Certaines entreprises privées sont plus transparentes que les sociétés inscrites en Bourse. Elles soumettent leurs états financiers à la discussion de leurs employés. Rappel d'une innovation syndicale qui réjouit aujourd'hui bien des PDG.

Certaines entreprises privées sont plus transparentes que les sociétés inscrites en Bourse. Elles soumettent leurs états financiers à la discussion de leurs employés. Rappel d'une innovation syndicale qui réjouit aujourd'hui bien des PDG.

Depuis quelques années, les camionneurs du Groupe Robert ont réduit de 95% l'usage du moteur au ralenti et ils ramènent régulièrement de l'Ontario des fruits et légumes qu'ils livrent à Moisson Montréal.

Ces réalisations découlent en grande partie des formations économiques auxquelles plusieurs d'entre eux participent chaque année en février. Pendant deux jours, une trentaine d'employés scrutent les états financiers de l'entreprise et son plan d'affaires.

Au cours de cet exercice animé par la Fondation de formation économique du Fonds de solidarité FTQ, ils formulent commentaires, suggestions et questions. Plus souvent qu'autrement, c'est le président Claude Robert lui-même qui vient y répondre.

«Il n'y a pas de cachettes. Tous les postes budgétaires d'intérêt sont examinés. Nos gens comprennent pourquoi on prend les décisions et leurs remarques nous aident à faire de meilleurs choix», explique Jean-Robert Lessard, vice-président marketing et relations publiques du Groupe Robert.

Des profits en mettant la pédale douce

En examinant les dépenses en carburant, par exemple, les chauffeurs ont vite constaté qu'en mettant la pédale douce, ils amélioraient les profits.

Les participants se sont aussi intéressés au marketing. «On nous a demandé pourquoi on ne faisait pas de publicité dans les médias. Nous avons expliqué que notre vaste parc de camions propres faisait le travail. Leurs avis nous ont été par ailleurs précieux pour cibler nos interventions en commandite», dit-il.

Depuis 1993, plus de 300 travailleurs ont participé à ces séances et propagé leurs connaissances dans les entrepôts et sur la route. Le Groupe Robert compte plus de 2200 employés dont plus de 1200 sont membres des Teamsters.

«La transparence en matière financière, loin de nuire aux négociations collectives, les facilite», observe M. Lessard.

Jean Nadon, assistant agent d'affaire du local 106 des Teamsters, partage cet avis.

«Pour préparer les négos, tous les délégués repassent les états financiers. Mais on sait bien qu'on ne peut pas demander la lune quand il n'y a pas de lune!» dit-il.

Lors de la dernière ronde de négos, ses membres ont quand même obtenu des améliorations substantielles de leurs conditions. C'est qu'ils avaient mis la main à la pâte.

«Comme nous connaissons les livres de la compagnie, nous savons ce que nous pouvons améliorer parce que c'est nous qui travaillons avec les outils et les équipements. Ici, personne se fout du sort de la compagnie», dit-il.

Selon M. Nadon, il n'est pas rare qu'un chauffeur demande de réparer un camion qui est gourmand en carburant.

Formation et influence

En 2008, les séances de la Fondation de formation économique (FFE) du Fonds de solidarité FTQ rejoindront plus de 2400 personnes dans une soixantaine d'entreprises.

«Cette pratique découle de la mission du Fonds qui a été enchâssée dans la loi adoptée par l'Assemblée nationale lors de sa création, en 1973», explique Denis Leclerc, PDF de la FFE.

Cette mission stipule que le Fonds doit favoriser la formation des travailleurs dans le domaine économique et leur permettre d'accroître leur influence dans le développement économique du Québec. Les entreprises partenaires doivent adhérer à ce volet de la mission.

Certains patrons, comme Claude Robert, optent pour l'ouverture totale des livres. D'autres limitent le partage d'information à des séances de 90 minutes sur le plan d'affaires ou d'une journée, où certains indicateurs financiers sont dévoilés.

«Les patrons sont anxieux la première fois. Par la suite, ils ne veulent pas rater l'occasion. Ils en voient la nécessité. Ils savent qu'au bout du compte, cette transparence est une condition sine qua non pour mobiliser leur monde et assurer la pérennité de l'entreprise», observe Jean Sylvestre, directeur général du FFE.

«Nos formateurs savent vulgariser les états financiers. Ce ne sont pas des comptables mais des travailleurs qui connaissent les préoccupations des employés. Cette formule de formation économique entre pairs est une autre innovation», poursuit-il.

Même lorsqu'elles ne sont plus ou ne sont pas dans le giron du Fonds, des entreprises font appel au FEE. C'est le cas entre autres de la firme Premier Tech, de Rivière-du-Loup et de Machinerie Pronovost, de St-Tite.

Autre formule

Il y a également de la formation économique dans les entreprises soutenues par Fondaction (CSN). Elle est dispensée par Neuvaction, un OBNL créé à son initiative. Elle comprend deux ateliers de trois heures.

Pendant la première rencontre, les employés font leur propre diagnostic de la situation de l'entreprise et des pistes pour l'améliorer. Par la suite, le patron sensibilise les employés à la situation financière.

«On présente généralement des courbes plutôt que des chiffres précis. On traite du marché, de l'environnement socio-économique et les systèmes de gestion de l'entreprise. Ces formations sont données dans une optique de gestion participative», explique Francine Craig, directrice, développement des affaires, de Neuvaction.