Les propriétaires de maison se sont enrichis avec la hausse du marché immobilier. Mais ils ne sont pas les seuls. Les fraudeurs aussi se frottent les mains.

Les propriétaires de maison se sont enrichis avec la hausse du marché immobilier. Mais ils ne sont pas les seuls. Les fraudeurs aussi se frottent les mains.

Aux États-Unis, les cas de «flip immobiliers» ont explosé. La fraude consiste à obtenir une hypothèque surévaluée, à l'aide de faux documents.

Ce type d'arnaque est largement responsable de la hausse des pertes reliées à la fraude hypothécaire, qui ont atteint plus d'un milliard de dollars en 2005, selon le FBI. C'est six fois plus qu'au début 2000!

Le Canada n'échappe pas à la vague. «On en a plein de ça. Ça frappe partout», affirme l'enquêteur d'une institution financière. Le «flip» a pris de l'ampleur depuis cinq ans, confirme Robert Nadeau, président de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ).

Quasi inexistants il y a 10 ans, les affaires de «flip» représentent aujourd'hui 10% des dossiers d'enquête de l'ACAIQ. Un vrai fléau, au même titre que les maisons détruites par la culture de marijuana.

«Autrefois, la SCHL dépêchait un inspecteur sur place. Maintenant, elle ne le fait plus, explique M. Nadeau. Cela a créé un vide. Cela a ouvert la porte à la fraude. Il n'y a pratiquement plus de surveillance.»

Il faut savoir que les fraudeurs procèdent généralement à l'aide de prêts hypothécaires assurés par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), obligatoires pour les acheteurs qui n'ont pas 20% de mise de fonds.

En cas de défaut de paiement, la SCHL rembourse la banque. En 2006, elle a accordé des règlements de 209 millions, en hausse de 50% sur 2002. Mais les cas de fraude ne représentent qu'une mince partie de cette somme, assure la SCHL.

Prix gonflé

Quand le prêt est assuré, les banques ne demandent pas d'évaluation de la maison. Elles s'en remettent à la SCHL qui ne le fait pas systématiquement.

«On fait des évaluations si on juge qu'il y a un risque élevé», dit Stéphanie Rubec, porte-parole de la SCHL. Pour établir ce risque, la SCHL utilise des systèmes informatiques qui tiennent compte de plusieurs éléments.

La SCHL se fie, entre autres, au prix moyen des maisons vendues dans un quartier. Pour la déjouer, les fraudeurs repèrent des maisons dont la valeur est nettement inférieure à la moyenne, expliquent des enquêteurs de banques.

Par exemple, ils identifient une maison délabrée, dans un quartier où les maisons valent environ 300 000$.

Ils présentent une offre d'achat de 200 000$, soit la juste valeur marchande. Entre-temps, ils identifient un acheteur qui leur servira de prête-nom pour racheter l'immeuble à un prix artificiellement gonflé, disons 325 000$.

Le réseau de fraudeurs cible des gens naïfs à l'aide des petites annonces: «Voulez-vous devenir propriétaire?» «Zéro comptant.» «Aucune hypothèque refusée!»

Ils recrutent aussi par bouche à oreille, par le truchement des réseaux d'étudiants, d'immigrants, par exemple. «Veux-tu faire de l'argent? Tu peux faire 5000$. Viens nous rencontrer.»

Faux documents

Dès la première rencontre, les fraudeurs s'assurent que le futur prête-nom dispose un bon dossier de crédit. Autrement, la transaction risque de bloquer.

Par la suite, les fraudeurs lui fabriquent de toutes pièces une nouvelle situation financière, explique l'enquêteur d'une banque.

Des faussaires produisent des preuves d'emploi, des déclarations de revenus et des avis de cotisation du fisc, attestant d'un salaire élevé. Ils inventent des relevés de compte bien garnis, des placements dans différentes institutions financières.

«Une hypothèque sur quatre est obtenue avec des documents falsifiés. C'est gros!» avance l'enquêteur. Évidement, il ne s'agit pas toujours de cas de «flip».

Par la suite, les fraudeurs acheminent les documents falsifiés à la banque par télécopieur, ce qui camoufle les imperfections. Mais grâce à la technologie, certains fraudeurs peuvent fabriquer des documents qui ressemblent à s'y méprendre aux originaux.

Le prête-nom se présente à la banque, sans même avoir vu les documents. Il n'a jamais visité la maison. Il n'a pas vu les contrats. Rien.

Ne reste plus qu'à passer chez le notaire. Le fraudeur cède au prête-nom son offre d'achat, si bien que lui-même n'a jamais déboursé quoi que ce soit. Le notaire reçoit 315 000$ de la banque (hypothèque de 95% du prix gonflé de la maison).

