Si Jack Sparrow, le célèbre pirate, naviguait de nos jours et choisissait le Saint-Laurent plutôt que les Caraïbes, il y a de fortes chances que sa voilure porterait le nom de Saintonge et qu'elle serait confectionnée dans du nylon renforcé de kevlar.

Si Jack Sparrow, le célèbre pirate, naviguait de nos jours et choisissait le Saint-Laurent plutôt que les Caraïbes, il y a de fortes chances que sa voilure porterait le nom de Saintonge et qu'elle serait confectionnée dans du nylon renforcé de kevlar.

Exit le coton égyptien et autres matériaux naturels. Aujourd'hui, la voile se pratique grâce aux matières synthétiques et continue d'occuper les équipes qui travaillent en recherche et développement. Et même si, aux yeux des nostalgiques, les tissus de composite n'ont pas le charme de la toile de coton, les marins, eux, vous diront qu'ils y gagnent du point de vue de la performance et de la résistance aux intempéries.

Un sport extrême

Le kevlar, par exemple, est une matière au moins aussi résistante que l'acier. Car, du plus loin qu'on puisse remonter dans l'histoire maritime, la voile ne fut pas uniquement synonyme de voyages paisibles, comme on aimerait à le penser. Elle s'est, au contraire, très souvent retrouvée dans la catégorie des sports extrêmes. Et ça, Jean Saintonge l'a compris dès le début, en 1979.

Un début qui se voulait modeste, mais que les circonstances ont propulsé sur la voie rapide. «En fait, explique Jean Saintonge, président fondateur de Voiles Saintonge, au départ, avec mon beau-frère, on voulait fabriquer de petits voiliers, des dériveurs. On en avait quatre de prêts, il ne manquait que les voiles. Comme j'avais étudié à l'Institut de marine de Rimouski et qu'un de mes profs se passionnait pour la fabrication de voiles, nous sommes allés le consulter.»

De retour dans l'atelier, forts des conseils de Gustave Guay, le professeur en question, ils se lancent dans la fabrication des voiles.

Avec pour tout équipement une petite machine à coudre, il parviennent tout de même à des résultats qui plairont à leur précieux conseiller. «C'est à ce moment que j'ai appris qu'il n'y avait, à proprement parler, plus aucun fabricant de voiles dans la région de Québec et même dans la province. À Québec, il y avait bien celui qu'on appelait Jimmy, mais à 73 ans le métier était devenu trop lourd pour lui. On a donc décidé d'aller le voir.»

L'arrivée de Mistral

Rapidement des ententes sont conclues entre eux et c'était parti. Jean Saintonge ne fabriquerait pas des voiliers, mais il se consacrerait à ces pièces de gréements des plus essentiels.

Chanceux, selon ses propres mots, la compagnie Voiliers Mistral de Lac Mégantic est à la recherche d'une entreprise comme la sienne dont les ateliers sont situés au Québec. Quelques échantillons plus tard, voilà que Voiles Saintonge se retrouve avec un contrat lui garantissant des commandes d'environ 400 jeux de voiles par année.

«C'était du tout cuit.» Plus question de la petite machine à coudre. L'entreprise avait désormais le vent dans les voiles! On se disait: un jour, ça va commencer à modérer... Mais non, c'était le contraire», poursuit-il.

Même si, plus tard, le Québec a vu plusieurs de ses fabricants de voiliers fermer leurs portes, aux Voiles Saintonge, les contrats se multipliaient. «Quoi qu'on en dise, Québec 84, pour nous, ça a été bénéfique», explique Jean Saintonge. Les projets prennent de plus en plus d'ampleur et les moindres recoins de l'atelier sont mis à contribution. À commencer par la surface du plancher, où sont étendues les voiles de grande dimension. C'est de cette façon que le Sofati-Soconav, l'impressionnant catamaran canadien de 72 pieds, a pu recevoir les jeux de voiles qui lui feront traverser l'Atlantique lors de la Transat Québec–Saint-Malo 1984.

«Dès lors, nous avons voulu participer à l'essor formidable de la course au large internationale, enchaîne-t-il, citant entre autres les transats Lorient–Saint-Pierre–Lorient en 1987, Whitbread Around The World en 1989, Vendée Globe en 1992 et toutes les courses Québec–Saint-Malo.»

Autant d'épreuves qui ont servi à consolider leur renommée et à réaliser des voiles des plus prestigieuses.

Quant à la liste des embarcations équipées de voiles Saintonge, elle a aussi de quoi faire rêver. Comme ça, au hasard: La Poste, un maxi français de 80 pieds, Lady Ellen, une brigantine de 177 pieds du Danemark, ou encore le Klushpies, un catamaran canadien de 100 pieds.

Clientèle québécoise

Il faut cependant préciser que la clientèle est en majeure partie québécoise.

Toutefois, ce qui étonne le plus en feuilletant la liste des clients de l'entreprise, c'est d'y retrouver des embarcations françaises et britanniques, des pays où les traditions maritimes sont plus que séculaires.

«En Europe, c'est devenu tellement cher que, si tu arrives là-bas avec de la qualité comparable et les prix d'ici, tu cours des chances de décrocher des contrats intéressants», ajoute le président de Voiles Saintonge. Il prend l'exemple d'un Belge qui participe à des courses autour du monde et qui fait affaire avec lui: «Chez nous, c'est un contrat de 250 000$ par an, tandis qu'en Europe il ne s'en tire pas en bas des trois quarts de million.»

Or, malgré tout le glamour et les sommes astronomiques entourant le monde de la voile, l'entreprise continue d'être familiale. Monique Cloutier, la femme de Jean Saintonge, est responsable de la réparation, et Christian Cloutier, le beau-frère et cofondateur, se charge de la confection.

Une dizaine de personnes – surtout de jeunes mordus – y travaillent et on peut maintenant compter sur une succursale à Granby.

Et, lorsqu'on lui parle de son chiffre d'affaires, il répond humblement et sans hésiter «un million environ par an», mais ce n'est pas ce qui compte le plus.

Le marin en lui entretient une passion: faire découvrir la voile au plus grand nombre, particulièrement aux enfants et aux adolescents.