Avec ses entreprises high tech qui abondent, la grande région de Waterloo peut faire la leçon au reste du Canada. Derrière ce succès méconnu au Québec se trouve une université qui pousse ses étudiants et ses chercheurs à innover et à se lancer en affaires sans rien exiger en retour. Ça marche!

Avec ses entreprises high tech qui abondent, la grande région de Waterloo peut faire la leçon au reste du Canada. Derrière ce succès méconnu au Québec se trouve une université qui pousse ses étudiants et ses chercheurs à innover et à se lancer en affaires sans rien exiger en retour. Ça marche!

L'inimaginable faillite de General Motors fait frémir le sud de l'Ontario, où l'économie carbure à l'industrie de l'auto. Mais ce n'est pas dans la région de Waterloo que vous saurez que la province flirte avec la récession.

Même si la première neige tient au sol ce matin-là, des travailleurs de la construction triment, alors qu'ils mettent la dernière touche aux nouveaux édifices du vaste parc techno au nord de l'Université de Waterloo, où les géants du logiciel Google et Sybase ont élu domicile. L'université elle-même prend de l'expansion avec un nouveau campus des sciences de la santé et l'agrandissement de son école d'optométrie.

Les centres commerciaux Fairview Park Mall et Conestoga Mall font peau neuve avec des investissements de plus de 80 millions de dollars. Et la toute jeune Balsillie School of International Affairs, une institution d'enseignement supérieur du nom de son généreux donateur, Jim Balsillie, grand patron de Research in Motion, se dressera bientôt au coeur de Waterloo.

La grande région de Waterloo, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Toronto, a pourtant reçu sa part de coups durs. À Guelph, par exemple, le fabricant de pièces de voitures Linamar a remercié 500 travailleurs en août. En janvier, ils étaient tout aussi nombreux à perdre leur emploi chez Collins&Aikman, un autre fournisseur de pièces automobiles, en faillite.

Dans ce contexte morose, la nouvelle usine Toyota à Woodstock suscitait de grands espoirs. Mais la région déchante. Pour s'ajuster au ralentissement, le constructeur japonais roulera en première vitesse avec un seul quart de travail.

Malgré tout, le chômage dans la région économique de Kitchener-Waterloo (qui comprend aussi Cambridge de l'autre côté de l'autoroute 401, Guelph et Barrie) n'était que de 5,4% en octobre, comparativement à 6,3% pour tout l'Ontario. Une différence marquée que Statistique Canada observe depuis des années.

Se réinventer

«En dépit des grands changements structurels, la région de Waterloo a toujours réussi à se réinventer», note Iain Klugman, président de Communitech, l'association qui réunit tout ce qui bouge en techno à Waterloo, des entreprises en démarrage aux champions de la nouvelle économie, des fonds de capital-risque aux anges investisseurs.

Avec des grands noms comme Research in Motion, Open Text, Dalsa et COM DEV International, la région compte plus de 525 entreprises de haute technologie avec des revenus totalisant 13 milliards de dollars, d'après l'enquête menée par Communitech en 2008. Elles font vivre près de 30 000 salariés, des cracks de la techno pour la plupart.

Très ouverte à l'industrie, l'Université de Waterloo joue un rôle déterminant dans le dynamisme de la région. Mais c'est la région qui a façonné l'université, observe son président, David Johnston. «Une université n'est jamais désincarnée, dit-il. Elle prend le caractère de sa communauté.»

La Beauce de l'Ontario

Peuplée par des immigrants allemands qui avaient pour bagage des techniques industrielles et une grande éthique du travail, la région de Waterloo a une longue histoire d'entrepreneurship. C'est ici que Joseph Seagram a distillé sa première bouteille de whisky. C'est ici que sont nés les saucisses Schneider, les biscuits Dare et les fameuses bottes Sorel de Kaufman - qui ne sont pas soreloises!

Ce sont des hommes d'affaires en vue de Waterloo qui ont fondé l'université en 1957. Ira Needles, président de BF Goodrich Canada - une entreprise qui était encore récemment l'un des grands employeurs de la ville - se trouvait à leur tête.

Ira Needles déplorait la pénurie d'ingénieurs et de techniciens spécialisés à laquelle le Canada faisait face après la Deuxième Guerre mondiale. «L'université, c'était une solution très pragmatique à un besoin», raconte David Johnston. L'université de Waterloo est donc née avec sa première classe de 74 étudiants en génie.

Pour justifier la création d'une nouvelle institution voisine de l'Université Wilfrid Laurier, Waterloo s'est dotée d'une personnalité propre, en lançant le premier programme coopératif au pays. Avec près de 15 000 étudiants qui travaillent et étudient, aucune université dans le monde n'administre aujourd'hui un programme coopératif plus important, s'enorgueillit Waterloo.

«Ces premiers étudiants étaient très orientés vers le pratique, très entreprenants. Ils ont même remis en question certaines des habitudes de leurs professeurs, ce qui a eu une influence durable sur l'université», raconte Scott Inwood, directeur de la commercialisation à l'Université de Waterloo.

