Au menu: potage de champignons sauvages, pâtes de blé au homard et aux asperges suivi d'un parfait aux fruits des champs. Pas si mal pour un soir de semaine à la maison.

Au menu: potage de champignons sauvages, pâtes de blé au homard et aux asperges suivi d'un parfait aux fruits des champs. Pas si mal pour un soir de semaine à la maison.

D'autant que tous les ingrédients ont été achetés en vitesse à la pharmacie du coin, en même temps que le sirop pour le rhume.

Fini le temps où les pharmacies ne vendaient que des chips, des arachides et des sodas génériques pour contenter leurs clients friands de sel.

On retrouve maintenant des thés, des fromages, du kéfir et de la pizza. Tous certifiés biologiques.

En élargissant leur offre alimentaire, certaines pharmacies ont pris le virage haut de gamme. «Les pharmacies sont des lions qui dorment», lance l'économiste François Couture, spécialisé dans les questions agroalimentaires.

«Les pharmacies ont une image très crédible auprès des consommateurs, explique-t-il. On n'est pas dans un Dollarama: ce sont des professionnels de la santé. L'achalandage est là. Les pharmacies qui vont savoir profiter de ce créneau vont faire des gains considérables.»

Les deux grandes chaînes présentes au Québec n'ont pas la même philosophie à ce sujet. Shoppers Drug Mart a identifié l'alimentation comme vecteur de croissance.

Ses nouveaux Pharmaprix ont installé de véritables «petits marchés» dans leurs commerces, avec une tendance marquée pour l'alimentation haut de gamme. Chez Jean Coutu, on compte aussi augmenter l'offre, mais pas vraiment la diversifier. Pas question de se métamorphoser en épicerie.

«Nous n'avons pas l'intention de vendre du café équitable et du homard», dit Serge Ouellet, directeur achat et marketing pour le Groupe Jean Coutu.

Les frigos sont là pour l'eau, le lait et le jus, essentiellement. «Les consommateurs sont toujours pressés, remarque-t-il. Ça va les empêcher de faire un arrêt au dépanneur. Mais nous sommes un détaillant dont la spécialité demeure la santé.»

Chez Jean Coutu, l'allée consacrée à l'alimentation se fond aux autres. Des conserves, des pâtes, des craquelins.

«Depuis 10 ans, on a développé la confiserie, indique aussi Serge Ouellet. Nous avons maintenant la meilleure offre, mieux que n'importe quelle chaîne alimentaire.»

C'est bien beau le chocolat, mais l'économiste François Couture croit fermement que Pharmaprix a eu plus de flair en ajoutant un volet santé à son offre en alimentation.

«S'ils font bien leur travail, ils vont pouvoir prendre une place de leader, dit-il. En affaires, il n'y a pas de demande s'il n'y a pas d'offre.»

Et selon lui, une partie des clients qui se trouvent dans la pharmacie sont déjà particulièrement sensibles à la nutrition. Ils connaissent les suppléments d'oméga-3 et les probiotiques.

Maintenant, ils peuvent acheter du kéfir, pour leur santé, ou alors des légumes ou des petits fruits surgelés.

L'achat vert

«Certaines pharmacies sont très avant-gardistes, estime Daniel Dubuc, président du distributeur d'aliments Horizon Santé. Elles offrent une gamme plus élaborée. De façon générale, le phénomène s'est intensifié depuis cinq ans. Et ce qui a ouvert la porte, ce sont les alcaliments.»

Logique. Ce qu'on appelle aussi les aliments fonctionnels font un peu le lien entre le garde-manger et la pharmacie à la maison. Ils ont fait la même chose au commerce.

D'abord les barres repas sont apparues dans les rayons de la pharmacie. Puis leurs cousines énergisantes. Horizon Nature distribue Bio K, ce petit liquide laiteux riche en probiotiques qui est conservé au froid. Facile ensuite d'ajouter dans le frigo des jus santé, du fromage bio, des boissons de soya.

Selon Daniel Dubuc, le développement est tout à fait normal, dans la logique du marché. «Les aliments naturels intéressent de plus en plus les consommateurs, alors il faut trouver de nouveaux points de vente», dit-il.

Mais il ne faut pas s'attendre à voir toutes les pharmacies avoir une offre si diversifiée, dit-il.

«D'abord, ça prend du volume», explique Daniel Dubuc qui vend autour de 6% de sa marchandise en pharmacie. De la même façon que ce ne sont pas tous les marchés IGA, dit-il, qui offrent une section complète d'aliments naturels.

«Ensuite, il faut choisir le bon emplacement, explique le distributeur. Paradoxalement, les aliments santé se vendent mieux dans les grands centres urbains. Quand les gens sont loin de la nature. En campagne, les consommateurs achètent moins d'aliments naturels dans les magasins.»

Mélange des genres

Si les pharmacies se tournent vers l'alimentaire, c'est peut-être une réplique plus qu'une attaque.

Le mélange des genres ne date pas d'hier: les rayons des cosmétiques et les autres produits hygiéniques et naturels ont pris plus d'espace, année après année, dans les supermarchés. Wal-Mart et Loblaws vendent déjà des médicaments d'ordonnance.

«Si les supermarchés se sont approprié les médicaments, pourquoi les pharmacies ne feraient pas la même chose avec les aliments?» demande François Couture.

Selon lui, à un certain point, les deux types de commerces se rejoignent. On se trouve sur un terrain qui était autrefois réservé aux «magasins d'aliments naturels».

Maintenant que ce créneau a éclaté et intéresse le grand public, on vit une phase de transition. «C'est un marché en évolution», confirme François Couture.

Client pressé, mais exigeant

L'élargissement des comptoirs alimentaires chez Pharmaprix ne passe pas exclusivement par les options santé. Les chips, les boissons gazeuses et les chocolats bas de gamme y ont encore leur place.

Dans une immense succursale du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, l'offre est impressionnante. Tellement qu'on a installé des congélateurs tombeaux au centre pour les plats prêts-à-manger surgelés, comme au supermarché.

On y trouve des aliments dont la qualité nutritionnelle est clairement très pauvre, mais on a aussi leur version plus santé. Le consommateur a le choix.

Selon la responsable de l'alimentation, Sabrina Chahitelma, le consommateur typique termine son magasinage par l'épicerie et met dans le panier ce qui manque pour le souper.

«Mais notre situation est particulière, dit-elle. Dans notre cas, il n'y a pas d'épicerie autour. Alors, oui, les gens viennent faire leur épicerie ici. Nous avons même des habitués qui viennent tous les jours.»

À Boucherville, la caissière d'un Pharmaprix avoue qu'elle a eu de nombreux commentaires négatifs après l'installation de la section alimentation. Puis, des parents pressés ont acheté du lait, du pain, de la crème glacée, de quoi faire les lunchs du lendemain

«Le consommateur est prêt», affirme l'économiste François Couture.

Mais il faut lui laisser le temps de s'adapter. Sur l'emballage, on indique que le café au look artisan du Pharmaprix de Boucherville doit être consommé six mois après sa torréfaction, pour profiter pleinement de sa fraîcheur.

Le hic: la date de torréfaction nous ramène un an en arrière...