Oubliez la microélectronique, l'optoélectronique ou la nanorobotique. Quand on lui parle de nanotechnologie - cette science de l'infiniment petit censée porter la prochaine révolution industrielle à bout de bras - Pierre Blanchet parle... d'arbres.

Oubliez la microélectronique, l'optoélectronique ou la nanorobotique. Quand on lui parle de nanotechnologie - cette science de l'infiniment petit censée porter la prochaine révolution industrielle à bout de bras - Pierre Blanchet parle... d'arbres.

«Le bouleau est un bois disponible en grand volume au Québec. Mais c'est une essence plutôt tendre», énonce le chercheur.

M. Blanchet ne s'est pas trompé de registre. Il est chef du groupe nanotechnologie pour les produits du bois chez FP Innovations, division Forintek.

L'endroit se veut le département de recherche et développement de près de 300 entreprises canadiennes du secteur du bois qui se sont regroupées pour tenter de trouver de nouveaux débouchés pour leur industrie.

L'un des projets sur lesquels travaillent M. Blanchet et son groupe vise à renforcer le bois de bouleau en lui injectant des particules d'argile si petites qu'elles sont impossibles à voir avec un microscope conventionnel.

Un succès permettrait d'ouvrir de nouveaux marchés pour le bouleau - la fabrication de planchers, par exemple. Et donner un coup de main à une industrie qui en a bien besoin.

Ces efforts illustrent bien le choix qu'a fait le Québec devant une science qui promet de révolutionner autant la médecine et l'électronique que l'aéronautique et la pharmaceutique, celui de ne pas nécessairement courir dans la même direction que tout le monde.

Il faut dire que de l'espace à explorer, il n'en manque pas. Pour comprendre le terrain de jeu, arrachez un de vos cheveux et imaginez que vous le coupiez en 100 000 parties égales. Pas dans le sens de la longueur; dans celui de la largeur. Les tranches que vous obtiendriez mesureraient un nanomètre - l'unité de mesure des nanotechnologies.

Dans ce monde, les lois de la physique sont radicalement différentes de celles qui régissent le nôtre. En sculptant les matériaux à cette échelle, les chercheurs accèdent à toute une gamme de nouvelles propriétés qui permettent de transformer des substances ordinaires - carbone, métal, papier - en matériaux extraordinaires.

Les possibilités sont immenses, et certains pays déploient des budgets astronomiques pour les développer - le Japon à lui seul investit 6 milliards de dollars US de fonds publics chaque année en nanotechnologie.

Devant cette force de frappe, le Québec a décidé de réfléchir. Et de concentrer ses efforts sur quelques créneaux où il croit pouvoir faire la différence.

«Un certain nombre de chercheurs ne comprennent pas ce discours, admet Sylvain Cofsky, directeur général de Nanoquébec - un organisme à but non lucratif dont la mission est justement de définir la stratégie du Québec face à la nanotechnologie. Ils nous disent: Écoutez, ça fait 40 ans que des secteurs comme les pâtes et papiers n'ont pas investi en recherche et développement et vous les aidez? Alors que vous n'en soutenez pas d'autres qui sont à beaucoup plus forte teneur technologique?»

Sa réponse est déjà prête. «Il y a des dizaines de milliers d'emplois dans les pâtes et papiers et la transformation du bois. Ce secteur a, malgré tout, une certaine dynamique - qu'on perçoit mal, mais qui existe. Et les exemples nous montrent qu'il y a de grands potentiels pour la nanotechnologie là-dedans.»

En plus des produits du bois, Nanoquébec a identifié trois autres secteurs où les nanotechnologies pourraient donner un avantage à l'industrie québécoise: le transport, les sciences de la vie et l'électronique/photonique.

«Il ne faut pas être naïf dans une stratégie nano, explique Sylvain Cofsky. Si on veut avoir de l'argent - qui est délivré par les entreprises, les fonds publics, les fonds de capital-risque - il faut créer des succès. Si on se confine aux sciences de la vie, par exemple, on va montrer ces succès dans 10 ou 15 ans. Et on risque d'être pauvre bien avant. Il était extrêmement important pour nous d'avoir des secteurs qui conduiraient à des succès à très court terme.»

Réinventer le papier grâce aux nanotechnologies

Prendre des matériaux ordinaires et les transformer en substances extraordinaires: c'est la promesse de la nanotechnologie. Et c'est exactement ce que fait Jean Bouchard.

