Denise travaille pour le même employeur depuis 42 ans. Elle avait alors 17 ans et commençait à fréquenter Jean-Pierre, son conjoint depuis maintenant 38 ans.

Denise travaille pour le même employeur depuis 42 ans. Elle avait alors 17 ans et commençait à fréquenter Jean-Pierre, son conjoint depuis maintenant 38 ans.

«On est d'une autre génération», raconte ce dernier. «Quelqu'un lui avait déconseillé de cotiser au régime de son employeur, parce qu'il était dans ses plans d'arrêter de travailler pour avoir des enfants.»

Les enfants ne sont jamais venus, malgré leurs espoirs, et elle a travaillé sans discontinuer pour la même entreprise. En dépit de ses efforts répétés, l'accès au régime de retraite lui a longtemps été refusé. La porte s'est enfin ouverte en 1990, mais sans qu'elle puisse racheter les années non participatives.

Denise atteindra 60 ans l'été prochain, et aura accumulé 18 années de participation au régime, pour un total de 78 points sur les 85 qui lui auraient valu une pleine pension.

Elle aimerait rejoindre son conjoint, déjà à la retraite depuis un peu plus d'un an.

Son employeur, pour cette occasion, lui propose le choix entre le beurre et l'argent du beurre. Si elle prenait alors sa retraite, elle pourrait toucher une rente viagère de 15 800 $ par année. À partir de 65 ans, cette rente serait indexée à raison de 50 % de l'indice des prix à la consommation.

Mais on lui offre également la possibilité d'encaisser la valeur de transfert de cette rente. Elle toucherait alors 230 000 $, à sa charge de faire fructifier ce pécule et d'en tirer un revenu.

Quelle est la voie la plus avantageuse? Sécurité ou dynamisme?

Daniel Laverdière, directeur principal chez Planification financière Banque Nationale, et Sylvain Chartier, directeur de la planification fiscale, ont exploré les deux avenues.

Le couple s'inquiétait d'abord de savoir si Denise pourrait maintenir durant toute sa retraite un revenu annuel de 20 000 $, correspondant à sa contribution aux dépenses du ménage.

Nos experts ont fait des projections pour chacune des possibilités. Ils utilisent pour les placements de Denise un rendement de 4 %, correspondant à sa faible tolérance au risque.

Dans le cas de la rente comme dans celui de la valeur de transfert, elle maintiendrait sans problème ce train de vie de 20 000 $, indexé au coût de la vie, jusqu'à l'âge vénérable de 100 ans. Mais avec la rente, elle y parviendrait en conservant un capital plus important.

Cette question étant close, sur quels critères faire peser la décision?

Le premier est la rentabilité du capital en cas de décès prématuré du retraité. «La valeur de transfert est transférable à 100 % au conjoint survivant, observe Sylvain Chartier. La rente, pour sa part, n'est souvent réversible qu'à 60 %. On perd donc 40 % dès le décès.»

À l'inverse, si Denise vit très longtemps, la rente est plus avantageuse, puisqu'elle sera pleinement versée jusqu'au décès. Une santé mauvaise influencera donc la décision en faveur de la valeur de transfert, mais sinon, elle ne sera pas un facteur déterminant.

Le deuxième facteur est plus critique: comment l'argent de la valeur de transfert sera-t-il investi? «Si l'argent est placé de façon conservatrice, il est moins intéressant de prendre la valeur de transfert, avise Daniel Laverdière. Les revenus fixes produiront 3 ou 4 % de rendement, dans la mesure où il n'y a pas de frais d'instruments financiers.

Dans leurs calculs, les actuaires utilisent des hypothèses de rendements, frais soustraits, plus élevés que ceux-là. Dans ces conditions, si le retraité veut reproduire la rente, il épuisera éventuellement son capital.»

Un retraité qui investit largement sur le marché boursier a davantage de probabilités de battre la rente, mais il court plus de risques d'encourir une perte de capital en cas de rendement négatif. Plusieurs retraités d'Hydro-Québec ont pris ce risque au début des années 2000, et l'ont payé chèrement.

Le choix de la rente élimine toute souplesse à l'égard de l'utilisation du capital initial. Ce facteur peut néanmoins être avantageux pour ceux qui auraient tendance à puiser trop libéralement dans leur capital. À l'inverse, la valeur de transfert pourrait davantage favoriser la planification fiscale.

Sylvain Chartier fait valoir un autre argument: les nouvelles règles fiscales de fractionnement de revenus de retraite permettent de partager une rente d'employeur dès 58 ans. À l'inverse, les revenus issus de la valeur de transfert ne peuvent faire l'objet de fractionnement qu'à partir de 65 ans.

Par ailleurs, certains régimes offrent à leurs membres retraités des avantages sociaux qui méritent d'être pris en compte. «Il faut vérifier ce point avec le responsable des ressources humaines», recommande Daniel Laverdière.

Enfin, un document de Flash RetraiteQuébec, de la RRQ, rappelle qu'un conseiller financier «peut être en conflit d'intérêt en favorisant indûment la valeur de transfert, car celle-ci augmente son potentiel d'actifs sous gestion», et par conséquent les revenus qu'il en tire.

Mais dès l'abord, la bonne santé de Denise et son profil d'investisseur très conservateur suffisaient à faire pencher la balance en faveur de la rente. «Pour un client de ce type, conclut Daniel Laverdière, nous favoriserions la simplicité d'une rente.»