Un citoyen peut-il demander justice pour une transaction qu'il savait illégale? Voilà l'une des questions fondamentales du procès entre Benoit Laliberté et Marc Beaudoin, qui se déroule à Montréal.

Un citoyen peut-il demander justice pour une transaction qu'il savait illégale? Voilà l'une des questions fondamentales du procès entre Benoit Laliberté et Marc Beaudoin, qui se déroule à Montréal.

Hier matin, un commentaire du juge Jean-Yves Lalonde n'est pas passé inaperçu à cet égard. «Peut-on venir devant les tribunaux pour demander justice pour une transaction qui pourrait être illégale, non déclarée? C'est ma préoccupation», a-t-il dit.

La poursuite du PDG déchu de Jitec contre l'ex-courtier Marc Beaudoin et la firme Canaccord Capital tourne justement autour d'une curieuse transaction. Le 20 septembre 2000, M. Laliberté a vendu 400 000 actions de Jitec par l'entremise de Marc Beaudoin pour la somme 2,6 millions de dollars.

Or, cette transaction a été réalisée hors marché, en infraction des règles de la Bourse. Hier, Benoit Laliberté a fini par admettre qu'il était au courant que la fameuse transaction était hors marché, devant le barrage de questions de l'avocat Bernard Amyot, de Canaccord.

De leur côté, Canaccord Capital et Marc Beaudoin ont été mis à l'amende en juin 2007 par la Bourse de Montréal pour cette transaction. Canaccord a reconnu sa culpabilité et payé 43 000$, tandis que Marc Beaudoin s'est vu réclamer 45 000$, mais n'a pas voulu se présenter à son audience disciplinaire.

Autrement dit, les deux camps savent que cette transaction était illicite. Qui plus est, Benoit Laliberté ne l'a pas déclarée aux autorités boursières à titre d'initié, est-il ressorti hier au procès.

Quels avantages ont tiré l'une et l'autre partie de cette transaction? D'une part, Marc Beaudoin a obtenu ces 400 000 actions à escompte pour son client Oster, des Bahamas, soit 6,50$ plutôt que le prix du marché, de 9,50$. D'autre part, Benoit Laliberté a pu empocher 2,6 millions sans inonder le marché de 400 000 ventes d'actions, ce qui aurait envoyé un très mauvais signal.

Hier, Benoit Laliberté a nié que cette transaction hors Bourse avait un motif fiscal ou lié au marché boursier. Il avait pourtant expliqué lors d'un interrogatoire précédent que cette transaction visait expressément à ne pas augmenter le volume échangé sur Jitec, ce qui aurait dilué la valeur du titre. Hier, il a répété que l'escompte avait été accordé à M. Beaudoin à la condition que les 400 000 actions ne soient pas vendues avant un an, une affirmation qu'on ne retrouve dans aucun document écrit.

Durant le contre-interrogatoire, Benoit Laliberté a admis qu'il jouait en quelque sorte le rôle de mainteneur de marché sur le titre de Jitec, puisque «la Bourse de Montréal ne jouait pas son rôle (...) Ce n'était pas mon rôle, mais j'ai dû le prendre (...) Oui, je pouvais servir à contrebalancer le marché pour ne pas que le titre baisse», a dit M. Laliberté.

Avec cette admission, l'avocat de Canaccord a tenté de savoir, mais sans succès, si M. Laliberté avait justement utilisé les 2,6 millions de dollars pour maintenir le marché. Le procès s'est alors transformé en une redite du procès pénal de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Toute la journée, les réponses de M. Laliberté ont souvent été confuses. Il prenait un long détour pour répondre aux questions, à tel point que le juge a dû intervenir à maintes reprises. «J'ai de la difficulté avec votre sincérité variable... Hier, sur le certificat de vente d'actions, c'était sans équivoque votre signature que vous reconnaissiez. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'aime autant vous le dire tout de suite que de l'écrire bêtement dans un jugement», a dit le juge Lalonde.

Par ailleurs, on a appris qu'en juillet 2000, un lot de 5,5 millions d'actions de Jitec avait été transféré de Marc Beaudoin au fiduciaire Jacques Matte et au fiscaliste Michel Faille. Les actions ont été versées dans l'un des comptes de la firme Oster Services, administré par Martin Tremblay, des Bahamas.

Michel Faille n'en est pas à son premier dossier chaud. L'homme a été reconnu coupable de fraude fiscale en 2004, en plus d'avoir été impliqué dans diverses enquêtes de la GRC pour blanchiment d'argent, sans jamais être accusé formellement.

Quant à l'avocat Jacques Matte, il a été reconnu coupable de fraude en 2007 dans une affaire civile, en plus d'avoir été éclaboussé par le scandale du Marché central, où les Soeurs du Bon Pasteur ont été victimes d'une fraude de plusieurs millions de dollars.