À son arrivée aux commandes de la Banque du Canada le 1er février 2001, David Dodge a vite appris que la fonction de gouverneur n'est pas de tout repos.

À son arrivée aux commandes de la Banque du Canada le 1er février 2001, David Dodge a vite appris que la fonction de gouverneur n'est pas de tout repos.

La technobulle venait d'éclater, les États-Unis entraient dans une récession qui allait culminer avec les attentats terroristes du 11 septembre.

Le taux directeur est passé de 5,5% à 2% durant l'année.

Au moment où il s'apprête à passer le relais à Mark Carney, la bulle du secteur de l'habitation a éclaté aux États-Unis et risque de les entraîner à nouveau en récession.

La Banque a amorcé une détente monétaire le 4 décembre. La quasi-totalité des experts sont d'avis qu'elle desserrera l'étau encore mardi, en ramenant le taux cible à 4%. Là s'arrêterait la comparaison toutefois.

«Cette fois-ci, nous avons affaire à des nouveaux instruments de crédit très très structurés. Nous avons un défi à relever dans les marchés financiers et ça va prendre du temps. Ce qui est en jeu, c'est la stabilité financière. La Banque du Canada a une contribution à faire, mais elle n'est pas la seule», affirmait M. Dodge dans une entrevue accordée à La Presse mardi, à la veille du black- out médiatique que la Banque s'impose avant l'annonce à date fixe de son taux directeur.

Les banquiers centraux ont commencé dès la fin de 2004 à signaler qu'il y avait des excès de liquidités dans le système financier. Les faibles écarts de taux entre les différents produits ne reflétaient pas vraiment les risques.

«Nous savions que le lien entre les taux directeurs et les conditions de crédit dans le monde était touché par l'innovation financière, mais nous n'étions pas sûrs comment, admet M. Dodge. Nous n'avons peut-être pas réagi assez vite, mais c'est toujours difficile de percevoir l'instant présent.»

L'innovation avait un nom: les produits structurés en tout genre dont la composition confondait les experts même les plus aguerris.

Rétrospectivement, il eût fallu recommencer à monter le taux directeur peut-être plus tôt et plus vite. Il avait été abaissé au niveau des années 50, en 2003 et 2004 par crainte des effets de la poussée soudaine du huard et des dangers de déflation.

Et maintenant

L'éclatement de la crise financière à la mi-août dernière équivaut à un resserrement monétaire de 25 points de pourcentage, jauge la Banque, à l'heure actuelle.

Cela a mis fin à une nouvelle ronde de hausses du taux directeur, à peine amorcée. «On voulait remonter le taux deux ou trois fois», indique M. Dodge.

La crise s'est d'abord concentrée dans les marchés monétaires où le crédit était devenu rare et cher, sans s'étendre dans le système financier. C'était un défi pour les banques centrales.

«Il fallait injecter des liquidités. Les problèmes ont diminué depuis, mais ils ne n'ont pas disparu. Aujourd'hui par contre, tous les marchés financiers sont touchés.»

Les banques ne peuvent plus refiler leurs risques à des investisseurs sous forme de produits structurés comme le papier commercial. Elles doivent emprunter pour prêter.

Les investisseurs se méfient d'elles et exigent des taux plus élevés. Les banques sont forcées de refiler la note, même à leurs meilleurs clients. Exit la confiance, bonjour la méfiance.

«Puisque le marché des produits structurés est presque mort, les effets économiques pour le marché hypothécaire ne sont pas si clairs, explique M. Dodge. On pense aujourd'hui, plus qu'il y a deux mois, que ça va prendre plus longtemps pour que le logement américain revienne à une situation normale.»

Il en ira de même pour le rétablissement de la confiance dans tous les instruments de crédit, classiques ou structurés.

Au Canada, on a un autre défi difficile à relever à terme. «Nous avons un problème de productivité, mais ce n'est pas clair pourquoi», admet M. Dodge.

«Quand les prix des matières premières augmentent, il est normal que la productivité diminue dans ce secteur car on exploite aussi les gisements moins rentables.»

«Ensuite, la présente restructuration industrielle entraîne des déplacements de la main-d'oeuvre qui met toujours un certain temps à livrer sa pleine mesure, poursuit-il. Enfin, Statistique Canada ne mesure aucun gain de productivité dans le secteur des services alors qu'il y en a eu aux États-Unis.»

«On se serait attendu à des gains semblables, après un certain décalage. C'est un peu un mystère. C'est un problème car la croissance de la main-d'oeuvre commence à diminuer. Sans productivité accrue, on ne peut améliorer notre niveau de vie.»

Et l'inflation?

Au cours du mandat de David Dodge, le dollar canadien est passé de 62 cents US d'équivalence jusqu'à une pointe «horrible» de 110 cents US, en novembre.

Les prix des matières premières qu'on exporte se sont envolés tandis que l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce a fait chuter ceux de beaucoup de biens de consommation importés. C'est ce qu'on appelle l'amélioration des termes de l'échange dans le jargon économique.

En 1997, quand les prix des matières premières avaient piqué du nez avec la crise financière en Russie et en Asie, le huard se dépréciait. Les Canadiens vivaient une détérioration des termes, ils s'appauvrissaient.

«C'est toujours plus difficile d'agir pour contrôler l'inflation quand surviennent des changements dans les prix relatifs, explique le gouverneur. Mais on a eu une bonne leçon dans les années 70. Si on ne garde pas l'inflation à un bas niveau, les ajustements dans l'économie sont plus douloureux.»

Le premier choc pétrolier de 1973 s'était déroulé alors que les prix à la consommation augmentaient de plus de 10% par année.

Casser la spirale avait exigé une poussée des taux directeurs canadien et américain jusqu'à près de 20%. Cela avait causé la très sévère récession de 1981-1982.

Le successeur de M. Dodge, Mark Carney, devra renouveler l'accord avec le gouvernement au sujet de l'inflation, dans quatre ans.

En 1992, Ottawa a mandaté les autorités monétaires pour maintenir l'évolution des prix dans une fourchette de 1% à 3%, avec pour cible 2% à moyen terme.

Des économistes préconisent de ramener la cible plus près de 1%.

«Il faudra poursuivre les recherches et mener des discussions avec la population pour être prêt, prévient M. Dodge. On n'est pas à la fin de la politique monétaire.»