Mai 2005, c'est la fin pour Norshield. Les employés préparent l'ultime téléconférence pour faire la douloureuse annonce aux investisseurs. Et qui rencontrent les employés, à Montréal, pour cette téléconférence? Lino Matteo, cet homme pour qui les autorités en valeurs mobilières réclament la prison dans un dossier parallèle.

Mai 2005, c'est la fin pour Norshield. Les employés préparent l'ultime téléconférence pour faire la douloureuse annonce aux investisseurs. Et qui rencontrent les employés, à Montréal, pour cette téléconférence? Lino Matteo, cet homme pour qui les autorités en valeurs mobilières réclament la prison dans un dossier parallèle.

Le long récit de Jeffrey Young, ex-employé de Norshield à Toronto, s'est terminé avec cette mention de Lino Matteo, hier, devant la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO). Pour M. Young, les incohérences de l'entreprise ont été telles qu'elles l'ont incité à conserver certains documents au moment de son départ advenant une éventuelle enquête.

Rendements incompréhensibles, calcul douteux de la valeur des parts des investisseurs, prêts insensés entre divers fonds, les éléments recensés par M. Young dans les derniers mois de l'entreprise ont été nombreux. La CVMO a pu faire un interrogatoire précis à ce sujet grâce à la chaîne de courriels qu'elle a récupérée en cours d'enquête.

Norshield offrait ce qu'on appelle des «fonds de fonds» aux investisseurs, soit une combinaison de plusieurs fonds et de fonds de couverture (Hedge Fund). La CVMO, rappelons-le, accuse le PDG de Norshield, John Xanthoudakis, de même que Dale Smith et Peter Kefalas, deux cadres, d'avoir agi malhonnêtement envers leurs clients et d'avoir menti à la CVMO. Globalement, les investisseurs ont perdu presque la totalité des 472 millions de dollars investis dans cette affaire. Quelque 159 millions sont réclamés par des particuliers, principalement ontariens.

Jeffrey Young a travaillé pour Norshield du printemps 2004 à mai 2005. Ce titulaire d'un MBA en finance était responsable de la conformité à Toronto, soit l'application des règles des autorités réglementaires comme la CVMO.

À partir de janvier 2005, Jeffrey Young a réclamé à plusieurs reprises à la haute direction qu'elle trouve une firme indépendante pour évaluer les parts des investisseurs. Norshield venait de perdre son évaluateur, Cardinal International, qui avait connu des problèmes aux Bahamas.

Dans l'industrie, cette indépendance est cruciale. Elle permet aux clients d'avoir une confiance absolue dans leur investissement, dont la valeur est à l'abri de l'humeur des gestionnaires de fonds. Selon M. Young, durant toute l'année 2005, cette valeur a plutôt été calculée par une firme de la Barbade détenue par John Xanthoudakis, appelée Olympus United Bank. Ce lien étroit a suscité de nombreuses questions des investisseurs.

Certes, la portion canadienne des fonds était évaluée par une nouvelle firme, Unisen, mais leurs chiffres devaient notamment se baser sur ceux d'Olympus Bank, dirigée par Dale Smith. Jeffrey Young a maintes fois tenté d'avoir des explications de la direction. Pour ultime réponse, John Xanthoudakis a invoqué les frais qu'occasionnerait l'embauche d'une nouvelle firme.

La valeur douteuse des parts est revenue sur la table lorsqu'en janvier 2005, Jeffrey Young a constaté un écart de rendement de quatre points de pourcentage entre deux fonds pourtant identiques si ce n'était leurs frais de gestion. Autre curiosité : un des «fonds de fonds» offerts aux investisseurs présentait un rendement positif, alors que tous les fonds sous-jacents avaient un rendement négatif.

Après des courriels insistants, Jeffrey Young s'est fait dire par John Xanthoudakis que cet écart s'expliquait par le jumelage d'un nouvel instrument de couverture de change qu'il avait créé durant les Fêtes et qui bonifiait le rendement. Cette information était inconnue des investisseurs - notamment les gros investisseurs institutionnels - un élément qui a irrité M. Young.

Au fil des mois, le gestionnaire a également découvert que certains fonds de Norshield se prêtaient de l'argent entre eux, un élément incompatible avec le juste calcul de la valeur des parts. En outre, il a appris que l'un des principaux fonds était lié à 68% avec le fonds maison Mosaic, contrairement à ce qui était communiqué aux investisseurs. Bref, les incohérences se multipliaient.

«La plupart des employés sont démoralisés et il faudra beaucoup de temps pour qu'ils retrouvent votre confiance», a-t-il écrit à la direction. Jeffrey Young a fini par quitter l'entreprise le 9 mai, dépité.

Rappelons que Lino Matteo est le PDG déchu de Mount Real. À l'automne 2005, cette firme a été bloquée par les autorités et 1600 investisseurs du Québec ont perdu 130 millions. Le mois dernier, l'AMF a déposé 308 chefs d'accusation contre Lino Matteo, réclamant des dizaines de millions de dollars d'amendes et la prison.