Le notaire remet 200 000$ à l'ancien propriétaire, comme prévu, et 115 000$ au fraudeur. Le prête-nom devient officiellement propriétaire de la maison, en échange d'une commission de quelques milliers de dollars. Mais sa vie financière est gâchée pour toujours. C'est le début du cauchemar.

Cauchemar financier

Éventuellement, les fraudeurs qui s'étaient engagés à s'occuper de la maison arrêtent de payer l'hypothèque, l'impôt foncier, les assurances

Tout retombe sur le prête-nom. Il est incapable d'assumer les paiements de plusieurs milliers de dollars.

La banque reprend les clés et remet la maison en vente. Mais elle obtient seulement 200 000$. Elle encaisse donc une perte. Bien sûr, le prêt est assuré par la SCHL.

Mais la banque doit d'abord poursuivre le prête-nom pour le manque à gagner, si elle veut être dédommagée.

Le prête-nom est dans le pétrin, souvent acculé à la faillite. Un vrai cauchemar qui le hantera longtemps.

À l'avenir, les banques lui fermeront la porte au nez. Pour une banque, un historique de fraude bancaire, c'est pire que tout. Pire qu'une faillite. Pire qu'un dossier criminel.

Désormais, impossible d'acheter une maison, impossible d'obtenir un prêt. Même ouvrir un compte bancaire sera un défi.

Des fraudeurs difficiles à pincer

Les organisateurs des réseaux de flip immobilier ne sont pas faciles à pincer.

Il est vrai que le fisc s'attaque à eux, pour tenter de récupérer les impôts non payés. Depuis cinq ans, Revenu Québec a d'ailleurs perquisitionné une demi-douzaine de réseaux qui auraient empoché des gains non déclarés totalisant plus de 30 millions de dollars, sur plusieurs années. Pour l'instant, aucune enquête n'a encore débouché sur des accusations.

Rien pour arrêter les fraudeurs «Au bout d'un an, ils repartent sous un autre nom», lance l'enquêteur d'une institution financière.

Mais qu'en est-il du côté criminel? La Sûreté du Québec refuse de commenter, jugeant que la question n'est pas d'intérêt public. «Les victimes du flip sont les banques, et elles sont déjà au courant. Les prête-noms, ce sont des suspects, pas des victimes», a dit le porte-parole Marc Butz.

Agents et notaires sanctionnés

Il est rare que la Chambre des notaires sévisse dans un cas de flip immobilier. Certains notaires se sont déjà fait attraper sur des éléments techniques, un découvert du compte en fidéicommis, par exemple.

Mais de là à prouver qu'ils sont de connivence avec un réseau criminel, il y a un pas difficile à franchir, explique le porte-parole de la Chambre, Antonin Fortin.

Mais la semaine dernière, la Chambre des notaires a radié pour trois ans Brenda Langlois, d'Outremont. Le comité de discipline a statué qu'elle a fait preuve d'aveuglement volontaire dans le cadre d'une centaine de transactions qui se sont échelonnées de 1999 à 2003, avec le réseau Rebirth.

La dernière fois que le syndic a porté plainte contre un notaire pour une question de flip, c'était à l'encontre de Manon Filion, qui a été reconnue coupable en 2000. Elle a quitté la profession depuis.

Pour Mme Langlois, «trois ans, c'est assez important comme sanction, car il sera difficile pour cette notaire de se refaire une clientèle après trois ans», a dit M. Fortin.

Par ailleurs, une douzaine d'agents immobiliers impliqués dans des réseaux de flip, se sont fait pincés par le comité de discipline de l'ACAIQ, depuis cinq ans.

Par exemple, Sylvain Krief a été suspendu pour 10 ans en 2006. Il avait déjà été sanctionné trois fois, dans des affaires de faux documents. Après avoir perdu son permis pendant trois ans, il a récidivé en créant, «un stratagème de plus grande envergure et orchestré de manière savante», note le comité.

De nombreux réseaux découverts

Solution Maison

En novembre dernier, Revenu Québec cogne à la porte de Benoît Émond ainsi qu'à celle de la société 6007392 Canada connue sous la raison sociale Solution Maison.

De 2000 à 2006, ils auraient empoché des revenus non déclarés de 1,5 million, grâce à 61 transactions immobilières irrégulières, estime Revenu Québec.

Benoît Émond attirait des prête-noms à l'aide de publicités dans les journaux. Il leur promettait l'achat de propriétés sans mise de fonds, révèle une décision récente du comité de discipline de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ), à l'encontre de l'agent immobilier André Charbonneau.

«Benoît Émond a fait les acquisitions des propriétés sans débourser et en utilisant le financement hypothécaire de la deuxième transaction, tout en empochant un profit intéressant à chacune des occasions», peut-on lire. Le financement pour le deuxième acquéreur était obtenu sur la base de faux documents.

