Gaillard costaud de plus de six pieds, Marco Ouellet est ce qu'on appelle une pièce d'homme. Mais en ce lundi soir, alors qu'il s'attable au restaurant après son quart de travail à la mine Langlois, ce mineur a sa journée dans le corps.

Gaillard costaud de plus de six pieds, Marco Ouellet est ce qu'on appelle une pièce d'homme. Mais en ce lundi soir, alors qu'il s'attable au restaurant après son quart de travail à la mine Langlois, ce mineur a sa journée dans le corps.

«Je gagne plus d'argent à la mine, mais je travaille pour! Il faut que tu aies du coeur au ventre», dit cet ancien employé de Domtar qui porte fièrement la casquette de son nouvel employeur, Breakwater Resources.

À la mine Langlois, les mineurs gagnent 65 000$ en moyenne, indique son directeur général, Mario Doucet. Avec les bonis de production, les plus bûcheurs peuvent toutefois aller chercher jusqu'à 100 000$ par année. Mais, ils «travaillent pour»...

Marco Ouellet se lève avant l'aurore pour prendre l'autocar de l'entreprise qui, vers 5h45, sillonne les rues de Lebel-sur-Quévillon. Trois quarts d'heure plus tard, ses collègues et lui arrivent à la mine dont le chevalement du puits se découpe dans le ciel étoilé du Nord-du-Québec.

Là, il enfile ses sous-vêtements et la combinaison en caoutchouc qui a séché toute la nuit, suspendue dans les hauteurs du vestiaire. C'est sans oublier le casque, les lunettes et la lampe frontale alimentée par une lourde pile retenue à la ceinture. Sans cette lampe, un mineur disparaît dans la noirceur totale de la mine, d'où l'interdiction formelle de l'éteindre.

Vers 7h, les mineurs s'entassent dans la cage noircie d'un ascenseur que tous ici appellent le «shaft». Puis ils disparaissent dans le ventre de la mine, dont la profondeur atteint un kilomètre dans sa zone la plus reculée. «Les oreilles te bouchent», raconte Marco Ouellet.

L'air chauffé de la mine est chargé d'humidité, de fines particules et des relents des explosifs qui ont détonné entre les deux quarts de travail. Une fois les gros morceaux de minerai déblayés, Marco Ouellet et son coéquipier ont pour mission de sécuriser la mine.

La Presse est descendue par la rampe, une route boueuse qui descend en spirale sous terre, pour voir en quoi consiste ce travail, l'un des plus exigeants et des plus névralgiques.

La pelle de la chargeuse -le «scoop» dans le jargon- déverse son minerai et s'entrechoque avec la benne d'un camion de 35 tonnes. Un peu plus loin, une foreuse à flèche, la «jumbo», martèle les parois rocheuses avec ses bras télescopiques. Dans ce vacarme assourdissant, les hommes se parlent par signes en se servant du faisceau de leur lampe frontale.

Les mineurs font tomber les derniers fragments qui se détachent. Puis, ils solidifient les murs et le plafond de la galerie, d'une hauteur de quatre ou cinq mètres.

Pour ce faire, ils insèrent de longues tiges de métal à intervalles réguliers à l'aide d'une foreuse à béquille ou d'une foreuse verticale. Dans un cas comme dans l'autre, cette machine qui ressemble à un marteau piqueur pèse près de 45 kilos ou 100 livres -l'auteure de ces lignes a été incapable de la soulever plus de trois secondes...

Avec leur «jackleg», les mineurs forent entre 10 et 15 trous à l'heure, dépendant de leur profondeur et de la dureté de la pierre. Une fois les murs solidifiés, ils tapissent d'un filet de métal les parois qui ruissellent d'eau. Ils progressent ainsi d'environ huit mètres par quart de travail.

Les mineurs dînent dans les salles de refuge, de grandes pièces avec un éclairage cru qui font aussi office de cafétéria avec leurs tables à pique-nique, leur frigo et leur lavabo. Ils ne remontent pas en surface avant que la journée soit terminée, leurs cirés noirs de poussière, leurs sous-vêtements détrempés de sueur. Puis, ils repartent en autocar.

Sur le chemin du retour, ils repassent devant l'usine fermée de Domtar, gardée 24 heures sur 24 par des travailleurs lockoutés qui jouent au poker dans deux cabanes en écoutant d'une oreille distraite les nouvelles financières et les cotes de Bourse.

«Cela me fait de la peine chaque fois que je passe devant la Domtar. Mais j'ai trouvé une nouvelle famille en dessous», dit Marco Ouellet, en louant l'esprit d'équipe qui règne sous terre.

Marco Ouellet ne se destinait pas à être mineur. Comme son père avant lui, cet ancien mécanicien de machine fixe pensait finir ses jours chez Domtar, où il a travaillé pendant 18 ans.

Au début, Marco Ouellet croyait que le conflit de travail ne s'éterniserait pas. Mais, après avoir grugé ses économies, il s'est impatienté. «J'étais tanné d'attendre en vivotant des prestations syndicales», dit cet homme qui paie les études de son grand ado de 17 ans au cégep.

Il s'est exilé à Laval, où une agence de placement de personnel a loué ses services de mécanicien. N'étant pas un rat de la ville, il est rentré au bercail après seulement un mois.

«Je suis un gars de bois», martèle cet homme né à Lebel-sur-Quévillon en 1968, deux années après que la ville eut été taillée dans la forêt vierge. Or, il n'y a pas 56 métiers pour rester dans cette ville isolée, plombée par le chômage.

Marco Ouellet n'a pas attendu que le cours d'extraction de minerai soit offert à Lebel-sur-Quévillon. Il est parti étudier à Matagami. Dès la fin de son cours de six mois, en novembre dernier, il s'est déniché un emploi chez le sous-traitant Ross Finley. Il avait beau être préparé, la transition a été un choc.

«J'ai fait neuf shifts en ligne sans voir le soleil. J'ai trouvé cela dur», confie-t-il. Son horaire à la mine est meilleur: sept journées de travail de jour, cinq journées de congé, puis cinq quarts de travail de nuit, suivis de cinq jours de congé. Plus que jamais, raconte-t-il, Marco Ouellet apprécie ses randonnées en motoneige, ses séjours à son camp!

Lui offrirait-on de retourner à l'usine de Domtar -que le maire Gérald Lemoyne essaie de relancer (à lire demain) - qu'il refuserait malgré tout. «Il n'y a pas juste Domtar dans la vie», dit cet homme qui est très amer à l'endroit de son ancien employeur.

«J'ai tourné la page.»