Attablée dans sa cuisine, Nathalie Néron jette un regard embué sur la maison proprette où elle élève ses deux adolescentes, sur la ville où elle est née. Le monde tel qu'elle le connaissait a chaviré, et elle ne sait plus trop où aller.

Attablée dans sa cuisine, Nathalie Néron jette un regard embué sur la maison proprette où elle élève ses deux adolescentes, sur la ville où elle est née. Le monde tel qu'elle le connaissait a chaviré, et elle ne sait plus trop où aller.

«Je ne veux pas partir, dit-elle. Mes filles sont bien ici. Mais, il faut que je regarde la réalité en face. Je ne pourrai peut-être plus vivre ici.»

L'histoire de Nathalie Néron ressemble à celle de nombreuses femmes de Lebel-sur-Quévillon. La fermeture de l'usine de pâte de Domtar a fait doublement mal à sa famille.

Non seulement a-t-elle perdu l'emploi de préposée à la sécurité qu'elle adorait, mais le même sort attendait son conjoint, Éric Leclerc, qui travaillait lui comme opérateur de lessiveuse à copeaux.

La famille tient le coup avec les prestations syndicales. En échange de huit heures de piquet de grève, chaque lockouté reçoit 500 dollars par semaine. Mais la solidarité des autres syndicats qui allongent la moitié de ces prestations ne sera peut-être pas éternelle.

Et après plus de deux années de désoeuvrement, ponctuées par de rares remplacements à l'école primaire Boréale, Nathalie Néron a perdu espoir en la relance de l'usine.

«Il faut refaire notre vie», constate cette femme de 38 ans avec un certain sentiment d'urgence. «Il ne me reste plus beaucoup d'années pour me bâtir une retraite», dit-elle.

Nathalie Néron est prête à retourner aux études, même si cela signifie de s'exiler durant de longs mois, voire quelques années, puisque peu de formations sont offertes localement.

Le problème, c'est qu'elle ne voit pas le métier qui lui permettra de revenir et de travailler dans sa ville natale. À part les emplois de mineur, qui exigent une grande force physique, il n'y a pas beaucoup d'occasions pour les femmes dans la région.

«Ce n'est pas tout le monde qui veut travailler sous terre!» dit Nathalie Néron, qui se dit claustrophobe.

«À part cela, ajoute-t-elle, il ne reste que des jobs de serveuse. Mais ce n'est pas cela qui va payer ma maison, ma voiture et les études de mes filles.»

Ghislain Desjardins, directeur régional d'Emploi Québec dans le Nord-du-Québec, concède que les emplois sont rares pour les filles qui ne s'intéressent pas aux métiers non traditionnels.

Mais pour ceux qui tiennent à rester dans le Nord-du-Québec, Ghislain Desjardins voit beaucoup d'occasions dans les grands travaux d'Hydro-Québec. Il y a la centrale hydro-électrique Eastmain 1A, la centrale de La Sarcelle et le barrage de la Nemiscau, pour ne nommer que trois chantiers.

"L'école, ça rajeunit"

Diane Cassista a justement fait contre mauvaise fortune bon coeur. À 50 ans, cette dessinatrice industrielle entrevoyait sa retraite lorsque l'usine de pâte de Domtar a fermé ses portes.

Elle vient de retourner à l'école! Diane Cassista étudie l'inspection de travaux routiers et d'ouvrages municipaux, une technique en génie civil.

Elle accomplit un vieux rêve. Jeune, elle avait visité le chantier de LG2, qui lui avait fait une impression très forte.

«Les grands chantiers, les grands travaux, l'immensité de la place: c'est une expérience que j'avais voulu vivre avant de me marier et d'avoir des enfants. Aujourd'hui, j'ai la chance de faire ce que j'ai toujours voulu faire dans la vie.»

Ce travail n'exige pas de gros muscles. Mais Diane Cassista doit compléter sa formation avec un stage rémunéré auprès du Groupe Qualitas. Ce stage prévoit trois séjours de cinq semaines à la Baie-James durant lesquels elle vivra dans un camp forestier!

Quand on lui fait remarquer que cela prend un certain courage, de faire son baluchon et d'aller travailler à la Baie-James, à 50 ans, Diane Cassista balaie cette idée d'un revers de main. Ses enfants sont grands, dit-elle.

Et puis, son mari l'accompagnera, lui qui suit le même cours qu'elle après avoir perdu son emploi à la scierie Domtar «Mais, je l'aurais fait toute seule pareil!», s'empresse-t-elle d'ajouter.

«L'école, cela rajeunit!» dit-elle sur le ton de la confidence. À l'évidence.