L'homme est chercheur principal chez Paprican - la division «pâtes et papiers» de FP Innovations. Dans ses laboratoires de Pointe-Claire, il exhibe des plaques iridescentes dont la couleur change selon l'angle sous lequel on les regarde.

Une nouvelle substance exotique? Pas vraiment. «Du papier», annonce plutôt M. Bouchard.

Pour obtenir cet effet, les chercheurs de Paprican font tremper la substance à la base du papier, la cellulose, dans des soupes chimiques qui la brisent en morceaux minuscules.

Le résultat est ce qu'on appelle ici la nanocellulose. Des particules infiniment petites de cellulose qui, lorsqu'elles sont agglomérées ensemble, donnent naissance à du papier d'un tout nouveau genre.

«Imaginez une couche comme ça sur une boîte de parfum à 75$ la petite bouteille... L'industrie cosmétique est très intéressée», dit M. Bouchard.

Ce n'est pas tout. Les chercheurs veulent maintenant intégrer ces particules au plastique pour lui donner de nouvelles propriétés.

«On peut multiplier la force d'un plastique par 4, 5, 6», dit M. Bouchard. Une solution particulièrement intéressante pour les plastiques biodégradables, très en vogue, mais qui manquent souvent de résistance. «On peut s'en servir pour les renforcer et ça reste biodégradable: c'est du bois», dit M. Bouchard.

À terme, le projet est ambitieux: il s'agit tout simplement de réinventer le secteur des pâtes et papiers.

«On veut en arriver à ce que l'usine de pâtes et papiers devienne une usine chimique, dit M. Bouchard. L'un des produits sera peut-être le papier, mais elle pourra aussi produire des nanoparticules et les vendre à d'autres industries. On cherche à faire des usines multi-produits.»

En attendant l'aéronautique

Montréal est une plaque tournante de l'aéronautique. Et Nanoquébec croit que le développement de nouveaux matériaux pourra donner un coup de pouce à l'industrie.

Pour l'instant, cependant, les nanotechnologies ne semblent pas encore être pleinement sur le radar des Bombardier et Bell Helicopter de ce monde. Ce sont plutôt des entreprises en démarrage comme Nanox qui portent le flambeau.

Les 10 employés de cette entreprise de Québec travaillent sur de nouveaux matériaux nanocristallins qui pourraient un jour se retrouver dans le catalyseur de votre voiture.

La poudre noire produite par Nanox permet de transformer le monoxyde de carbone - un gaz toxique - en CO2 (moins nocif). Selon André Van Neste, vice-président, technologies, elle coûte de 5 à 10 fois moins que les technologies actuelles.

Avant d'attaquer le marché des voitures, difficile à pénétrer, Nanox s'est frotté aux industriels qui exploitent des turbines à gaz. Mais les convaincre de changer de technologie s'avère difficile.

«Les grandes entreprises se montrent extrêmement frileuses. Elles semblent avoir peur d'innover et d'essayer quelque chose de neuf», dit M. Van Neste.

Il se console en voyant que le prix du platine, à la base des catalyseurs traditionnels, est parti en flèche sur les marchés.

«Les Chinois et les Indiens n'utilisent pas encore de catalyseurs sur leurs voitures. Quand ils vont le faire, le platine ne suffira pas à la tâche de régler tous les problèmes de contamination de l'environnement», espère-t-il.

L'infiniment petit au service des médicaments

Biosyntech n'est pas une entreprise de nanotechnologie. C'est une petite boîte de Laval qui travaille à découvrir de nouveaux médicaments. Mais le détour vers l'infiniment petit s'est rapidement imposé comme moyen d'accélérer la recherche.

«On ne voit pas vraiment émerger ce qu'on pourrait appeler un secteur nano, observe à ce sujet Sylvain Cofsky, de Nanoquébec. Ce qu'on voit, c'est qu'il y a de plus en plus de scientifiques et d'entreprises qui ne sont pas des purs et durs «nanos» qui se mettent les deux mains dans les nanotechnologies pour faire avancer d'autres secteurs industriels.»

Chez Biosyntech, on cherche à faire pénétrer des gènes dans des cellules pour qu'ils y fabriquent des protéines. À terme, ces protéines seront utilisées comme médicaments.

