Q À quel point la situation est-elle grave?

La crise financière américaine vous inquiète? Quatre patrons de grands cabinets d'avocats d'affaires vous donnent leur point de vue et expliquent comment la crise se vit de l'intérieur.

Marc-André Blanchard, associé-directeur, McCarthy Tétrault, Montréal

Q À quel point la situation est-elle grave?

R La crise américaine est à la fois financière et économique. Et elle a des répercussions au Canada car nos banques ont resserré les conditions de crédit par anticipation d'une récession.

Q Que dites-vous à vos clients?

R Nous, comme eux, sommes inondés d'informations concernant le marché américain. Or, il faut faire la part des choses car ce qui est vrai pour les États-Unis ne s'applique pas nécessairement au marché canadien.

Q C'est-à-dire?

R Nos clients doivent se demander si leur secteur d'activités souffrira d'une récession américaine. À titre d'exemple, le secteur de l'automobile souffrira davantage de la récession américaine que le secteur des télécommunications.

Q Et comme cabinet, ressentez-vous la crise?

R Il y a moins de transactions, on en ressent donc les effets, moins au Québec qu'à Toronto toutefois. Mais dans l'ensemble, notre chiffre d'affaires est à la hausse, grâce aux autres secteurs de pratique - fiscalité, litige, restructuration et insolvabilité.

Pierre Raymond, président du conseil, Stikeman Elliott, Montréal

Q À quel point la situation est-elle grave?

R Ce n'est pas encore dramatique, mais on se prépare au pire. Le problème, c'est qu'on ne connaît pas l'ampleur de la crise, ce qui crée de l'inquiétude chez nos clients. Pour l'instant, c'est le resserrement du crédit qui fait mal.

Q Même au Canada?

R Tout à fait. Les banques sont plus exigeantes; elles demandent plus cher et exigent des garanties plus solides. Certaines veulent renégocier les conventions de crédit.

Q Que dites-vous à vos clients?

R On a demandé à tous nos avocats de se rapprocher de leurs clients et de leur demander s'ils ont un plan pour faire face aux six prochains mois. S'ils n'en ont pas, c'est peut-être le bon moment d'amorcer des discussions avec leur banquier.

Q Comme cabinet d'avocats, la crise vous affecte-t-elle?

R Étonnamment, moins qu'on pourrait le croire. En fusions et acquisitions, on est moins occupés que l'an dernier -une année exceptionnelle- mais plus qu'il y a deux ans. Nos clients canadiens sont affectés par le resserrement du crédit, mais n'ont pas encore vu leurs ventes chuter. J'ai l'impression que ça pourrait être plus difficile l'an prochain.

Pierre-André Themens, associé-directeur de Davies Ward Phillips&Vineberg, Montréal

Q À quel point la situation est-elle grave?

R En 32 ans de métier, je n'ai jamais rien vu de pareil. Nos clients sont inquiets, en raison des grandes variations boursières mais aussi à cause du resserrement du crédit, qui rend beaucoup plus difficile la réalisation de grandes transactions.

Q Que leur conseillez-vous?

R De respirer par le nez! C'est le moment de faire une pause et d'analyser la situation avec calme. Il ne faut surtout pas paniquer. Car il y aura de bonnes occasions d'affaires après la tempête. Le manque de financement obligera certaines entreprises à se restructurer ou à vendre; celles au bilan sain et peu endettées vont en profiter.

Q Y a-t-il des transactions dans l'air?

R Il y a des discussions, notamment au Québec dans le secteur des services. Mais c'est encore un peu tôt; ça devrait débloquer d'ici quelques mois. Le retour à la "normale" devrait en outre favoriser les acheteurs stratégiques.

Q Comme cabinet d'avocats, ressentez-vous les impacts de la crise?

R Évidemment. Il n'y a pas eu d'IPO (appels publics à l'épargne) sur le TSX depuis belle lurette et la réalisation de fusions ou d'acquisition est plus compliquée. Cela dit, nos groupes de pratique en litige, fiscalité et restructuration sont très occupés. Et puis, on a l'avantage de la taille. Avec seulement 76 avocats (certains en ont plus de 200) à Montréal, on n'a pas besoin de faire 25 transactions pour bien vivre.

Norman Steinberg, coprésident, Ogilvy Renault, Montréal

Q À quel point la situation est-elle grave?

R En 1987, j'étais sur le point de conclure un financement de plusieurs millions de dollars pour Domtar juste au moment du krach boursier. Je croyais que c'était la fin du monde. Depuis, on a eu le krach des technos et le 11 septembre 2001. Et les marchés se sont toujours relevés. Alors oui, la crise est grave, mais ce n'est pas la fin du monde.

Q Quand même, vos clients doivent être affectés...

R Bien sûr. Leurs actions ont chuté en Bourse comme tout le monde! Mais la plupart sont en mode "attente". Ils ne paniquent pas et on leur conseille de conserver leurs liquidités pour faire face aux mauvais jours et pour être prêts au moment de passer à l'action.

Q Vous pensez qu'il y aura des occasions d'affaires?

R Sans aucun doute, surtout pour les entreprises avec un bilan sain. Je pense notamment à nos banques et institutions financières, qui sont en bonne position pour faire des acquisitions aux États-Unis. Mais pas avant de six à douze mois. Pour l'instant, tout le monde essaie encore de comprendre ce qui se passe.

Q Comme cabinet d'avocats, la crise vous affecte-t-elle?

R Notre groupe en fusions et acquisitions l'a ressentie presque instantanément au tout début en août 2007. Il y a moins de transactions, elles sont moins grosses et plus difficiles à conclure. En contrepartie, notre secteur en restructuration est débordé.