Les fonds d'investissement souverains sont les nouvelles pièces maîtresses de l'échiquier financier mondial.

Les fonds d'investissement souverains sont les nouvelles pièces maîtresses de l'échiquier financier mondial.

Certains les perçoivent comme de valeureux chevaliers qui volent au secours de la Bourse, apportant des milliards de dollars aux banques occidentales en manque de liquidité.

Mais bien d'autres investisseurs redoutent ces nouveaux rois de la Bourse. Ils craignent leur style de gestion opaque, leur mandat ambigu et les répercussions politiques de leurs investissements.

Pourtant, les fonds souverains ne sont pas de nouveaux acteurs sur les marchés financiers. Au contraire, ils existent depuis plus de 50 ans. Le Koweit a lancé la formule en 1953, pour réinvestir ses surplus provenant du pétrole. Plusieurs pays producteurs de pétrole ont suivi son exemple.

D'ailleurs, la flambée du prix du pétrole, ces dernières années, a largement contribué à la progression phénoménale des fonds souverains.

La croissance économique fulgurante des pays émergents a aussi donné naissance à de nouveaux fonds mis sur pied par la Chine, la Russie, le Brésil des pays qui ne suivent pas nécessairement les mêmes règles du jeu que les pays occidentaux.

Ainsi, les actifs des fonds souverains ont augmenté de 24% par an, depuis trois ans, selon la firme de recherche Global Insight. À ce rythme, leur taille dépassera celle de l'économie américaine en 2015.

Mais déjà leur poids est énorme. Le trésor de guerre des 40 plus grands fonds souverains du monde atteint 3,2 trillions de dollars US. Une richesse hautement concentrée.

«En comparaison, les 9000 fonds alternatifs (Hedge funds) gèrent des actifs d'environ 1,6 trillion», souligne Vincent Delisle, stratège aux Marchés des capitaux Scotia, qui vient de publier une étude sur les fonds souverains.

Coups d'éclat

Non seulement les fonds souverains sont plus nombreux et plus pesants, mais ils sont aussi plus présents à la Bourse.

«Historiquement, les fonds souverains investissaient surtout dans les titres à revenus fixes», note M. Delisle. Mais dans un environnement de faibles taux d'intérêt (3 à 4%), ils s'aventurent de plus en plus du côté des placements privés et de la Bourse, question de pimenter leurs rendements.

Depuis deux ans, ils ont fait des prises remarquées dans les services financiers. En janvier dernier, un fonds d'Abu Dhabi a obtenu une participation de 4,9% dans la banque américaine Citigroup, moyennant 7,5 milliards.

La plus importante banque du monde avait un urgent besoin de capitaux pour se renflouer après les pertes monstres sur ses placements liées aux hypothèques à risque (subprime).

Plusieurs fonds souverains ont pris de grosses bouchées d'autres grands noms de Wall Street, comme Barclays, Carlyle Group et Blackstone. En octobre dernier, le China Investment Corporation a allongé 5 milliards pour une participation de 10% dans la firme de courtage Morgan Stanley.

Au mois de mai, ce même fonds, créé par le gouvernement communiste chinois, avait injecté trois milliards dans la firme d'investissement privé Blackstone. Conscients du malaise qu'ils provoquent, beaucoup de fonds souverains se sont alliés à des fonds privés.

«En achetant 10 à 20% de ces fonds privés, les fonds souverains s'assurent une participation dans les sociétés qui leur appartiennent, sans passer pour les acquéreurs», explique M. Delisle.

D'autres fonds essaient de se débarrasser de l'étiquette un peu trop embarrassante de fonds souverains.

«Nous sommes en train de créer une société d'investissement, pas un fonds souverain», assurait mardi dernier le ministre saoudien des Finances, lors du lancement d'un nouveau fonds de plus de 5 milliards.

Néanmoins, les gouvernements occidentaux commencent à se braquer. Il y a un mois, le Fonds monétaire international (FMI) a mis sur pied un groupe de travail qui doit édicter des règles de gouvernance pour les fonds souverains.

Un vent de protectionnisme se lève. Déjà, plusieurs pays ont stoppé la vente d'entreprises à des étrangers. On pense à Unocal ou à 3COM.

Le Canada, comme bien d'autres pays, devient plus chatouilleux face aux fonds souverains et aux investisseurs étrangers en général.

Vendredi, le gouvernement canadien a justement confirmé sa décision de bloquer l'achat par une société américaine de la division aérospatiale de MDA, la firme de Vancouver qui a conçu le bras canadien.

Raison invoquée: la transaction de 1,3 milliard n'offre pas de «bénéfices nets» pour le Canada.

Selon la Loi sur Investissement Canada, le gouvernement peut utiliser cet argument pour contrecarrer l'acquisition d'une société canadienne par des investisseurs étrangers. Mais le fédéral ne s'était jamais servi de cette arme depuis la rédaction de la loi en 1985.

La source peut s'assécher

Si le prix du pétrole s'élève à plus de 200$US le baril, comme certains le prévoient, les fonds souverains en pleine crise de croissance pourraient se lancer dans une vague de fusions et d'acquisitions mondiale sans précédent, qui mènera la Bourse vers de nouveaux sommets.

Mais la source des fonds souverains peut aussi se tarir.

«Oui, c'est un bassin d'épargne énorme. Mais ce n'est pas une fontaine de jouvence», dit Vital Proulx, président de la firme de gestion Hexavest.

Il y a un an à peine, c'était les fonds d'investissement privés qui faisaient monter les enchères à crédit. On disait qu'ils avaient des centaines de milliards de côté, qu'ils étaient prêts à sauter au moindre repli boursier, immunisant la Bourse contre une correction majeure. La crise du crédit a tout chamboulé.

Si l'économie mondiale ralentit, si le prix du pétrole diminue, les fonds souverains auront moins de liquidités.

«Au lieu d'acheter des entreprises étrangères, ils garderont leur argent pour leurs propres besoins», estime M. Proulx.