Il travaille dans l'industrie du divertissement; pour s'amuser, il fait donc de la politique. Ancien secrétaire national du Parti conservateur, Rémi Racine dirige la plus grosse boîte indépendante de jeux vidéo au pays.

Il travaille dans l'industrie du divertissement; pour s'amuser, il fait donc de la politique. Ancien secrétaire national du Parti conservateur, Rémi Racine dirige la plus grosse boîte indépendante de jeux vidéo au pays.

Et si vous n'en avez jamais entendu parler, il a un message pour vous: il n'y a pas qu'Ubisoft à Montréal.

Rubis embroche un ennemi avec son sabre, virevolte, puis dégaine deux pistolets, question d'accélérer le boulot. La manette entre les mains, Rémi Racine, 44 ans, s'applique à canarder les méchants.

Il finit par redonner les contrôles au programmeur assis à côté de lui. «Chaque fois que je viens te voir, c'est de plus en plus beau, lui lance-t-il avec un sourire. De plus en plus rapide, de moins en moins saccadé.»

Rubis est l'héroïne de Wet, un jeu que lancera A2M (pour Artificial Mind&Movement) l'an prochain. Et Rémi Racine est le patron de la boîte où ses aventures sont imaginées, puis transférées dans le monde virtuel par une armée de programmeurs informatiques.

Les tueuses à gage sexy n'ont pas toujours été au centre des préoccupations de Rémi Racine. Avant, il était gestionnaire immobilier. Et, à cause de la façon dont il en parle, on ne peut s'empêcher de lui poser la question: vous vous y ennuyiez?

Il réfléchit quelques secondes, puis vous regarde droit dans les yeux. «Oui. Exactement.»

Pas besoin de faire passer Rémi Racine au détecteur de mensonge pour le croire lorsqu'il affirme que ce n'est plus le cas.

«Cet après-midi, on avait un meeting. Tu sais c'était quoi le sujet? Le Seigneur des Anneaux pour Nintendo. On est assis, on teste le jeu. Moi, dans des meetings comme ça, j'ai du fun.»

C'est en 1994 que M. Racine laisse l'immobilier pour fonder à l'invitation d'un ami sa propre boîte de jeux vidéo à Québec. L'entreprise est rachetée en 1996 par Behavior Communications et fusionnée à une autre entreprise de Québec, Megatoon.

En 1999, Rémi Racine en reprend le contrôle avec l'aide d'investisseurs et déménage tout le bateau de Québec à Montréal un an plus tard.

Le reste de l'histoire de ce qui s'appelle désormais A2M en est une de croissance. De 30 employés, l'entreprise passe à 100, 200, puis 300. Ils sont aujourd'hui 430 à donner vie à une myriade de personnages virtuels.

Pour M. Racine, le succès d'A2M réside dans un savant équilibre entre les jeux originaux - des jeux imaginés et conçus par A2M - et les licences - des «commandes» qui proviennent des grands éditeurs.

La recette est simple: les premiers servent à attirer les seconds. En 1998, par exemple, A2M planche sur son premier jeu entièrement conçu à l'interne: Jersey Devil, un jeu pour enfants basé sur un personnage aux pouvoirs surnaturels.

«On avait fait la moitié de l'ouvrage avant d'aller voir Sony pour lui proposer, se rappelle M. Racine. Ça nous a mis sur la map.»

Jersey Devil établit la crédibilité d'A2M auprès des éditeurs. Ensuite, les demandes pour des jeux basés sur des personnages qui existent déjà déboulent. «On a fait Bugs Bunny, Scooby Doo, Grinch, Monster Inc. Les Schtroumpfs, Kim Possible name it», lance M. Racine.

A2M remet ça en 2004 avec un autre jeu original, Scaler, basé sur les aventures d'un «gamin transformé magiquement en lézard».

«C'est un jeu qui a vendu seulement 400 000 ou 500 000 copies; on a perdu de l'argent avec le jeu, dit M. Racine. Mais ça nous a fait une carte de visite extraordinaire auprès des éditeurs. Et ça a poussé toute notre technologie au maximum sur la PlayStation 2.»