Le chercheur est roi

Mais ce n'est pas tout. Dès le départ, l'université s'est dotée d'une politique de propriété intellectuelle remarquablement généreuse. Si un chercheur de Waterloo fait une découverte, il peut la breveter seul et n'a pas à partager avec l'université d'éventuels revenus de commercialisation, même si on l'invite à se montrer généreux.

«C'est la seule politique en Amérique du Nord qui n'exige aucun partage des revenus en retour d'une découverte avec un potentiel commercial. Pour les chercheurs, c'est une super affaire», note Scott Inwood. Son équipe de sept spécialistes aide les chercheurs qui le souhaitent à breveter leurs découvertes et à les commercialiser, soit en vendant une licence d'utilisation à un joueur établi, soit en créant une entreprise.

L'Université de Waterloo a ainsi donné naissance à de grandes entreprises comme le producteur de logiciel Open Text et le fabricant d'instruments optiques Dalsa. Open Text ne s'est pas beaucoup éloignée de l'Université! Elle occupe des bureaux neufs dans le parc techno qui est tellement près de l'université qu'on s'y croit encore sur le campus.

«Comme Google et Sybase, Open Text veut pouvoir puiser dans le bassin de talents de l'université», note Tim Ellis, directeur de l'exploitation du Accelerator Center, un incubateur d'entreprises installé dans ce parc.

Dans cet immeuble qui sent encore le tapis neuf, 25 PME en démarrage ont trouvé un toit, des services de soutien administratifs et des conseils d'entrepreneurs aguerris pour mener à bien leur plan d'affaires. «On pensait que cela prendrait 18 mois, mais après seulement 6 mois, tous nos espaces étaient loués tellement l'engouement est fort», raconte Tim Ellis.

Ces start-up resteront là un peu plus de deux ans, avant de voler de leurs propres ailes ou... de s'écraser.

«À Waterloo, on accorde beaucoup de valeur au fait de contrôler sa destinée, de lancer son entreprise, note Iain Krugman, de Communitech. Avec pour corollaire que ce n'est pas la fin du monde d'échouer. C'est une culture très différente de ce que j'ai vu ailleurs au Canada. Les Canadiens ne sont généralement pas très à l'aise avec le risque.»

Le succès de Waterloo tient donc à cette proximité entre chercheurs et entrepreneurs et à l'importance accordée à la commercialisation des découvertes et au lancement d'entreprises.

«Il faut qu'il y ait une circulation à double sens entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, tout en veillant à protéger la liberté et la curiosité intellectuelles», dit David Johnston.

Waterloo peut-elle faire la leçon au reste du Canada? En bon diplomate, David Johnston, l'ancien recteur de l'Université McGill, se garde bien de le faire. Mais sa voix trahit une fierté mal dissimulée.

Innovation artificielle

Larry Page a rencontré Sergey Brin en 1995. Étudiant au doctorat à l'Université Stanford, Page s'était porté volontaire pour animer une visite guidée du campus à l'intention de nouveaux venus. Les deux jeunes informaticiens sont devenus amis. C'est en travaillant ensemble que Page et Brin ont créé l'algorithme derrière le moteur de recherche Google.

Le petit site Internet de socialisation de Mark Zuckerburg est né dans sa chambre de résidence universitaire, en 2004. Devant sa popularité immense à Harvard, Zuckerburg et son coloc, Dustin Moskovitz, l'ont exporté à d'autres universités. Ainsi est né Facebook...

Ces histoires de légende et d'autres encore alimentent la croyance répandue selon laquelle les innovateurs produisent leurs idées les plus originales et les plus marquantes lorsqu'ils sont dans la vingtaine. Débattues à mort à la cafétéria de l'université ou dans le garage d'un copain, ces idées peuvent donner naissance à de grandes entreprises.

Mais, peut-on recréer cette chimie artificiellement? C'est le pari osé de Sean Van Koughnett, directeur de projet de l'Université de Waterloo, qui a piloté la création d'un véritable laboratoire humain. Son nom: VeloCity.

«C'est un croisement entre une résidence universitaire traditionnelle et un incubateur d'entreprises, explique Sean Van Koughnett. On y a réuni un paquet de gens brillants et entreprenants, et on espère que cela va créer des flammèches.»

De l'extérieur, l'édifice de briques brunes ressemble à n'importe quel autre sur le campus sinueux de l'Université de Waterloo. Mais à l'intérieur, on se croirait dans un bar lounge branché. Il y a des canapés aux lignes épurées, une immense télé à écran plat et des grands panneaux de lumière teintée au plafond qui changent de couleur et d'ambiance au gré des humeurs.

Soixante-douze étudiants au bac et à la maîtrise vivent depuis septembre dans cette résidence vieille de 40 ans que l'Université a métamorphosée grâce à un investissement de 800 000$. Ces étudiants de génie, de mathématiques, de comptabilité et de design média ont dû soumettre leur candidature et passer une entrevue pour loger ici. Seulement un candidat sur deux a été accepté.

