Comment devient-on président du conseil d'administration de Quebecor ou grand patron d'une société papetière comme Donohue?

Comment devient-on président du conseil d'administration de Quebecor ou grand patron d'une société papetière comme Donohue?

En programmant son propre subconscient, explique un Charles-Albert Poissant qui, pour une fois, ne rit pas. Rencontre avec un homme étonnant.

«J'aurais dû écrire ça il y a 40 ans. C'est écoeurant!», s'exclame Charles-Albert Poissant en tapant sur son nouveau livre, Réussir - Programmer son succès.

En face de nous se tient l'une des figures de proue du monde des affaires québécois. Comparse de la première heure de Pierre Péladeau, ancien président de la papeterie Donohue, l'homme a été président de l'Ordre des comptables du Québec et a travaillé pendant près de 40 ans au sein de la société d'experts-comptables qui s'appelle aujourd'hui KPMG.

À 82 ans, Charles-Albert Poissant refuse d'accrocher ses patins. «Il veut changer le monde», dit la responsable des communications de sa maison d'édition, Anne Béland.

Dans ce qu'on pourrait appeler un «coming-out spirituel», l'homme d'affaires devenu philanthrope vient de publier le secret de sa bonne humeur et de sa réussite en affaires. Un secret, disons-le tout de suite, qui n'est pas près d'être enseigné dans les écoles de comptabilité. Car il passe par le subconscient.

Le truc: à l'heure où la plupart d'entre nous se réveillent en grognant contre le réveille-matin, Charles-Albert Poissant bondit du lit et clame haut et fort: «Tous les jours, et à tout point de vue, je vais de mieux en mieux.»

Le mantra lui vient d'Émile Coué, un pharmacien français né en 1857 et consacré «père de la pensée positive».

La formule peut être changée au besoin selon le but à atteindre, mais toujours avec le même objectif: tirer profit du pouvoir d'autosuggestion du cerveau, auquel M. Poissant croit dur comme fer.

«Si le cerveau est un ordinateur programmable, pourquoi ne pas le programmer à nos fins?», se demande-t-il dans Réussir - Programmer son succès. Les sceptiques se heurteront aux yeux brillants d'un homme qui a le sourire accroché au visage et qui ne rate aucune occasion de rigoler.

«Le subconscient est tout simplement fantastique, lance-t-il. Et la méthode Coué m'a rendu un immense service. Quand j'ai commencé avec Pierre Péladeau, à l'âge de 25 ans, on était deux tout-nus. Il reste qu'on a fait le plus grand imprimeur au monde! On a eu des déboires. Mais moi, j'appliquais toujours ma formule.»

De stagiaire à président

Entré stagiaire chez Middleton Hope & Co, le bureau de comptables agréés anglophone qui deviendra KPMG, Charles-Albert Poissant se hissera jusqu'au poste d'associé principal pour le Québec, puis à la direction nationale.

Il rencontre Pierre Péladeau au début des années 50 et devient son conseiller. Ensemble, les deux hommes bâtiront l'empire Quebecor, sans que M. Poissant ne soit jamais employé de l'entreprise.

Il refuse systématiquement les offres d'emploi de son partenaire, préférant «garder les coudées franches».

C'est donc à titre de professionnel d'un bureau d'experts-comptables qu'il contribue à la croissance de Quebecor; c'est lui, par exemple, qui négocie toutes les acquisitions de l'entreprise.

Ce n'est qu'en 1987, alors âgé de 62 ans, que Charles-Albert Poissant accepte de quitter KPMG - pas pour entrer chez Quebecor, mais pour prendre la tête de la papeterie Donohue, qui vient d'être privatisée par le gouvernement du Québec et sur laquelle Quebecor vient de mettre la main.

«Chez un imprimeur, le papier, c'est comme de l'oxygène», explique Charles-Albert Poissant. Payée 163 millions par Quebecor, Donohue est revendue 13 ans plus tard à Abitibi-Paper pour 920 millions.

«Le meilleur placement de Quebecor à ce jour», dit aujourd'hui M. Poissant.

