L'aide de 25 millions $ consentie par le gouvernement du Québec pour sauver l'usine Laurentide constitue un risque financier important si elle n'est attachée à aucune garantie d'investissement d'AbitibiBowater.

L'aide de 25 millions $ consentie par le gouvernement du Québec pour sauver l'usine Laurentide constitue un risque financier important si elle n'est attachée à aucune garantie d'investissement d'AbitibiBowater.

Cette opinion est émise par Luc Bouthillier, professeur et directeur de programme en foresterie et géomatique, au réputé département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval.

Le chercheur considère que la baisse d'approvisionnement de 14 $ à 0,85 $ dont bénéficiera AbitibiBowater pour alimenter l'usine Laurentide lui apparaît aussi audacieuse que délicate.

Au-delà du respect de l'entente sur le bois d'oeuvre, il trouve que le gouvernement du Québec prend un risque mal calculé en n'obtenant pas de la multinationale des garanties d'investissements claires en retour.

«Au fond, il y a peut-être quelque chose à faire avec Laurentide», convient-il. «Ça ne doit pas nécessairement fermer. On va lui faire un super cadeau de cinq millions $ par année en redevances. Qu'est-ce qu'on a en échange?»

M. Bouthillier comprend qu'AbitibiBowater fait maintenant une «profession de foi» à l'égard des papiers à valeur ajoutée. Un bel exemple s'est produit en Caroline du Nord, rappelle-t-il.

En ce sens, si la compagnie s'engage à investir le fameux 200 millions $ pour aménager un atelier de pâte thermomécanique, alors le jeu en vaut la chandelle. Mais sinon...

«Si on donne cette aide pour prolonger de cinq ans la vie d'une usine qui n'a pas d'avenir, aussi bien la fermer tout de suite et développer un plan avec d'autres acteurs qu'AbitibiBowater. On peut faire des choses avec tout ce bois!»

M. Bouthillier comprend que politiquement, il devenait impensable d'annoncer la fermeture d'une deuxième papeterie de plus de 500 employés dans la même ville en quelques mois. Il sait également que pour le gouvernement du Québec, la réduction du coût d'approvisionnement en matière première constituait la méthode privilégiée pour venir en aide à une industrie en difficulté.

Il dit donc oui à un support exceptionnel... en autant que l'ascenseur revienne.

«Prolonger l'agonie, ce n'est pas une stratégie gagnante», lance-t-il.

«Évidemment, ce n'est pas aux grands savants, derrière leur bureau à l'université, à dire cela. Il va falloir que ça vienne des syndicats et des autorités locales. Ce bois peut être transformé avec une belle espérance de profit avec de nouveaux investisseurs. Il faut arrêter de faire des concessions!»

«Laurentide, c'est un espèce de radeau auquel la population de Shawinigan s'accroche, comme des naufragés», image le professeur.

«Quand il y a des engagements des autorités politiques et des syndicats, il va falloir que la contrepartie apparaisse.»

M. Bouthillier ne serait pas étonné que la multinationale revienne à la charge avec une demande de baisse de taxes municipales à la Ville de Shawinigan.

Rappelons qu'en septembre 2007, les deux parties s'étaient entendues pour réviser à la baisse l'évaluation de cette usine. La diminution atteignait alors 36 % pour le rôle triennal 2007-09.

Des avantages tout mauriciens

L'entente signée entre le gouvernement du Québec et AbitibiBowater pour aider Laurentide à traverser les temps durs ne constitue, en fait, que le prolongement d'une mesure exceptionnelle consentie en janvier 2007.

En principe, la réduction de la fibre à 0,85 $ le mètre cube s'appliquait donc depuis plus d'un an.

Le programme ne devait couvrir que les années financières 2006-07 et 2007-08. La négociation a permis à AbitibiBowater d'obtenir le même privilège jusqu'en 2012-13.

Tout aussi discrètement, le gouvernement en était venu à la même entente avec Kruger, pour ses deux usines de Trois-Rivières.

Avec Laurentide, il s'agit des trois seules papeteries au Québec qui fonctionnent toujours avec un procédé de meules pour défibrer le bois avant le processus de fabrication de la pâte.

Au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, on s'attend évidemment à ce que l'entente annoncée pour la division shawiniganaise d'AbitibiBowater incite Kruger à demander une prolongation semblable pour ses deux divisions trifluviennes.

«Plusieurs usines ont des difficultés au Québec», rappelle Pierre Marineau, directeur général de l'attribution du bois et du développement industriel au ministère des Ressources naturelles et de la Faune.

«Les solutions envisagées sont différentes d'un endroit à l'autre. Je n'ai pas encore vu de demande officielle de Kruger de profiter de l'équivalent de ce qui a été annoncé pour Laurentide... mais on peut s'y attendre!»

Jean Majeau, vice-président aux affaires publiques chez Kruger, ne nie pas que la compagnie s'intéresse au prolongement de cette entente.

«Nous évaluons la situation», commente-t-il. «C'est sûr que nous nous informerons des programmes qui peuvent être applicables chez nous.»

M. Marineau prétend que le gouvernement peut facilement justifier une aide aussi exceptionnelle pour trois usines situées dans une même région.

«C'est un concours de circonstances», assure-t-il. «Nous aidons trois usines qui ont un CAAF de bois rond et des meules. Ce sont les trois seules usines au Québec qui ont ça. Toutes les autres papeteries sont approvisionnées uniquement en copeaux.»

«Ce sont des procédés coûteux, désuets et qui doivent changer», ajoute M. Marineau.

«À Trois-Rivières, par exemple, les meules n'existeront plus si le projet d'usine de désencrage va de l'avant.»