Les heureux élus ont en commun d'être passionnés par les communications sans fil et les technologies des nouveaux médias. Tous ont l'ambition de lancer une entreprise. Ils disposent d'installations à la pointe, comme ce laboratoire où les étudiants peuvent démonter et jouer à leur guise avec les téléphones sans fil dernier cri et autres gadgets de grands fabricants. Sur les murs de verre de ce labo qui surplombe la grande salle de détente, ils notent au marqueur leurs idées et dessinent des schémas.

Ces étudiants profitent aussi des conseils d'experts et de mentors qui les aident à monter leur plan d'affaires et à le promouvoir auprès de financiers en capital-risque.

«Il est difficile de recréer les conditions propices à l'innovation, dit Sean Van Koughnett, 37 ans, dont le mémoire de maîtrise, à l'Université Waterloo, portait sur le développement économique local. Mais s'il y a un endroit où cela peut fonctionner, c'est bien ici, dans cette communauté bourrée d'idées et de talents qui est très versée dans la haute technologie.

«Cela reste une expérience, concède toutefois le directeur de VeloCity. Cela va prendre quelques années avant que nous sachions si elle fonctionne.»

L'attraction des cerveaux

Le nouveau directeur du Perimeter Institute, Neil Turok, l'un des plus grands théoriciens de la physique, a créé toute une commotion au printemps en quittant l'Université Cambridge. Il a claqué la porte au Royaume-Uni, jugeant que son pays d'adoption manquait de respect envers la science.

La rumeur (fondée) d'un prochain séjour à Waterloo de son ami Stephen Hawking, ce physicien célèbre pour sa théorie sur le Big Bang et les trous noirs, vulgarisée dans le best-seller A Brief History of Time, n'a fait qu'alimenter l'hystérie. La presse britannique a parlé d'exode de cerveaux au Canada!

Il faut mettre cette anomalie sur le compte du Perimeter Institute, l'un des nombreux instituts de recherche et écoles qui profitent des largesses des riches entrepreneurs de Waterloo.

Le créateur du téléphone BlackBerry, Mike Lazaridis, a donné 150 millions de sa poche pour que des physiciens fassent avancer la cosmologie, les structures quantiques, la physique des particules ou la théorie des supercordes.

Ces travaux n'ont aucune application commerciale dans un avenir prévisible. Mais ils ont mis le Canada sur la mappemonde de la science.

À Waterloo, 86 jeunes chercheurs planchent sur ces questions et d'autres dans un édifice époustouflant construit par les architectes montréalais Saucier Perrotte.

Comme Waterloo n'est pas choyée par la mer ou la montagne, l'idée était de concevoir l'édifice le plus agréable et fonctionnel qui soit pour séduire les chercheurs étrangers, avec oeuvres d'art et cours intérieures. La lumière naturelle coule à flots dans cet immeuble où les physiciens peuvent discuter autour d'un foyer ou d'une cafetière espresso, assis dans de confortables canapés en cuir. Certains vont même jusqu'à noter des équations sur le manteau noir des cheminées!

VEDETTES D'HIER

The Seagram Company

Né près de Cambridge, le fondateur de cette distillerie, Joseph Seagram, était l'un des hommes politiques les plus en vue à Waterloo au XIXe siècle, ayant été conseiller municipal puis député à Ottawa. Il est mort en 1919, neuf ans avant que son entreprise ne fusionne avec la distillerie du Montréalais Samuel Bronfman.

Aliments Dare

Les biscuits et bonbons que Charles Doerr s'est mis à concocter dans sa cuisine, à l'arrière de son épicerie de Kitchener, en 1892, ont fait fureur.

Aliments Schneider

Fils d'un immigrant allemand, John Metz Schneider s'est mis à préparer des saucisses dans sa cuisine selon une vieille recette familiale, à la suite d'un accident de travail à l'usine de fabrication de boutons où il travaillait, en 1886.

Kaufman Footwear

La marque des bottes Sorel appartient maintenant au fabricant de vêtements de sport Columbia, mais l'entreprise qui était célèbre pour ces bottes a été fondée par Jacob Ratz Kaufman à Kitchener, en 1907.

VEDETTE D'AUJOURD'HUI

Research in Motion

Fondée par Mike Lazaridis, le décrocheur le plus célèbre de l'Université de Waterloo, le fabricant du BlackBerry a appris à 19 millions d'utilisateurs à taper avec les pouces. RIM emploie 10 000 salariés, dont 7000 à Waterloo.

Open Text

Spin-off de l'Université de Waterloo, où des professeurs ont mis cinq ans à indexer le dictionnaire Oxford. Après avoir créé son premier engin de recherche sur l'internet, Open Text s'est lancé en affaires, en 1991. Ce producteur de logiciels de gestion de documents emploie 3000 personnes à travers le monde.

DALSA

Fondée en 1980 par un professeur de génie de l'Université de Waterloo, Savvas Chamberlain, cette entreprise de 1000 employés conçoit et fabrique des produits et des logiciels d'imagerie.

COM DEV International

Cette entreprise de Cambridge née en 1974 fabrique des équipements pour satellites de commu-nications. L'effectif de Com Dev s'élève à près de 1000 salariés.