Le hic: les gènes, trop longs et trop délicats, sont difficiles à faire entrer dans les cellules.

L'entreprise a donc fait appel au professeur Michael Buschmann, de l'École polytechnique de Montréal, qui se sert d'un passage dans l'infiniment petit pour faciliter le transfert.

Son équipe a développé un polymère qui prend la longue séquence d'ADN du gène et la condense dans une petite sphère de 50 à 500 nanomètres. «La sphère peut alors être bouffée par les cellules et ensuite transportée au noyau de la cellule pour y faire fabriquer la protéine thérapeutique», explique M. Buschmann.

Une place à prendre à l'ombre des géants

S'il y a une industrie qui s'intéresse à la nanotechnologie, c'est bien celle de l'électronique. La ruée vers la miniaturisation a gagné les fabricants de puces d'ordinateurs depuis longtemps; le passage vers les dimensions nanos représentait la suite logique.

Ce qui est moins évident, c'est le rôle que peut jouer le Québec dans ce monde de géants. La plaine du Saint-Laurent n'est pas exactement Silicon Valley, et il y a un certain temps que les grandes multinationales du semi-conducteur sont allées s'installer ailleurs.

«On a hésité à inclure ce secteur parce qu'au départ, on n'a pas d'industrie de semi-conducteurs ici, admet Sylvain Cofsky. On a raté le bateau il y a plusieurs années. C'est un monde qui est carrément ailleurs, surtout en Asie.»

Sauf que le secteur génère un intérêt indiscutable chez les chercheurs universitaires. En 2003, la firme Samson Bélair Deloitte&Touche avait calculé que 39% de tous les chercheurs québécois actifs en nanotechnologie travaillaient en nanoélectronique. Nanoquébec a fait le pari qu'ils finiront par faire des découvertes transférables à l'industrie... qui généreront des dollars.

«C'est un secteur diffus, large, qui est souvent au service d'autres secteurs, dit M. Cofsky. Il ne s'agit pas de se heurter aux géants de la microélectronique: on a une niche à prendre.»

Un bon exemple pourrait être la petite boîte Nanometrix. La PME a breveté une technologie qui permet de créer des films ultraminces uniformes dont l'épaisseur peut atteindre un nanomètre.

La technique peut s'appliquer autant aux polymères qu'aux semi-conducteurs dont sont faits les ordinateurs.

L'entreprise a décroché son premier contrat d'importance en décembre dernier avec le Commissariat à l'énergie atomique de France et a une préoccupation en tête: répondre aux besoins de l'industrie.

«Le point essentiel de notre technique est notre capacité à l'appliquer de façon industrielle, dit Juan Schneider, vice-président, technologie, de l'entreprise. Très souvent, on voit des groupes de recherche arriver avec des nanoproduits aux propriétés tout à fait nouvelles et intéressantes, sauf que le problème est le passage à la grande échelle. Je dirais que c'est un de nos points forts.»

La belle province en voie de manquer le bateau?

En retard, le Québec? Récemment, le quotidien Le Soleil a fait état des préoccupations de certains chercheurs devant le manque d'intérêt des grandes entreprises québécoises pour les nanotechnologies.

Au début des années 2000, le Québec semblait effectivement bien positionné, confie Peter Grütter, professeur de physique à l'Université McGill, dans cet article. Mais son avance serait sur le point de «s'effriter».

Il y a notamment la riche Alberta, qui peut se payer de bons équipements et qui attire de plus en plus de bons chercheurs.

«Mais j'ai l'impression qu'une des grandes différences ne tient pas nécessairement à l'argent, mais à la volonté des entreprises de s'impliquer, a dit M. Grütter au Soleil. J'ai l'impression que c'est vraiment difficile, ici au Québec, de trouver des compagnies qui voudraient investir en recherche.»

«Je crois que tout monde voit la même chose», renchérissait Jean-François Morin, professeur de chimie à l'Université Laval.

Des propos qui trouveront sûrement écho chez Nanox, qui tente d'intéresser les grandes entreprises à ses produits.

L'INDUSTRIE DES NANOTECHNOLOGIES AU CANADA

Où ça se passe?

Montréal : 40%

Toronto: 25%

Ottawa : 15%

Edmonton : 10%

Vancouver : 10%

Source: Canadian Nanobusiness Alliance