André Charbonneau a été reconnu coupable au début d'avril. Sa sanction n'est pas encore connue. Deux autres agents, qui agissaient pour le compte de Benoît Émond, ont été suspendus pour sept ans, l'année dernière. Il s'agit de Gilles Émond et de Ginette Dupéré.

Groupe Immobilier Access

«No money down», c'est avec cette petite annonce que le Groupe Immobilier Access attirait ses victimes.

En avril 2007, Revenu Québec a démantelé ce réseau de flip immobilier qui sévissait un peu partout au Québec.

Onze personnes et 10 sociétés seraient impliquées dans le stratagème qui aurait permis de procéder à quelque 400 transactions frauduleuses. De 1999 à 2006, le réseau aurait réalisé des gains non déclarés de 8,8 millions.

La présumée tête dirigeante du réseau serait Clermont Bouchard, de Gatineau. Mais le réseau avait des ramifications à Val-des-Monts, Lachute, Laval, Lachenaie et Longueuil.

Plusieurs agents immobiliers, reliés à Clermont Bouchard, ont été sanctionnés par l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec.

Bruce Lemieux a été radié pour 25 ans. Michel Couture a été suspendu pour deux ans. Réjean Courchesne a aussi été sanctionné, mais il a porté la décision en appel. Enfin, Diane Paquet Larrivée vient d'être reconnue coupable. Mais sa sentence n'est pas encore tombée.

Le dossier Rebirth

Depuis 2004, le fisc est aux trousses d'un autre réseau qui aurait utilisé le flip à grande échelle.

Ce réseau opérait sous le nom de Rebirth, Les immeubles L.C. Unique ou Jaxandre. Ses deux principaux artisans se nomment Andrew Lacey et Éric Émery, selon les mandats de perquisition obtenus par Revenu Québec.

De 1999 à 2003, le réseau aurait effectué 210 transactions et réalisé 13,5 millions de profits non déclarés au fisc. Plusieurs maisons visées par ces transactions étaient situées dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

«Toutes les transactions ont été faites par l'intermédiaire d'un prête-nom. La revente de l'immeuble se faisait à un prix supérieur à l'achat, dans la majorité des cas, le jour même ou les jours suivants», selon les mandats de perquisition. Les particuliers qui servaient de prête-noms recevaient environ 250$ par transaction.

Plus d'une centaine de transactions ont été réalisées par l'entremise de la notaire Brenda Langlois, qui vient d'être radiée pour trois ans.

Deux agents coincés

En 2005 et 2006, deux autres agents immobiliers ont été sanctionnés pour leur implication dans un autre réseau de flip orchestré par Rock Tremblay.

L'agent immobilier André Fuoco a participé à «un système de grande envergure dans la région de Gatineau dont les consommateurs faisaient les frais», écrit le comité de discipline de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ) qui l'a suspendu pour sept ans, en 2005.

Quant à l'agent immobilier Jacques Pruneau, il a été suspendu pour cinq ans, en 2006, pour avoir «prêté son concours à ce réseau organisé dans un objectif de fraude» et pour avoir lui-même tenté «d'implanter le stratagème dans une autre région, à son compte et non plus comme un des rouages d'une autre organisation.»

Trois cas récents

Trois présumés réseaux de flip immobilier ont récemment reçu la visite de Revenu Québec.

En janvier, le fisc a mené une perquisition dans la région de L'Assomption. Le fisc visait une femme qui «a omis de déclarer des revenus de 1,6 million de dollars provenant de transactions immobilières qu'elle a réalisées dans le secteur résidentiel, entre 2000 et 2006», selon le communiqué de presse du Ministère.

Au cours de l'hiver, un autre homme s'est retrouvé dans la ligne de mire du fisc. Revenu Québec croit qu'il est à l'origine d'un stratagème qui lui a permis de dégager des revenus non déclarés de 820 000$.

Le Ministère a mené cinq perquisitions à Brossard, Longueuil, Saint-Lambert et Montréal, visant l'individu et 16 fiducies dont il est le bénéficiaire.

Et en novembre dernier, Revenu Québec s'est attaqué à un réseau qui aurait réalisé 57 transactions douteuses, entre 2000 et 2005, permettant de dégager des revenus non déclarés de 3,1 millions.

Le fisc a obtenu 10 mandats de perquisition visant des entreprises de Laval, Montréal, Lachenaie et Repentigny.

En plus de devoir acquitter les sommes dues, les artisans de flips immobiliers s'exposent à des poursuites et des amendes variant entre 125% et 200% des sommes éludées.

Cas type

1- Les fraudeurs achètent pour 200 000$.

2- Ils revendent à un prêtenom pour un prix gonflé à 325 000$. Celui-ci a obtenu une hypothèque de 315 000$ avec des documents falsifiés.

3- Les fraudeurs empochent 115 000$.

4- Les fraudeurs arrêtent de rembourser l'hypothèque.

5- La banque encaisse une perte.