En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion.

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Il suffit de naviguer une demi-heure sur Iinternet pour se rendre compte de l'importance que les entreprises accordent à leur responsabilité sociale. Peu importe le nom d'entreprise qui nous vient à l'esprit, on trouvera sur la page d'entrée de son site, aux côtés du traditionnel lien «relations avec les investisseurs», un lien avec sa politique de responsabilité sociale.

Qu'est-ce qui explique un tel engouement pour des politiques qui ajoutent aux coûts, alors que l'entreprise est soumise aujourd'hui sans doute plus que jamais à la pression des marchés financiers qui lui réclament des profits toujours plus élevés?

En 1970, l'économiste américain Milton Friedman, celui-là même qui allait inspirer les gouvernements de Margaret Thatcher en Angleterre et de Ronald Reagan aux États-Unis, écrivait dans une chronique remarquée du New York Times que la seule responsabilité sociale d'une entreprise était de faire le maximum de profits possible.

Pour lui, il revenait aux élus et non à des gestionnaires au service des seuls actionnaires de l'entreprise, de décider des normes en vigueur, que ce soit en matière de protection de l'environnement, de droit du travail, ou de tout autre enjeu à portée sociale. De même que dans son Capitalisme et Liberté publié en 1962, il affirmait que la responsabilité sociale d'entreprise constituait une doctrine antidémocratique.

Le monde a cependant beaucoup changé depuis 1962 ou 1970. En particulier, l'économie s'est mondialisée. L'univers envisagé par Friedman en était un où la chaîne d'approvisionnement d'une entreprise était encrée dans un espace de droits bien délimité, par exemple celui des États-Unis, et où les lois étaient édictées par des élus directement imputables aux citoyens habitant cet espace.

Mais aujourd'hui, à l'heure où les chaînes d'approvisionnement et de distribution s'étalent d'une extrémité à l'autre du monde, qui assume la responsabilité d'édicter les lois applicables et à qui ce législateur est-il imputable? De toute évidence, la gouvernance démocratique de la mondialisation est un édifice en construction mais justement, les politiques de responsabilité sociale d'entreprise ne pourraient-elles pas en représenter l'une des briques?

Quel principe?

Certes, des organisations internationales ont été créées pour faire respecter la Toile d'obligations réciproques auxquelles les États souverains ont donné leur accord. Tant que la signature des États est volontaire et que ceux-ci sont soumis au test démocratique (ce qui n'est pas le cas de tous), au nom de quel principe devrait-on s'objecter à l'application d'une décision de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)?

Le problème c'est que ces organisations et accords n'incorporent souvent que très partiellement les dimensions extra-économiques qui comptent néanmoins pour les citoyens des pays signataires. Comme le souligne l'économiste Dani Rodrik de l'Université Harvard dans une publication récente, pourquoi un pays devrait-il se plier à une décision de l'OMC si celle-ci l'oblige à admettre l'importation libre d'un bien manufacturé dans des conditions qui ne respectent pas la législation sociale ou encore les normes environnementales locales en vigueur?

C'est dans ce vide juridique que des organisations représentant la société civile (les fameuses ONG) se sont mobilisées. Ces organisations ont utilisé l'internet et des stratégies d'alliance stratégique pour cibler les entreprises les plus connues afin de les amener à adopter des normes et standards s'appliquant à l'échelle de la planète.

Beaucoup de ces entreprises travaillent aujourd'hui de concert avec des ONG, leur confiant même parfois la responsabilité d'évaluer leur performance sociale et environnementale, partout dans le monde. Elles fondent leurs propres ONG afin de faire la promotion de politiques de développement soutenable et socialement responsable.

Un lien direct

L'une de ces ONG nouveau genre, le World Business Council for Sustainable Developement, publiait même en 2000 un rapport qui établissait un lien direct entre ces politiques de responsabilité sociale et le maintien du consensus international nécessaire à la pérennité de la liberté du commerce et de l'investissement.

Pour citer Voltaire, est-ce que cela veut dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes? Certes, des groupes continueront de ne voir dans ces politiques de responsabilité sociale qu'un habile maquillage marketing.

D'autres questionneront la représentativité des ONG qui se réclament de la société civile. D'autres enfin diront que ces politiques imposent des normes de pays développés à des pays en développement qui n'y sont pas prêts encore.

Ces critiques méritent une évaluation sérieuse mais devant l'utopie que représente un gouvernement mondial, on risque d'associer encore longtemps mondialisation et politiques de responsabilité sociale d'entreprise.

L'auteur, Martin Coiteux, Ph.D., est professeur agrégé au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal. https://www.hec.ca/profs/martin.coiteux.html