Mercredi, 19h45. Dans un garage du parc industriel de Lebel-sur-Quévillon, une dizaine de gars en bleu de travail s'exercent à manier une foreuse à béquille. Mais même les plus costauds peinent à lever cette machine de 45 kilos et à atteindre leur cible sur le mur de métal qui fait office de paroi rocheuse.

Mercredi, 19h45. Dans un garage du parc industriel de Lebel-sur-Quévillon, une dizaine de gars en bleu de travail s'exercent à manier une foreuse à béquille. Mais même les plus costauds peinent à lever cette machine de 45 kilos et à atteindre leur cible sur le mur de métal qui fait office de paroi rocheuse.

«Faut que tu sois un homme», dit Ghislain Matte, tandis qu'il force comme un boeuf avec sa «jackleg». Ce costaud bonhomme de 43 ans porte les marques de son apprentissage. Lorsqu'il roule ses manches, de belles ecchymoses couvrent ses bras.

Ghislain Matte et ses camarades de classe, la quarantaine ou la cinquantaine bien sonnée, sont en voie de se requalifier dans un métier d'avenir. Mais le recyclage des travailleurs forestiers et des anciens employés d'usine en mineurs n'a rien de naturel ou de spontané.

D'ailleurs, plusieurs ne veulent rien entendre, même si ce sont les seuls emplois à des kilomètres à la ronde.

«Rendu à mon âge, aller en dessous?» demande Gervais Maltais, un travailleur forestier de 52 ans qui travaille au grand air depuis l'âge de 16 ans.

«Tu rentres, il fait noir. Tu sors, il fait noir. Jamais!»

Mais d'autres, comme Jasmin Baril, ancien opérateur de chaudière industrielle de Domtar, ont fait ce choix après avoir accumulé les jobines depuis la fermeture de l'usine il y a plus de deux ans. "Je suis tanné de rester à ne rien faire", dit ce père de trois enfants, âgé de 45 ans.

«Il y a beaucoup de cours qui s'offrent, mais si tu veux rester à Lebel-sur-Quévillon et avoir une job payante, il faut que tu ailles à la mine.»

Cette mine, c'est la Langlois, une mine de zinc et de cuivre propriété de Breakwater Ressources qui a redémarré en 2006 après avoir fermé à la fin 2000 en raison de la chute des cours des métaux.

Même si la production à la mine Langlois a commencé il y a 13 ans, le travail minier suscite encore une certaine méfiance à Lebel-sur-Quévillon. Dans cette ville fondée en 1966 par Domtar, tout a toujours tourné autour de la forêt.

Au diner le plus populaire, rue Principale, un client a déchiré l'article qui fait la page couverture du tabloïd L'écho abitibien. Celui-ci raconte la mort fin janvier d'un mineur de 54 ans qui travaillait à la mine Goldex de Val-d'Or.

«C'est une poutre qui est tombée sur le gars, cela n'a rien à voir avec la mine! s'exclame Mario Doucet, directeur général de la mine Langlois. Mais l'image reste, celle d'un métier dangereux, alors que c'est plus sécuritaire que de conduire un camion.»

Jasmin Baril, lui, ne craint pas de descendre sous terre, même s'il raconte avec une certaine anxiété qu'il n'est pas encore entré dans la «cage», comme on appelle l'ascenseur qui transporte outils et travailleurs dans les profondeurs de la mine.

«C'était plus dangereux où je travaillais avant, dans la chaleur et les produits chimiques hautement toxiques, note-t-il. Dans la mine, c'est toi qui assure ta propre sécurité.»

En fait, Jasmin Baril ressent plutôt la «peur de l'inconnu», pour reprendre ses mots. «On pense que c'est un petit trou, mais c'est pas mal mieux que ce à quoi je m'attendais. J'ai vu le monde (qui travaille là) et ils n'ont pas l'air triste», dit-il comme pour s'en convaincre.

Jasmin Baril saura bien assez vite s'il est heureux. Ses 17 camarades de classe et lui devraient terminer leur formation en août. Après, ils devraient commencer à la mine Langlois, où ils auront réalisé leur stage dans une galerie que leur a réservé Breakwater Resources.

Au départ, ces apprentis mineurs seront jumelés à des travailleurs expérimentés.

«Cela prend cinq ans avant de former véritablement un mineur, dit Mario Doucet. Et même en cinq ans, tu ne maîtrises pas tout.»

C'est ce qui fait dire à Bertrand Boivin, vice-président, Canada, de Breakwater Ressources, que «nous ne serons pas l'hôpital général de la ville», en référence à la capacité d'accueil limitée de la mine Langlois. Bref, ce n'est pas la mine qui sauvera Lebel-sur-Quévillon à elle seule.

Le beau côté de l'histoire, c'est qu'avec ses nouveaux développements, la mine Langlois a «au moins une dizaine d'années devant elle», selon Bertrand Boivin. En avril, la nouvelle zone Grevet B devrait atteindre sa vitesse de croisière.

Il y a assez d'ouvrage, en tout cas, pour que Ghislain Matte, ancien opérateur en blanchiment de Domtar, puisse se rendre à l'orée de sa retraite.

«Je suis arrivé ici à l'âge d'un an. J'ai racheté la maison de mes parents. Et je vais mourir icitte», martèle-t-il.