrooke, devant l'hôtel où a lieu l'entrevue. Il assure que moins de voitures y rouleront dans quelques années.

«Ce sera un nouveau monde. Les gens ne pourront tout simplement plus faire la navette sur 50 km chaque jour pour aller travailler. Je crois que nous verrons les gens revenir vers le centre des villes.»

Selon Rubin, le transport des produits coûtera si cher que les dynamiques économiques changeront. «Le monde s'en allait vers le global, mais désormais il s'en ira vers le local.»

Pour le Canada, cela veut dire faire plus de commerce avec le Mexique, moins avec la Chine.

«L'industrie de l'aviation sera dévastée, lance-t-il. Si les taxes sur le carbone apparaissent, il y aura autant de taxes sur les billets d'avion que sur l'alcool et les cigarettes. Ça deviendra socialement inacceptable de voler.»

Les tarifs sur le carbone sont pour Jeff Rubin autant une prédiction qu'une prescription.

«En 2010, il devrait en coûter 45$ par tonne de carbone en Amérique du Nord», prévoit-il.

Comme la Chine «est vraiment inefficace sur le plan de l'énergie et des émissions de carbone», dit Rubin, l'imposition de tarifs sur le carbone rendront les industries d'ici plus compétitives

Le marché va régler ça

Juste avant l'entrevue qu'il a accordée à La Presse Affaires<>, Jeff Rubin présentait sa conférence intitulée «L'âge de la rareté» devant un auditoire montréalais. Visiblement à l'aise sur scène, l'éloquent économiste sait soutenir l'intérêt de l'auditoire, le surprendre, le faire rire, le faire réfléchir.

«J'essaie de parler de choses qui vont toucher les gens. Je veux aller au-delà du PIB et des chiffres.»

Doté d'un charisme certain et avec bon nombre d'idées en tête, Rubin pourrait sans doute connaître du succès en politique et appliquer ses prescriptions. Mais l'aventure ne le tente pas.

«Le marché va régler tout ça, dit-il. Et je conseille aux politiciens de ne pas se mettre en travers du marché. Le prix est vraiment puissant. Laissez les gens voir combien l'énergie coûte, et ils vont consommer moins.»

Selon Rubin, les prix élevés sont une excellente nouvelle pour les écologistes. «Cela enlève la décision de nos propres mains.»