La récente envolée des prix du pétrole a poussé les profits des entreprises de ce secteur à des niveaux record et enrichi en même temps les pays producteurs. Mais pas tous.

La récente envolée des prix du pétrole a poussé les profits des entreprises de ce secteur à des niveaux record et enrichi en même temps les pays producteurs. Mais pas tous.

Au Canada et en Alberta, c'est plutôt le contraire qui se produit. Pendant que les entreprises augmentent leurs profits, les retombées économiques de l'or noir diminuent au pays.

D'une part, Ottawa réduit l'impôt des entreprises, par lequel le gouvernement fédéral récupère une partie des profits pétroliers. Ça tombe bien pour les pétrolières, en ces années de profits faramineux.

D'autre part, l'Alberta a le régime de redevances pétrolières le plus généreux de tous les pays producteurs de pétrole. Si généreux, que plutôt que de rapporter plus d'argent à mesure que le prix international du pétrole augmente, le régime rapporte de moins en moins d'argent chaque année depuis 2005.

Cette année, soit pour l'exercice 2007-2008, la province prévoit tirer 10,3 G$ en redevances des quelque 150 entreprises actives sur son territoire. C'est l'équivalent des profits annuels de deux entreprises pétrolières canadiennes, Suncor et EnCana.

Comparée aux profits de ces entreprises qui s'enrichissent en exploitant ses sables bitumineux, la part de l'Alberta est non seulement petite, mais elle baisse d'année en année.

Comment est-ce possible  ?

Le régime de redevances albertain a été conçu pour stimuler les investissements dans les sables bitumineux, plus coûteux à exploiter que les gisements conventionnels. Les entreprises qui exploitent les sables bitumineux commencent à payer des redevances seulement quand elles ont récupéré leurs coûts en capital.

À mesure que la production de pétrole conventionnel diminue et que celle des sables bitumineux augmente, la part qui revient à la province se réduit.

Le dernier budget albertain prévoyait qu'après le sommet atteint en 2005-2006, les revenus provenant des ressources non renouvelables déclineront lentement année après année (voir tableau).

C'est la raison pour laquelle le gouvernement de Ed Stelmach a mandaté un comité pour consulter les Albertains et trouver une façon d'enrayer ce déclin.

Sans surprise, le comité a recommandé au gouvernement d'augmenter les redevances, de les lier plus étroitement au prix du marché et d'imposer une nouvelle taxe sur l'exploitation des sables bitumineux.

L'initiative a eu l'effet d'une bombe dans le petit monde pétrolier canadien, que personne n'avait bousculé ainsi depuis le règne du premier ministre Peter Lougheed, il y a 30 ans. L'industrie est montée aux barricades et a accusé le gouvernement de l'Alberta de vouloir tuer la poule aux oeufs d'or.

Bolivie ou Venezuela

«Bienvenue dans la république bolivienne de l'Alberta». C'est le titre qu'a donné un analyste de la Deutsche Bank, Paul Sankey, à son rapport sur les recommandations du comité formé par le gouvernement.

Comparant les membres du comité à une délégation du Venezuela en visite au Canada, il prédisait le pire pour les entreprises installées en Alberta, notamment pour Husky Oil et Petro-Canada.

Au final, le gouvernement a tranché. Les redevances seront augmentées, mais pas autant que le comité l'avait suggéré. La nouvelle taxe sur les sables bitumineux n'a pas été retenue. Et le nouveau régime ne s'appliquera pas avant le 1er janvier 2009, ce qui laisse du temps à l'industrie pour se préparer. L'Alberta tirera 1,4 milliard de plus par année de l'exploitation de ses ressources pétrolières, à compter de 2010.

La catastrophe appréhendée par l'industrie ne s'est pas produite. L'annonce gouvernementale du nouveau régime de redevances a eu lieu le 27 octobre, après la fermeture des marchés.

Le lendemain, les actions des entreprises actives dans la province ont à peine bronché à la Bourse de Toronto et l'indice des titres énergétiques a fini la journée en légère hausse.

Tel rendement, telles redevances

Malgré cette hausse, l'Alberta conservera sa place parmi les juridictions qui prélèvent le moins de redevances sur ses ressources pétrolières, soit moins de 50 % des revenus totaux. C'est normal, parce que les projets pétroliers albertains sont moins rentables que ceux de partout ailleurs dans le monde, soutient Pierre Alvarez, le président de l'Association canadienne des producteurs de pétrole.

«Les projets albertains se situent dans la moitié inférieure des rendements sur l'investissement quand on les compare au reste du monde», explique M. Alvarez.

C'est aussi l'avis de l'analyste de la Deustche Bank, qui estime que «le régime albertain est le moins élevé de tous les régimes du monde, mais c'est là qu'il doit être», compte tenu du faible rendement des investissements.

L'analyste balaie du revers de la main l'argument de la sécurité et de la stabilité politique de l'Alberta, qui facilite la vie des investisseurs.

«Même s'il n'y a pas de danger de coup d'État au Canada, l'environnement fiscal changeant fait qu'on ne peut pas penser au Canada comme un climat particulièrement stable pour les investisseurs», écrit Paul Sankey, en faisant référence à la décision d'Ottawa de mettre fin abruptement au régime fiscal favorisant les fiducies de revenus et à la possibilité d'une réglementation sur les gaz à effet de serre, qui affecterait l'industrie pétrolière.

Du côté de l'industrie, le jeu s'est calmé. «Personne n'est content de payer plus mais on l'a accepté», dit Pierre Alvarez du nouveau régime de redevances.

Les pétrolières veulent toutefois obtenir des changements au régime de redevances pour le gaz et le pétrole conventionnel, «qui n'est pas bien conçu», selon leur porte-parole.

Pierre Alvarez estime que le fait que les marchés financiers aient bien accueilli le nouveau régime de redevances albertain ne veut rien dire. Ça ne veut surtout pas dire que le régime est encore généreux pour les entreprises.

«Les actions des compagnies canadiennes n'ont pas baissé (le lendemain de l'annonce) mais celles de toutes les autres ont monté. La stabilité n'est jamais une bonne chose dans cette matière.»

Si le gouvernement voulait une preuve qu'il n'avait pas indisposé l'industrie, ni même blessé la poule aux oeufs d'or, il l'a eue à la fin de janvier. Suncor Energy, le plus important exploitant des sables bitumineux de la province, a annoncé un investissement de 20,6 G$ pour augmenter sa production.

C'était peut-être le signe que le premier ministre Ed Stelmach attendait avant de déclencher des élections, ce qu'il a fait quelques jours après.