Le prochain grand coup, c'est l'héroïne de Wet, Rubi, qui promet de le porter. Pour la première fois de son histoire, A2M lancera en 2009 un jeu destiné au public adulte.

«On s'est dit: on va aller chercher des jeux plus gamers, dit M. Racine. Et ça marche: juste avec le démo de Wet, on a déjà signé Indiana Jones, Iron Man Les éditeurs nous approchent avec des jeux qui ne sont plus seulement des jeux pour enfants.»

La guerre de la main-d'oeuvre

La main-d'oeuvre. C'est LE problème des entreprises comme A2M. Et le sujet fait bondir Rémi Racine.

«Le problème, c'est qu'Investissement Québec court après n'importe quelle entreprise dans le monde pour l'attirer à Montréal quand celles qui sont déjà là ont de la misère à embaucher. On a une cinquantaine de postes ouverts chez nous, et je sais qu'Ubisoft, Electronic Arts, Eidos cherchent du monde. Alors quand il s'installe une nouvelle entreprise qui se met à chercher 300 travailleurs, c'est tough.»

Chez A2M, c'est simple, dit Rémi Racine: la croissance est freinée par les possibilités d'embauche. «Parce que la demande pour faire des projets, les gens qui appellent, c'est fou.»

Il lance donc son message haut et fort: «Peut-on régler le problème de la formation avant de faire rentrer d'autre monde? Parce qu'on n'a pas le système de formation pantoute, mais alors pas du tout.»

La situation, déplore-t-il, a amené les entreprises de Montréal à se disputer les mêmes travailleurs.

«C'est plate qu'on en prenne chez le voisin, mais on n'a pas le choix», dit M. Racine, dont les employés - comme partout dans le milieu - reçoivent un bonus s'ils attirent une nouvelle tête dans l'entreprise.

Dans la foulée du départ de Martin Tremblay de chez Ubisoft, par exemple, plusieurs personnes clés de l'entreprise se sont retrouvées chez A2M.

«On en a récupéré beaucoup là-dedans», admet M. Racine, qui soutient toutefois que le maraudage n'est pas aussi agressif qu'on peut le croire.

«Sur 400 personnes, on n'en a pas 40 qui viennent d'Ubisoft. Mais c'est sûr qu'on en prend plus qu'ils ne nous en prennent. La boîte de 1500 employés, c'est toujours plus difficile. Si je perds 10% de mon staff, ça fait 40 personnes. Chez Ubi, ça fait 150.»

Un sujet sensible

«Avez-vous l'impression qu'on ne parle que d'Ubisoft à Montréal?» La Presse Affaires posait la question comme ça. La réponse fut immédiate.

«Oui, simonac, oui! bondit Rémi Racine. Il faut dire qu'ils ont deux avantages: ils sont plus gros, et ils sont éditeurs. Ils font donc le marketing de leurs propres jeux.»

M. Racine se console en se disant que si A2M n'est peut-être pas très connue du grand public, les gens du milieu des affaires et ceux du multimédia l'ont placée sur leur radar depuis longtemps.

La politique comme passe-temps

C'est un peu difficile à deviner lorsqu'il vous parle de Scooby Doo ou du Seigneur des Anneaux, mais Rémi Racine a déjà été secrétaire national du Parti conservateur.

«Le plus jeune de l'histoire», précise-t-il, soulignant qu'il a participé à quatre campagnes électorales et que les ministres John Baird et Jim Prentice comptent parmi ses connaissances proches. Toujours membre du parti, il n'hésite pas à afficher ses couleurs.

«Pour moi, la politique, ça me divertit. C'est le fun, c'est du social. C'est comme jouer au golf.»

Mais il n'y a pas que les conservateurs. Rémi Racine est aussi président du conseil d'administration d'Alliance NumeriQc, le réseau d'affaires du multimédia québécois, et s'apprête à succéder à Hélène Desmarais comme président et chef de la direction de la chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Il vient aussi d'être admis au conseil d'administration de Radio-Canada. «Quand tu t'impliques dans un parti politique, c'est parce que tu as à coeur les problèmes de la société. Après, c'est naturel de se retrouver dans des associations d'entreprises, dans toutes sortes de choses.»