Au cours d'une union qui a duré 50 ans, Charles-Albert Poissant a partagé bien des choses avec Pierre Péladeau.

Mais jamais il ne lui a fait part de ses lectures un peu spéciales pour un comptable de l'époque, et parmi lesquelles on retrouve des titres comme Le chemin du bonheur ou How to Make Friends and Influence People.

«Je ne parlais pas du pouvoir du subconscient avec Pierre. Il n'aurait pas cru à ça», dit M. Poissant.

Pendant toute la durée de sa carrière, Charles-Albert Poissant mettra aussi beaucoup d'effort à forger sa propre personnalité.

«Il faut cultiver ses qualités pour qu'elles prédominent sur ses défauts, dit-il. Mettre beaucoup d'humour. Essayer d'être amical. Rire et faire rire. La personnalité rattachée à ta personne, c'est ça qui compte. Parce que tu as beau avoir 15 diplômes, si t'es plate.»

Il affirme que l'amabilité et l'humour sont des tendances naturelles chez lui. Les défauts? «Appelez ma femme, vous allez avoir la liste complète!», lance-t-il en s'esclaffant. On a bien failli vous prendre au mot, M. Poissant. Puis on a décidé de suivre vos enseignements: mettre l'accent sur le positif.

Il ne perd son sourire que lorsqu'il parle de la religion catholique et ses «bondieuseries», un carcan dont il a dû se défaire pour percer en affaires.

«Pour nous, les Canadiens français, tout était péché. Tu n'allais pas au ciel si tu étais riche. Alors tu laissais le monde des affaires aux Anglais, parce que pour eux, ce n'était pas péché. On dit que les Anglais se sont emparés de l'économie du Québec. Ils ne l'ont pas prise, on leur a laissée! Ça fait une maudite différence!»

«J'ai été sévère envers la religion, c'est vrai, admet-il. Mais c'est volontaire. Je dis qu'elle a retardé l'émancipation des Canadiens français. Et que ça a fait du tort.»

Aujourd'hui, pourtant, c'est lui qui joue au bon Dieu. Fondation Paul-Guérin-Lajoie, Fondation de l'Institut canadien des aveugles, Fondation de l'hôpital Sacré-Coeur de Montréal: la philanthropie canalise une partie de son argent et le gros de son temps.

Il a créé la chaire Charles-Albert Poissant de transplantation cornéenne de l'Université de Montréal, et celle sur la gouvernance et l'aide au développement de l'UQAM.

«S'enrichir personnellement, ça contribue à l'enrichissement de la communauté, mais seulement à condition que tu sois charitable, dit-il, citant Adam Smith. Et faire du bénévolat, c'est très bon pour la santé.»

Tout ça, encore une fois, en «s'autoprogrammant» pour être en mesure de faire du bien à soi-même et aux autres. Infaillible, le subconscient?

«Non, répond-il pourtant. J'ai essayé d'appliquer la méthode Coué à mon golf et ça n'a pas eu beaucoup de succès!»

Un pied de nez à Cheney et GreenspanJuin 2004. Le Fraser Institute de Vancouver invite 30 Canadiens à aller à la Maison-Blanche rencontrer le vice-président américain, Dick Cheney, et le président de la Réserve fédérale de l'époque, Alan Greespan. Charles-Albert Poissant est le seul Québécois du nombre. Or, il refuse l'invitation sur-le-champ.

«Ici, mon regret est profond, car il s'agissait de m'adresser aux personnes les plus influentes de la planète», écrit-il dans son livre, sans expliquer les raisons de son refus.

Que s'est-il passé? «C'était à l'époque de la déclaration de la guerre en Irak, et il y avait un mouvement d'antiaméricanisme dont je faisais un peu partie, explique-t-il finalement. Cheney n'avait pas une bonne presse au Canada ça m'avait trop influencé, peut-être. Mais un petit trou de cul comme moi, j'aurais dû y aller.»

«J'aurais dû y aller et leur payer la traite!», lance-t-il soudain avant d'éclater de rire.