La plupart des grandes chaînes de vente au détail paient des agences pour faire évaluer leur service à la clientèle. Comme ces évaluateurs travaillent incognito, on les appelle clients mystères.

La plupart des grandes chaînes de vente au détail paient des agences pour faire évaluer leur service à la clientèle. Comme ces évaluateurs travaillent incognito, on les appelle clients mystères.

Quand Marianne (nom fictif), 39 ans, entre dans une boutique, elle note mentalement plein de détails. Par exemple, combien y a-t-il d'employés? Les planchers sont-ils propres? Les vêtements sont-ils bien présentés? Il lui arrive de transcrire ses observations depuis la cabine d'essayage, mais seulement si celle-ci se barre. Marianne ne veut pas qu'on la démasque. C'est une cliente mystère.

De retour à la maison, elle prend environ 45 minutes pour remplir un questionnaire précis sur son expérience de magasinage. Sa rémunération? Une quinzaine de dollars, plus le remboursement (jusqu'à un certain maximum) de son achat. En quatre ans, Marianne estime avoir évalué le service à la clientèle d'un millier de commerces, la plupart du temps dans des centres commerciaux.

La mère de famille trouve que ce travail à temps partiel représente une façon plutôt amusante de gagner de l'argent de poche. «Ce qui me plaît le plus, c'est de voir un employé passionné, qui connaît très bien son produit», dit-elle. D'autres fois, elle sait bien que son rapport ne vaudra aucune félicitation aux intéressés. «Ça me fait de la peine pour eux. En même temps, j'espère que mes observations les aideront à s'améliorer.»

Des buts louables

Améliorer le service à la clientèle, voilà le principal but de la majorité des programmes de clients mystères. D'autres entreprises cherchent d'abord à savoir si leurs employés exécutent les plans de marketing conformément aux directives. Pour reprendre le cliché, proposent-ils systématiquement un chausson à ceux qui achètent un hamburger?

Au moins une société d'État a mis en place un programme de clients mystères. Chez Postes Canada, on ne vend pas de chausson, mais on a des normes à maintenir. Depuis 1998, des évaluateurs anonymes sont à pied d'oeuvre pour mesurer l'uniformité des compétences des détaillants dans les 6600 points de vente du réseau.

«Nous évoluons dans un milieu hyperconcurrentiel, souligne Manon Clément, porte-parole de Postes Canada. Comme nous voulons être les meilleurs de l'industrie en matière de service à la clientèle, il nous faut constamment prendre le pouls.» Qu'on soit à Saint-Ginglin ou à Toronto, l'image de marque de la société d'État doit rester la même.

Ne risque-t-on pas de créer un climat de méfiance, en faisant «espionner» ses employés? C'est la crainte exprimée par Cathy Driscoll, professeure d'éthique des affaires à Halifax, citée l'an dernier dans The Chronicle Herald à propos des clients mystères. «Les études montrent que les gens peuvent agir de façon non éthique au travail s'ils estiment qu'on ne leur fait pas confiance.»

Les employés ne savent pas quels comptoirs seront visités ni quand, mais autrement, «rien n'est fait en catimini, assure Manon Clément, de Postes Canada. Notre programme ne sert aucunement à évaluer les employés qui, par ailleurs, sont syndiqués»

Outil de motivation

«La majorité de nos clients utilisent nos services d'évaluation comme outil de motivation», affirme Keren Dolan, présidente de Premier Service, entreprise ayant formé plus de 6000 clients mystères. En cas de bon rapport, les employés concernés sont souvent reconnus et peuvent même recevoir des primes.

S'ils savent à partir de quels critères ils seront évalués, on n'a pas à craindre la méfiance ou le désengagement des employés, estime Keren Dolan. «Nos contrats stipulent d'ailleurs qu'ils doivent connaître l'existence d'un programme de clients mystères et qu'aucun employé ne peut être congédié à la suite d'un mauvais rapport», précise-t-elle.

«J'ai plutôt constaté que nos visites créaient parfois une sorte de compétition amicale entre succursales d'une même chaîne, ajoute Mme Dolan. Chaque équipe espère obtenir la meilleure note, surtout quand les résultats sont dévoilés lors d'une grande réunion de personnel.»

Le vent en poupe

L'industrie des clients mystères a le vent en poupe depuis une décennie. Et la tendance est internationale. Comme un directeur d'une agence française l'expliquait il y a quelque temps dans Le Figaro, même des marques de luxe y ont maintenant recours, car elles "en ont assez que leurs vendeurs soient plus snobs que les clients" !

«Dans un contexte économique difficile comme celui qui s'en vient, il est très important de garder ses clients. Le service à la clientèle devient d'autant essentiel, croit Mme Dolan. Quand on a les données, on peut apporter les changements.»